Bulletins de l'Ilec

Le Louvre, une marque entièrement à part - Numéro 399

01/04/2009

Entretien avec Noël Corbin, directeur juridique et financier du musée du Louvre

Le 6 mars 2007, Le Louvre a signé un contrat de 400 millions d’euros pour l’ouverture d’un musée à Abou Dhabi. Les artisans de cette opération ont-ils raisonné en termes de « capital immatériel » ? Noël Corbin : L’accord intergouvernemental a été signé entre deux états souverains pour une longue durée – quinze ans pour les prêts des collections publiques françaises pour les expositions temporaires, dix ans pour les collections permanentes  – , la cession de l’usage du nom du Louvre a été conclue pour une durée de trente ans. Cela implique ipso facto un raisonnement en termes de capital immatériel fondé sur ce qui constitue la particularité du Louvre, et plus largement des musées français : la construction historique, la nature publique des collections, le savoir-faire fondé sur l’exigence et le respect de procédures strictes. Cette notion de capital immatériel, difficile à estimer, a été essentielle dans la signature de l’accord. Elle doit le demeurer au fur et à mesure de l’avancée du projet. C’est une des conditions du respect mutuel des partenaires, et donc du respect de l’accord dans la durée. Des voix se sont élevées contre la marchandisation de la culture. Quelle est, en l’espèce, la part de ce qui est « capitalisable » ? N. C. : C’est une question extrêmement complexe. Les collections publiques étant par nature insaisissables et imprescriptibles, c’est ce qui a le moins de réalité tangible, le capital immatériel des musées français, qui est capitalisable (si l’on accepte de parler ainsi). Rendre « capitalisable » l’immatériel, c’est impliquer qu’il y a une part pérenne dans ce capital immatériel, fondée sur la permanence des compétences, le respect des traditions, la capacité de renouveau du Louvre et des musées français depuis leur création. Cela implique ainsi que les hommes et les femmes qui en sont chargés ont partie liée, et étroitement, dans le développement et la valorisation de cette part capitalisable immatérielle. Cela demande que la « capitalisation » soit portée par une grande vigilance, ouverte mais présente, et place les responsables scientifiques du musée au cœur d’un tel dispositif. L’objectif de l’accord consiste en la création d’une marque pour Abou Dhabi. Comment définir la valeur de la « marque Louvre » ? N. C. : La marque Louvre n’est pas une marque comme les autres. Elle n’est pas et ne sera jamais une marque commerciale, qui pourrait être dupliquée indéfiniment. Pour deux raisons, opposées, mais qui se rejoignent. D’une part, elle est fondée sur le respect de son histoire ancienne, marquée par la volonté de l’État français de se doter d’institutions muséales, et de mettre ainsi les œuvres d’art, propriété publique, à la disposition de tous, donc elle est part de la puissance étatique et riche de vertus régaliennes. D’autre part, c’est son excellence et son exception qui fondent cette valeur même. La dupliquer à l’excès, sans suivi, ni implication de la part du concédant, le musée du Louvre, donc l’État français, conduirait à amoindrir la valeur de la « marque » Louvre, donc lui ferait perdre de son potentiel d’attractivité et la dévaloriserait « commercialement ». D’où, à nouveau, l’importance du respect vigilant de son capital immatériel. Une telle marque ne dépend-elle pas de la « valeur de Paris », qui elle-même dépendrait d’une hypothétique valeur de la « marque France » ? N. C. : De la valeur de Paris, non. Elle en est plutôt, à rebours, un des éléments constitutifs essentiels. À ce titre, les récentes études sur le tourisme à Paris et l’importance du rayonnement du Louvre pour l’économie parisienne l’ont bien montré. Mais elle est une part fondamentale de la « marque France », ou plutôt du rayonnement culturel de la France, qui construit toujours, fort heureusement, la spécificité de son rayonnement. La tradition muséale française, sa force, son intangibilité mais en même temps sa capacité à se renouveler, à se développer, est très admirée à l’étranger, voire jalousée. À juste titre sans doute. L’argent va-t-il directement dans les caisses du Louvre ? Pour quels usages ? N. C. : Pour partie. La part liée à l’accord de l’usage du nom du Louvre pour trente ans revient au Louvre, pour financer ses projets propres et alimenter un fonds de dotation spécifique. Pour le reste, lié aux prêts d’œuvres, il sera partagé entre les musées français selon une règle à établir, en concertation avec l’ensemble des institutions et en lien avec la Direction des musées de France. Le Louvre d’Abou Dhabi peut-il accueillir des surfaces commerciales, comme à Paris ? N. C. : Ce n’est pas prévu dans le projet actuel. Mais l’île de Saadiyat sera aussi un lieu résidentiel ; il y aura des commerces. Le Louvre a, en vertu de l’accord sur l’usage de son nom, un droit de regard sur les environnements immédiats du musée. La marque Louvre peut-elle être vendue à d’autres pays dans le monde ? N. C. : Cela semble difficile. Chaque projet sera spécifique. Le Louvre Abou Dhabi ne peut être dupliqué. Il est un projet singulier, construit sur la rencontre entre deux cultures, porté par le dialogue, fondé par le transfert de compétences en matière culturelle et éducative. A-t-elle, comme la Sorbonne, des produits dérivés ? N. C. : Sous la réserve de l’usage du nom et de son respect, ce qui limite toute dérive mais peut être intéressant au regard du développement de produits culturels. Est-il envisagé de créer, sur le modèle américain de l’endowment, un fonds de dotation pour placer le capital en ne dépensant que les revenus ? La crise actuelle ne rend-elle pas cette solution caduque ? N. C. Oui, le fonds de dotation est en cours de création ; la crise ne l’a pas rendu caduc, bien au contraire, il est essentiel pour le Louvre de pouvoir anticiper ses dépenses futures. Il conviendra, mais comme toujours, d’être prudent dans les investissements. La création du fonds de dotation a été approuvée par le dernier conseil d’administration du Louvre, le 15 avril 2009.

Propos recueillis par J. W.-A.

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