Bulletins de l'Ilec

Des effets d’âge et de structure - Numéro 408

01/03/2010

Entretien avec Fabrice Langlard, chef du département des comptes nationaux de l’Insee, et Jean-Louis Lhéritier, chef du département des prix à la consommation, des ressources et des conditions de vie des ménages, Insee*

Depuis un demi-siècle, la consommation a reflété l’évolution de la taille et de la composition des ménages, opérant des réallocations budgétaires qui s’apprécient dans un contexte de triplement global des volumes. Entretien avec Fabrice Langlard, chef du département des comptes nationaux de l’Insee, et Jean-Louis Lhéritier, chef du département des prix à la consommation, des ressources et des conditions de vie des ménages, Insee* A-t-on observé de grandes ruptures et de véritables effets générationnels dans les pratiques consommatoires au cours des dernières décennies ? Jean-Louis Lhéritier : En vingt ans, de 1985 à 2006, la consommation totale a en moyenne peu varié selon l’âge de la personne de référence du ménage, et les écarts de consommation selon l’âge se sont légèrement réduits. En revanche, la structure de la consommation par groupes d’âges a, elle, beaucoup changé. Aujourd’hui, les ménages les plus âgés consacrent une part moins importante de leur budget à l’alimentation à domicile, même si cette part reste supérieure à la moyenne de toutes les classes d’âges. Le poids du logement a fortement augmenté dans le budget des plus jeunes, alors que ces dépenses pèsent relativement moins qu’avant chez les plus âgés. Les jeunes générations consacrent une part de plus en plus grande de leur budget aux dépenses d’habillement et de communication. Ces évolutions ne sont pour autant que partiellement imputables à des effets générationnels. Elles reflètent aussi le fait que les générations récentes sont, à un âge donné, dans une situation financière meilleure que ne l’étaient leurs aînés au même âge. Cela explique le recul du poids relatif de l’alimentation pour les générations plus jeunes, ce poids diminuant traditionnellement avec l’aisance financière. En revanche, les dépenses d’habillement et de communication prennent de plus en plus d’importance dans le budget des jeunes générations, à l’inverse des dépenses de transport et de loisir. Fabrice Langlard : La consommation en fonction de l’âge a une courbe en cloche, puisqu’on observe des niveaux de consommation plus faibles que la moyenne pour les moins de trente ans, niveaux qui ont tendance à croître et à atteindre des maxima dans la tranche d’âges 50-59 ans, pour décroître nettement au-delà de 70 ans. Dans cette courbe en cloche, il faut bien distinguer deux éléments : un effet du revenu (selon l’âge) et un effet générationnel (les plus âgés aujourd’hui ont un revenu supérieur à celui des générations antérieures). Les pratiques de consommation des hommes et des femmes sont-elles toujours aussi distinctives qu’au début des années soixante ? Dans quels domaines observe-t-on une convergence – plus de soins du corps chez les hommes, d’articles de bricolage chez les femmes ? J.-L. L. : L’enquête budget de famille de l’Insee collecte les données de consommation au niveau du ménage. Il n’est donc pas possible d’isoler les consommations imputables aux hommes et celles imputables aux femmes. L’Insee a toutefois publié en 2008 une étude comparant les consommations alimentaires des hommes et des femmes vivant seuls (Insee-Première n°1194). Elle montre que les femmes vivant seules consacrent à l’alimentation une part plus grande de leur budget que les hommes dans la même situation. Les produits consommés diffèrent également : elles achètent proportionnellement plus de fruits et légumes, mais moins de viande et d’alcools. Les hommes privilégient des produits demandant peu de préparation. Sept produits alimentaires sur dix sont achetés en grande surface, mais les femmes les achètent plus souvent sur les marchés, notamment les fruits, les légumes, le poisson et la viande. Les hommes dépensent plus d’argent pour l’alimentation hors du domicile : c’est le cas pour les repas au restaurant ou à la cantine, mais surtout pour la consommation de boissons alcoolisées. L’évolution de la taille des ménages affecte-t-elle plus particulièrement un type de consommation ? J.-L. L. : Les ménages ayant trois enfants ou plus ont des dépenses de consommation supérieures de 38 % à la moyenne des ménages. Il existe en outre des écarts importants selon les postes de consommation. Ainsi, les dépenses d’enseignement (frais d’inscription, cours particuliers ou collectifs, etc.) représentent le triple de ce qu’elles sont pour la moyenne des ménages. De même, les familles nombreuses dépensent 70 % de plus que la moyenne pour l’habillement et les chaussures, et 45 % de plus pour l’alimentation à domicile. F. L. : Dans un ménage, selon le nombre de personnes, on observe des économies d’échelle, qui conduisent à moduler le nombre d’unités de consommation ainsi : le premier adulte chef de famille compte pour un, toutes les personnes de plus de 14 ans comptent pour 0,5 et les enfants de moins de 14 ans pour 0,3. Les familles monoparentales et les couples avec trois enfants et plus ont, en moyenne, un niveau de consommation plus faible que les autres types de ménage. L’explication tient au niveau de revenu. Par type de consommation, quatre grands postes représentent presque les deux tiers de la consommation, quelle que soit la taille des ménages : logement, alimentation, transport, loisir. La part dévolue au transport a tendance à croître avec le nombre d’enfants, et celle du logement avec les personnes seules. Quels sont les changements les plus spectaculaires, entre les postes de consommation, dus à l’évolution de l’espérance de vie ? J.-L. L. : Le vieillissement de la population tend à tirer les modes de consommation vers ceux des groupes les plus âgés. S’agissant particulièrement des retraités, leurs dépenses de consommation sont inférieures à la moyenne. Leur structure de consommation est assez différente. Ces ménages dépensent moins que la moyenne pour les restaurants et les hôtels, l’habillement, le transport. En revanche, la part de leur budget consacrée à l’alimentation à domicile est supérieure à la moyenne. Les ménages de retraités privilégient les dépenses d’intérieur (repas à domicile, confort du logement…), au détriment des dépenses d’extérieur (s’habiller, se déplacer…). F. L. : Mentionnons un change-ment important, le triplement du volume annuel de la consommation par personne, indépendamment de l’évolution de l’espérance de vie. Il faut aussi souligner que le poids des services de communication (téléphonie fixe puis téléphone mobile et internet) a quasiment quintuplé dans le budget des ménages. Enfin, les dépenses liées au logement, qui pesaient 20 % en 1960, ont atteint 30 % du budget en 2007, devenant le premier poste. Les modes de consommation des pays industrialisés convergent-ils depuis un demi-siècle ? Quelles sont les spécificités de la consommation en France par rapport aux autres pays ? F. L. : La part budgétaire consacrée aux dépenses alimentaires a tendance à décroître avec la hausse du niveau de vie. Une fois les besoins nécessaires satisfaits, les ménages cherchent à satisfaire des besoins moins indispensables (habillement, équipement du logement, transports…), avant d’acheter des produits dits supérieurs (santé, culture, communication, loisir). Le processus de convergence des coefficients budgétaires entre pays européens résulte non seulement de l’élévation du niveau de vie, mais aussi de l’ouverture du marché européen et de la libre circulation des biens et des technologies. Pour autant, même passé un certain niveau de vie, des spécificités liées aux préférences des consommateurs demeurent. Les Italiens achètent plus de chaussures, les Britanniques dépensent plus dans les restaurants que les Français… Mais la France se situe au milieu, excepté pour la part des dépenses de santé, qui la placent en tête. Propos recueillis par J. W.-A. * Cinquante Ans de consommation en France, édition 2009, Insee.

Propos recueillis par J. W.-A.

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