Bulletins de l'Ilec

Le temps révolu du monologue - Numéro 402

01/07/2009

Les jeunes sont disposés à jouer le jeu des marques, un jeu qui fait partie de leur culture. Mais ils attendent des marques un échange, et qu’elles se fondent sur des valeurs authentiques. L’enquête BrandActsObserver, de l’agence Leo Burnett et de, tente d’évaluer quelles sont les marques qui leur répondent par les actes.

Les jeunes se singularisent-ils quant à leurs attentes vis-à-vis des marques ? M. P. : Il y a des différences et des correspondances entre les marques plébiscitées par les 18-25 ans et par le grand public en général. Au nombre des marques préférées des jeunes, celles de l’univers technologique sont surreprésentées : Google, MSN, Sony, Samsung, Microsoft, en phase avec les « natifs numériques » du sociologue Marc Prensky, la génération née avec le mobile et Internet. L’attrait de la technologie singularise radicalement leur demande et leur relation aux marques. Mais les jeunes plébiscitent aussi des marques comme Ikea et Décathlon. Ceux qui commencent à emménager choisissent la marque suédoise, première enseigne où l’on va se meubler, et lui restent fidèles ensuite. Ikea est en deuxième position après Google, toutes générations confondues. Le sport est une valeur proche des jeunes, et Décathlon retient leurs faveurs, même si cela ne se traduit pas toujours sur le plan de la fréquentation, car l’enseigne a une image plus adulte. Enfin, les 18-24 ans désignent Nutella et Milka comme leurs marques préférées dans l’univers alimentaire. En tant de crise, on est en quête de petits plaisirs simples et accessibles, et ces marques vendent des produits aux promesses claires et tenues. Que représentent les marques pour les jeunes ? M. P. : Les jeunes sont plus exigeants vis-à-vis des marques que leurs aînés, mais ce n’est pas par esprit de révolte ou d’opposition. Beaucoup d’études montrent qu’ils sont proches des valeurs de leurs parents. Cette génération a parfaitement intégré les marques dans la vie quotidienne, elles font partie de sa culture. Les 18-24 sont lucides quant au rôle des marques, ils ne les mettent pas en cause : selon Scanner Lagardère, 77 % estiment que la marque est un repère, 56 % que c’est un signe pour se mettre en valeur, 89 % , un moyen pour faire payer plus cher un produit. Mais ils achètent l’iPod, qui coûte trois fois plus cher qu’un MP3 : ils se savent manipulés, mais ils jouent le jeu. Que leur demandent-ils ? M. P. : Cette génération maîtrise la technologie qui, depuis une vingtaine d’année, a amélioré la capacité de communication des gens. Les jeunes fondent leur exigence sur la capacité des marques à interagir. D’où le succès de l’iPod, qui n’est pas seulement un beau produit mais qui propose une interface exceptionnelle pour la musique. Deuxième exigence des 18-25 ans : la valeur d’usage doit être très élevée. Google ne s’est construit que sur cette valeur : pas d’imaginaire, pas de communication, simplement un usage et une instantanéité, et une marque gratuite ! La jeune génération, qui fait de la communication une valeur centrale, ajoute quelque chose à la marque en mettant fin à son monologue. Les jeunes rendent effective une tendance lourde fondée sur le désir d’échange. Ils ont enrichi le concept de marque en exigeant d’elle de la relation. Une marque, c’est une conversation. Les 18-25 sont moteurs dans l’évolution du rapport des forces entre marques et consommateurs. Il y a deux ans, Greenpeace a accusé Apple de vendre des produits peu performants en termes de recyclage. Il n’a pas fallu plus de six mois à la marque pour réagir. La consommation ostentatoire existe-elle chez les jeunes ? M. P. : La valeur de badge d’une marque demeure forte, elle permet la reconnaissance mutuelle. L’attachement est également important, puisque 72 % des 18-24 ans disent faire attention aux marques qu’ils achètent (baromètre CSA). Mais cette valeur n’est jamais acquise. Les jeunes peuvent abandonner une marque du jour au lendemain, particulièrement dans l’univers technologique. Les tribus se définissent par un même type de valeurs, donc de marques et d’usage, mais le phénomène de l’idolâtrie des marques, caractéristique des années 1980, est loin. Nike est tombée un temps de son piédestal pour des raisons éthiques : la marque était accusée de faire travailler des enfants. Votre baromètre « BrandActsObserver », mené avec BVA, porte sur le « courage des marques »1… Michel Perret : Les valeurs de courage, d’engagement, d’action, sont célébrées en période de crise et d’incertitude. Si les marques ne prennent pas conscience du phénomène, elles sont menacées. On leur demande aujourd’hui une action conforme à leur parole, à leur promesse. La frontière est d’ailleurs de plus en plus ténue entre la marque de groupe et la marque commerciale. Le courage peut rester du domaine de l’intention, il faut, pour le mesurer, juger de l’action. Les marques sont à l’épreuve des faits. C’est bien de faire savoir, à condition de faire d’abord. Nous avons retenu quatre notions pour distinguer les marques les plus convaincantes : surprendre, mobiliser, s’engager et agir. De fait, on ne peut pas se dire courageux si on reste muet, il faut donc mesurer la capacité des marques à surprendre, par les produits, les services, la publicité, l’innovation. Cette première étape passée, la marque peut faire du bruit, mais elle doit être capable de rassembler, de mobiliser, pour être aimée, recommandée : les consommateurs seraient-ils attristés si elle disparaissait ? Une troisième étape est l’engagement : la marque a-t-elle la capacité de délivrer une promesse, et si elle attire va-t-on pour autant la suivre ? Enfin, il faut l’action, la différence par la preuve, la mise en œuvre des discours. Surprendre, mobiliser, s’engager et agir, sont ce que les 18-25 ans attendent des marques. Entre l’enthousiasme, la lucidité, le détachement ou le scepticisme, comment les jeunes se situent-ils ? M. P. : Les jeunes ne sont ni blasés ni désabusés. Les valeurs qu’ils partagent sont les mêmes que celles des moins jeunes, centrées sur le travail et la famille. Il n’y a plus de schisme entre jeunes et adultes. L’esprit de Mai 68 est derrière nous, 60 % des jeunes sont confiants dans leur projection à dix ans, ils sont lucides. Sont-ils plus fidèles aux marques que les adultes ? M. P. : Je ne crois pas, de manière générale, à la fidélité aux marques. La fidélité, si elle existe, se mesure ainsi : si le produit n’est pas présent dans le magasin, vais-je lui trouver un substitut dans le magasin, ou changer de magasin pour le trouver ? Au concept de fidélité, je préfère celui d’attachement. Aujourd’hui, les jeunes sont plus attachés et moins fidèles. Ils déclarent plus souvent changer de marques qu’il y a une dizaine d’années. Ils demeurent attachés aux marques qu’ils ont choisies mais privilégient le donnant-donnant : ils s’attachent à une marque si elle répond à leurs attentes. Dans le cas contraire, ils n’ont pas d’états d’âme. Les filles se distinguent-elles des garçons devant les marques ? M. P. : Les sous-échantillons que nous pouvons observer sont un peu étroits, mais le constat général est que les différences ont tendances à s’estomper dans les jeunes générations par rapport aux plus âgées. On note toutefois deux tendances significatives : les jeunes hommes surnotent les marques technologiques, l’écart le plus important portant sur la marque Orange ; les jeunes femmes surévaluent nettement les marques de… chocolat : Nutella, Milka, Poulain ou Nestlé. Pour les jeunes, dépenser c’est être, ou l’idée est dépassée ? M. P. : Les jeunes ne se reconnaissent pas dans la logique de sacralisation qu’évoque Gilles Lipovetsky, mais dans un rapport égalitaire avec la marque. Grâce à Internet, ils sortent de l’âge de la propriété pour entrer dans l’ère de l’accès que décrit Jeremy Rifkin, l’ère de la dématérialisation. Ils veulent moins posséder que voir, expérimenter, accéder aux nouveaux produits. Dépenser, oui, mais en recyclant leur dépense, en revendant sur EBay, si le produit a évolué sur le plan technique. Ce qui compte n’est pas tant la possession que l’usage. Le succès des vide-greniers, même s’il est transgénérationnel, atteste ce détachement de l’objet physique. Quel est leur comportement en matière environnementale ? M. P. : La génération des 18-24 ans est la plus concernée par les problèmes environnementaux et entend agir. Ils choisissent des marques qui feront du bien à l’environnement : à prix et qualité comparables, 88 % des jeunes (selon l’étude Cone LLC de 2008) sont susceptibles d’abandonner une marque classique pour une marque plus soucieuse de l’environnement. Cette génération est dans l’action, elle ne transige pas. 1. Le premier baromètre date de 2007, le deuxième, a été publié en 2009. Il mesure le courage et la capacité d’agir parmi cent sept marques de seize secteurs soumises au vote d’un échantillon de quatre mille personnes de 15 à 65 ans.

propos reccueillis par Jean Watin-Augouard

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