Bulletins de l'Ilec

Les chevaliers de l’ Immatériel - Numéro 399

01/04/2009

Entretien avec Marc-Antoine Jamet, président de l’Union des fabricants

Le rapport Lévy-Jouyet sur l’économie de l’immatériel recommandait qu’en matière de contrefaçon la France soit à l’origine d’un groupement international, rassemblant pays développés et émergents, sur le modèle de ce qui existe en matière de lutte contre la délinquance financière. Ce souhait a-t-il été suivi d’effet ? Marc-Antoine Jamet : En partie. À l’origine, il est vrai que nous souhaitions, pour la lutte anti-contrefaçon, la création d’une instance internationale, d’un Gafi (Groupe d’action financière), tel qu’il en existe pour traquer les territoires délinquants qui blanchissent de l’argent ou les paradis fiscaux qui facilitent l’évasion de l’impôt. Nous ne l’avons pas eu. De même, nous continuons d’espérer que la négociation ACAC (Accord commercial anti-contrefaçon, ou Anti-Counterfeiting Trade Agreement), qui vise à établir des normes à l’échelle mondiale, de l’Asie à l’Amérique, en matière de lutte contre les copies et les imitations, aboutira. Nous n’en sommes, hélas, pas encore là. En revanche, nous appelions de nos vœux un organisme européen de coordination contre le faux, et le lancement de l’Observatoire européen de la contrefaçon, ce 2 avril 2009, a répondu à ce souhait. Le problème est désormais de convaincre chaque ensemble géopolitique (Alena, Asean, etc.) d’adopter comme l’Union européenne des instruments de ce type, et de les fédérer. Qu’attendez-vous plus précisément de cet Observatoire européen ? M.-A. J. : L’Unifab se réjouit de la création de cet observatoire, mais bien des questions demeurent. Quel observatoire aurons-nous ? Une structure opérationnelle, resserrée autour de vingt-sept délégations, composée d’un représentant du secteur public et d’un représentant du secteur privé, tournée vers le résultat, se réunissant deux fois par an au plus, discutant de thèmes concrets avec des objectifs pratiques, par exemple des enquêtes sur le rapport entre le volume des contrefaçons saisies et celui des faux en circulation pour un territoire donné, afin de bien prendre la mesure de l’écart entre les deux réalités, donc d’évaluer le travail encore à faire ? Ou bien une nouvelle académie des sciences morales et politiques, une agence européenne de plus, envahie par une pléthore de délégués discutant de ce qu’est la contrefaçon comme d’autres jadis du sexe des anges ? L’alternative n’est pas tranchée. Cela inquiète beaucoup l’Unifab. Nous jugerons sur un point : l’Observatoire doit impérativement être à l’origine de la publication de trois listes : celle des cent pays – Europe comprise, même si la Chine se classe première –, où l’on fabrique le plus de faux ; celle des cent endroits où se vendent le plus de contrefaçons (piazza di Spagna à Rome, Canal Street à New-York, marché de la Soie à Pékin, marché aux puces de Saint-Ouen…) ; celle des cent sites Internet ou l’on trouve le plus de contrefaçons. Si un tel document était édité, nous aurions gagné. Le rapport souhaitait également améliorer la qualité du traitement des contentieux, ainsi que l’attractivité juridique de notre territoire. Qu’en est-il aujourd’hui ? M.-A. J. : Pour ce qui est de la lutte anti-contrefaçon, la France a toujours été précurseur et prescripteur, au niveau tant du droit civil que du droit pénal. C’est le miracle de la loi Longuet. Au premier euro, au premier objet quelle que soit l’intention dans laquelle vous avez produit, distribué ou acheté un faux, quelle que soit sa durée de détention, vous commettez un délit. Mais la théorie ne suffit pas. Encore faut-il des magistrats pour faire appliquer la loi. C’est pourquoi nous avons proposé, en 2004, alors que Nicolas Sarkozy, était ministre de l’Économie et des Finances, de créer un parquet spécialisé, une juridiction composée de juges particulièrement formés sur le sujet de la propriété intellectuelle, dont le tribunal de Bobigny aurait pu mener l’expérimentation. Nous en attendions beaucoup. Difficultés et délais, là aussi, n’ont pas permis de donner à ce projet l’ampleur qui aurait dû être la sienne. Quant à l’attractivité juridique, la quatorzième édition de notre Forum européen de la propriété intellectuelle (Fepi), où se sont exprimés des hommes d’affaires et à des industriels du Canada, pays où la propriété intellectuelle n’est pas assez protégée, nous a permis d’entendre combien les investissements internationaux pouvaient fuir un territoire pourtant accueillant : ils préfèrent Washington et Mexico à Montréal et à Toronto, uniquement par peur de voir les produits ou les procédés copiés. Quels sont les changements apportés par la loi relative à la lutte contre la contrefaçon, adoptée en octobre 2007, dans le domaine des licences et brevets ? M.-A. J. : Cette loi est la transposition d’une directive européenne que la France, notamment par la procédure de saisie-contrefaçon, avait fortement inspirée. Cette directive n’ayant pas encore été transposée par l’ensemble des États membres de façon uniforme, cela crée, pour les titulaires de droits, des difficultés sur le territoire européen, législation de protection unique. Dans ce clair-obscur, une bonne nouvelle a été la nomination de Benoît Battistelli, directeur général de l’INPI, à la présidence du conseil d’administration de l’Office européen des brevets (OEB), dont l’objectif est l’harmonisation de la protection des brevets, que nous souhaitons voir se faire sur le modèle français. L’économie de l’immatériel constitue-t-elle un enjeu majeur pour les fabricants que vous représentez ? M.-A. J. : Évidemment. C’est l’origine même de notre rassemblement. Les adhérents de l’Union des fabricants sont venus à elle parce qu’ils avaient besoin de défendre leur part d’immatériel, d’image, d’intelligence : leurs traditions et leur notoriété, quand il s’agissait de grands noms ; leur savoir-faire et leur habileté, lorsque les produits qu’ils inventaient avaient gardé un aspect unique et artisanal qui en faisait la qualité ; leurs investissements dans la publicité et leur vocation à revendiquer l’universalité, quand il s’agissait de marques mondialement connues comme dans le domaine du sport ou de l’informatique. La création et l’innovation sont nos atouts dans la mondialisation, alors défendons-les. Avez-vous des contacts avec l’Agence du patrimoine immatériel de l’État (Apie) ? M.-A. J. : Nous avons été entendus lors de l’élaboration du rapport Lévy-Jouyet ; nous avons rencontré ses responsables dans le cadre de la commission Sirinelli (1) et nous devons construire ensemble un partenariat, à l’image de ceux que nous développons avec d’autres offices, afin que les problématiques liées à la propriété intellectuelle restent parties intégrantes de leurs travaux. Quel patrimoine immatériel de l’État est exposé à la contrefaçon ? Peut-on contrefaire des marques comme le Louvre ou la Sorbonne ? M.-A. J. : L’État est producteur de brevets, de marques, qui peuvent être victimes de contrefaçon. Un acteur comme La Poste se rapproche de l’Union des fabricants pour protéger la renommée de sa marque face à des contrefacteurs. Les musées, les fondations, les bâtiments qui font la renommée de la France sont aussi copiés, spoliés. Mais il y a aussi les villes, les régions. Cannes, sous l’égide de mon ami Bernard Brochand (2), a déposé son nom. Les liens sont nombreux. Un champ nouveau s’ouvre. La « marque France » peut-elle constituer un avantage concurrentiel ? M.-A. J. : Bien évidemment, on le constate déjà dans le luxe. Si la marque France est synonyme de propriété intellectuelle préservée, d’absence de délocalisation, de sérieux, de savoir-faire, de garantie de qualité, alors elle constitue indubitablement un avantage concurrentiel. S’il n’y a pas de marque France, on en revient à la théorie des ultra-libéraux américains, pour lesquels tout appartient à tout le monde et rien n’appartient à personne, en termes de propriété intellectuelle. Tout est sur la table. Chacun arrive avec son financement, son niveau de salaire, son système de protection sociale, ses cadences, sa fiscalité, ses droits de douane. Tout le monde a le droit de tout fabriquer. Mais pour nous il y a un enjeu : notre système de valeurs européen. (1) Le Pr Pierre Sirinelli, spécialiste du droit de l’immatériel, préside une commission sur le « Web 2.0. » dans le cadre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA, www.cspla.culture.gouv.fr). (2) Bernard Brochand, maire de Cannes, préside le Comité national anti-contrefaçon (Cnac) et s’est vu confier par Luc Chatel, le 20 février dernier, une mission destinée à renforcer la coopération entre les plates-formes de commerce électronique et les marques.

Propos recueillis par J. W.-A.

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