Bulletins de l'Ilec

Un schéma pour avancer - Numéro 405

01/11/2009

Entretien avec Hervé Novelli, secrétaire d’Etat au Commerce, aux Petites et Moyennes entreprises, au Tourisme, aux Services et à la Consommation La lettre de mission adressée par votre prédécesseur à Dominique Laurent en février dernier affirmait que « la trop grande dispersion du mouvement consumériste nuit à la lisibilité de ce mouvement ». Le système des agréments permettant l’action civile, depuis la loi Royer de 1973, est-il responsable de cette dispersion ? En quoi y a-t-il « illisibilité » et gêne pour les consommateurs ? Hervé Novelli : Le grand public sait qu’il existe des associations de consommateurs et leur fait confiance, mais peu de gens peuvent en désigner plus de deux ou trois. Ils sont dès lors enclins à s’adresser aux plus médiatiques, et pas nécessairement à celle dont la démarche répond le mieux à leurs besoins. Il existe aujourd’hui dix-sept associations de consommateurs ayant un agrément national, qui peuvent chacune répondre aux attentes de publics différents. De ce point de vue, leur diversité est un élément positif. Mais leur nombre pose un problème de financement : les associations agréées bénéficient d’un financement public qui leur est indispensable, car les cotisations des adhérents ne sont pas une ressource suffisante et il constitue la garantie de l’indépendance des associations vis-à-vis des professionnels. Avec dix-sept associations, il peut exister une contradiction entre le saupoudrage des subventions et le souci d’efficacité. Il est légitime de s’interroger sur le lien entre le nombre élevé d’associations et la définition des critères de l’agrément par la loi Royer de 1973. Depuis cette loi, une association nationale agréée doit compter au moins dix-mille adhérents et avoir une activité dans le domaine de la consommation, mais les textes ne précisent pas si ces dix mille adhérents doivent être venus à l’association pour un motif de consommation. Dans cette logique, une association dont l’objet social principal est extérieur au champ de la consommation peut satisfaire au critère. Parmi les associations agréées, certaines sont d’ailleurs plus connues pour des activités autres que la consommation. Ce flou contribue certainement au manque de lisibilité du mouvement consumériste français. Vous n’avez pas retenu le resserrement du CNC prôné par le rapport Laurent… H. N. : Il y a le temps de l’examen des options, celui de la concertation, et celui de la décision. Je tiens à souligner l’importance de la contribution de Dominique Laurent à la réflexion sur le mouvement consumériste, surtout dans le délai relativement court qui lui était imparti. Il en ressort que si certaines des organisations auditionnées ont contesté d’importants aspects du fonctionnement de cette instance, d’autres ont recommandé son maintien, tout en souhaitant y apporter des améliorations. Le rapport de Dominique Laurent a opté pour une voie médiane, celle d’une simplification du CNC, avec l’effacement de son bureau en tant qu’échelon de pilotage, et une réduction du nombre des associations représentées à titre permanent. J’ai néanmoins consulté les diverses associations de consommateurs et il m’est apparu que le resserrement du CNC pouvait comporter une démarche d’exclusion au détriment des associations qui n’auraient plus fait partie de ce qu’on nomme parfois le « Parlement de la consommation ». Il m’est apparu nécessaire de rechercher la voie d’un compromis entre les soucis d’efficacité et de diversité. Il ne s’agit pas de renoncer à l’idée de réforme : l’objectif est d’entraîner la majorité des associations dans une dynamique, afin de répondre au besoin de nos concitoyens d’être mieux informés et défendus pour consommer sereinement. Le schéma de réforme défini à l’issue des Assises nous donne les moyens d’avancer dans cette voie. Avez-vous écarté l’idée d’un « agrément spécifique » aux associations spécialisées ? Si non, à quels domaines serait-il applicable ? La liste doit-elle être limitative ? Quel est le nombre des demandes d’agrément, et leur nature a-t-elle évolué avec Internet ? H. N. : Il est vrai que plusieurs associations sont spécialisées dans un champ sectoriel particulier de la consommation, et ne peuvent guère intervenir sur des sujets touchant d’autres secteurs. Elles n’ont pas les moyens de contribuer autant que les associations généralistes aux débats sur les questions transversales, par exemple le projet de directive communautaire sur les droits des consommateurs. Il n’est donc pas tout à fait logique que l’Etat les traite sur le même pied que les grandes associations généralistes. Là se situe le principal défaut du régime d’agrément en vigueur depuis 1973. Le rapport de Dominique Laurent était donc fondé à proposer un dispositif d’agrément spécifique pour les associations spécialisées, d’autant qu’il précisait qu’un tel agrément aurait permis de reconnaître la valeur particulière des associations concernées, dont l’expertise dans le secteur de leur compétence est souvent de très grande qualité. Cependant, cette proposition était source de malentendu. Les associations ont perçu l’agrément spécifique comme un « sous-agrément » ayant pour objet de déclasser certaines d’entre elles, et notamment de les priver de leur représentation au CNC. Je partage l’idée d’une certaine différenciation des avantages procurés par l’agrément, mais à une condition : les avantages ne doivent pas être modifiés à la baisse. Le renforcement du mouvement consommateur doit se faire par le haut, en accordant de nouveaux droits aux associations les plus actives et les plus représentatives. Les critères de représentativité des associations sont-ils toujours pertinents ? Et quels seront ceux du « super-agrément » annoncé le 26 octobre ? Que vous ont appris les « indicateurs de performance » en usage depuis 2006 ? H. N. : Le cycle de réunions qui a précédé la tenue des Assises a été trop bref pour arrêter les critères d’un agrément complémentaire des associations les plus actives et les plus représentatives. Maintes possibilités ont été évoquées, mais les retenir toutes aboutirait à une complication qui ne me paraît pas souhaitable. Les indicateurs de performance en usage depuis 2006 ont préparé cette réflexion, mais ils présentent une limite : négociés séparément avec chaque association, ils sont trop disparates. Je vois mal comment l’agrément complémentaire pourrait être accordé selon des critères variables d’une association à l’autre ! Nous défrichons là un terrain nouveau. J’ai demandé à l’administration de me faire de nouvelles propositions et de consulter les associations, qui ont de nombreuses idées. Alors que s’affirme une aspiration à une consommation socialement responsable, l’Etat ne va-t-il pas à contre-courant en favorisant les organisations strictement consuméristes et en risquant de marginaliser celles adossées à des syndicats ? H. N. : Je ne souhaite marginaliser aucune association. J’ai beaucoup de respect pour les associations consuméristes d’origine syndicale. Elles sont très actives et fermes quand il s’agit de défendre les intérêts des consommateurs, y compris, s’il le faut, en contestant une action ou une inaction de l’Etat. Elles sont aussi, grâce à la tradition syndicale, grande école de la négociation, toujours prêtes au dialogue, au besoin vigoureux, avec les entreprises ou l’Etat. Elles ne pratiquent pas la politique de la chaise vide, évitent la dénonciation stérile de ce qui ne va pas et travaillent à des propositions concrètes. Elles ont donc toute leur place dans le paysage consumériste français. Les associations de consommateurs ont-elles fait avancer le droit ? Ont-elles permis que la culture de négociation prime celle du conflit ? H. N. : Les associations françaises ont évidemment fait beaucoup pour donner plus de droits aux consommateurs, en étant représentées non seulement au CNC, mais aussi dans plus de cent structures consultatives auprès de nombreuses administrations ou autorités. Elles sont présentes – encore insuffisamment à mon sens – à Bruxelles, pour défendre les intérêts des consommateurs au niveau communautaire. Elles ont donc un important rôle à jouer dans l’évolution des droits des consommateurs. Une grande partie des dispositifs juridiques de protection présents dans le Code de la consommation trouvent d’ailleurs leur origine dans des difficultés soulevées par les associations, et font suite à leurs propositions. Quant à la culture de la négociation et à celle du conflit, elles coexistent naturellement dans le mouvement consumériste.Je préférerais cependant que la première l’emporte sur la seconde, du moins sur la culture de la dénonciation et de l’opposition stérile. L’INC, dont la mission est d’informer et de former, va intégrer l’activité relative à la sécurité des produits de l’actuelle CSC et celle relative aux déséquilibres dans les relations contractuelles que mène la Commission des clauses abusives. Va-t-il donc rendre des avis, et ceux-ci se limiteront-ils aux périmètres absorbés ? H. N. : L’INC comme les commissions de sécurité des consommateurs et des clauses abusives ont la mission d’informer le grand public dans le domaine de la consommation. L’INC en tant que tel n’a pas vocation à rendre des avis, il est un outil technique, au service de l’information des consommateurs et un appui pour les associations, notamment celles dont les moyens sont les plus faibles. Les commissions qui seront associées à l’INC ont pour mission de rendre des avis et recommandations. L’indépendance de ces commissions sera pleinement assurée et même renforcée, par les moyens nouveaux que va procurer le regroupement dans un ensemble plus vaste. Les périmètres thématiques de ces recommandations élaborées en toute indépendance seront élargis. Je pense en particulier à un projet qui me tient à cœur : la mise en place, dans le cadre de l’INC, d’une commission chargée d’observer la généralisation de la procédure de médiation à un nombre croissant de secteurs économiques. Aux Assises ont été évoquées l’ « unité » du consommateur-citoyen et la « consommation de services publics ». L’Etat est-il prêt à jouer le jeu du consumérisme ? H. N. : Dans ses relations avec le consommateur et l’usager, l’Etat se doit d’être exemplaire, c’est la raison pour laquelle la France s’est déjà engagée dans des démarches proches de ce qu’elle impose aux entreprises. L’Etat a entrepris depuis plusieurs années l’amélioration du service rendu, dans le cadre de la « Charte de qualité Marianne », et il s’est engagé dans une démarche d’achats publics écoresponsables. Autre illustration, les appels téléphoniques : ceux émis vers les services publics sont facturés au prix maximum d’une communication locale depuis juillet 2008. Certains services publics avaient du reste anticipé cette mesure. Comment préserver les acquis du droit français au regard du droit européen de la consommation ? H. N. : Le droit de la consommation français est un des plus protecteurs d’Europe. Or les directives européennes sur les droits des consommateurs sont fondées sur le principe d’ « harmonisation maximale » ou de « pleine harmonisation » : les Etats ne peuvent pas maintenir, dans le domaine couvert par les directives, des règles plus protectrices. Le problème se pose pour un texte encore en discussion, la proposition de directive sur les droits des consommateurs, et un autre déjà adopté, la directive sur les pratiques commerciales déloyales. Si la première est adoptée et la deuxième transposée en l’état, la France sera contrainte de retirer une partie des protections juridiques dont bénéficient les consommateurs français. La communication des coordonnées téléphoniques du vendeur ou la date limite de livraison pourraient par exemple ne plus êtres obligatoires. Et pourraient ne plus être interdits le refus de remboursement en cas de rétractation, certaines clauses abusives, les numéros surtaxés, le paiement immédiat en cas de démarchage à domicile, les ventes subordonnées (contrat de voyage avec assurance obligatoire, boissons vendues seulement en pack, petit déjeuner avec la chambre d’hôtel, logiciels préinstallés…) ou les jeux promotionnels avec obligation d’achat. L’implication des autorités françaises dans les activités de l’Union touchant la consommation va être renforcée, pour garantir aux consommateurs français un haut niveau de protection. Des concertations interministérielles et avec les associations de consommateurs et les entreprises ont été organisées pour examiner ces projets communautaires. Le groupe de travail permanent sur les questions européennes au CNC est réuni régulièrement, pour que la France puisse faire entendre une voix unanime. UN RAPPORT ET DES ASSISES Le rapport1 commandé en février 2009 par Luc Chatel à Dominique Laurent se concluait sur l’idée que le « renforcement du mouvement consumériste » nécessitait la « révision des dispositifs actuels de soutien de l’État ». À ce titre il prônait de « resserrer la composition du Conseil national de la consommation en réduisant le nombre d’associations représentées », en passant par la suppression du « lien automatique entre l’agrément et le siège au CNC » ; de réformer l’agrément lui-même (articles R et suivants du Code de la consommation), en relevant le seuil d’adhérents de 10 000 à 25 000 pour les associations généralistes et en créant parallèlement un « agrément spécialiste » ; de renforcer « l’assise territoriale » des associations au moyen du pilotage par l’INC du réseau de centres techniques régionaux de la consommation (CTRC, à statut associatif). Les décisions gouvernementales annoncées lors des Assises de la consommation2 vont plus loin que le rapport Laurent sur le dernier point, puisqu’elles retiennent le rapprochement de l’INC, des CTRC, de la Commission de sécurité des consommateurs et la Commission des clauses abusives, « autour d’un institut national de la consommation renforcé ». Elles contredisent le rapport en écartant explicitement toute idée de « supprimer des subventions ou des sièges au CNC ». Elles maintiennent les modalités de l’agrément, ainsi que le lien entre agrément et siège au CNC, et ignorent « l’agrément spécialiste ». Elles créent en revanche un « superagrément » donnant « priorité pour les désignations par le gouvernement dans les instances de consultation françaises et communautaires » et « exclusivité pour actionner la future procédure des actions de groupes », et allant de pair avec le renforcement au CNC du rôle tenu par son bureau exécutif, où les associations « super-agréées » disposeront d’un siège permanent. Les pouvoirs publics ont suivi la recommandatioon du rapport de « préparer l’introduction de l’action de groupe en droit français » en prenant acte qu’il était « difficile d’ouvrir à toutes les associations agréées ce mécanisme novateur » : c’est l’objet essentiel du « super-agrément » annoncé. L’objectif étant le « renforcement des outils permettant de traiter les litiges entre entreprises et consommateurs », l’alternative médiation ou action de groupe est ainsi posée : « première action, la généralisation de la médiation », appuyée sur une définition légale ; « pour [les] cas extrêmes et de dernier recours », une « action de groupe à la française, précisément encadrée ». Reste dans les deux cas à arrêter le calendrier législatif. 1. Dominique Laurent, Mission relative au mouvement consumériste en France, mai 2009, p. 16 (document téléchargeable depuis www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/094000204/index.shtml). 2. Intervention d’Hervé Novelli en conclusion des Premières Assises de la Consommation(document téléchargeable depuis www.minefe.gouv.fr/discours-presse/discours-communiques_finances.php?type=discours&id=691&rub=500).

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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