Bulletins de l'Ilec

Actualité de la loi d’Engel - Numéro 408

01/03/2010

Entretien avec Alexander Law, chef économiste, groupe Xerfi

Depuis un demi-siècle, les pays industrialisés connaissent, dans la structure de leur consommation, un même phénomène : la hausse des dépenses non essentielles et des dépenses préengagées. Entretien avec Alexander Law, chef économiste, groupe Xerfi Les modes de consommation des pays industrialisés convergent-ils depuis un demi-siècle ? Alexander Law : Les modes de consommation dans les pays industrialisés marquent une tendance à la convergence depuis un demi-siècle, avec une accélération notable liée à l’approfondissement de la mondialisation depuis plus d’une décennie. De toute manière, nous n’échappons pas à la fameuse loi d’Engel, selon laquelle l’enrichissement des populations s’accompagne d’une modification structurelle de la consommation au profit des dépenses non essentielles. Cela ne veut pas dire que les pays ne conservent pas des caractéristiques propres de consommation, selon les structures économiques et les habitudes culturelles. On remarquera ainsi que la France a très tôt fait émerger des géants de la grande distribution traditionnelle, en introduisant le concept d’hyper-marché. L’approche allemande de la distribution a favorisé l’émergence du discompte, qui constitue un fait structurant de la consommation outre-Rhin : la stratégie économique du pays ces dernières années a consisté à accroître la compétitivité extérieure, au prix d’une compression salariale. L’encouragement de modes de consommation de type discompte constitue alors une manière de redonner du pouvoir d’achat aux ménages, sans forcément que cela soit perçu ainsi par les consommateurs. De manière plus globale, une constante dans la structure de consommation des pays industrialisés est la hausse très importante de la part des dépenses préengagées dans le budget des ménages : loyers, frais de communication (l’ubiquité du téléphone portable, l’accès à l’internet…), assurances, etc. Ce sont autant de dépenses qui réduisent les possibilités d’achats discrétionnaires, et qui accentuent un sentiment de perte de pouvoir d’achat. La mondialisation des échanges est-elle un facteur de convergence plus puissant que l’urbanisation ou l’évolution démographique ? A. L. : La mondialisation des échanges est effectivement un facteur de convergence puissant, mais pas forcément surdéterminant, par rapport à l’urbanisation ou à la démographie. Nous remarquons en revanche une homogénéité des comportements d’achat dans les biens de l’électronique grand public (comme le succès planétaire d’Apple), même si certains pays se distinguent, à l’instar du Japon où paraissent bon nombre de produits électroniques qui ne sont pas commercialisés en Europe ni aux Etats-Unis. Ce qui est intéressant, c’est également une certaine convergence dans la consommation culturelle : le marché mondial des médias et du divertissement est dominé par de grands conglomérats américains : NewsCorp, Disney ou Time Warner. Bien entendu, les produits culturels échappent pour partie aux règles du libre-échange, et l’on constate des poches de résistance. C’est le cas de l’exception culturelle française. Comment a évolué, depuis un demi-siècle, la part globale des dépenses socialisées par rapport aux dépenses individuelles, en France et dans les pays comparables ? A. L. : D’après l’Insee, le poids de la consommation dite socialisée a connu une progression depuis cinquante ans. En 1960, elle représentait un peu plus de 18 % des dépenses totales, et elle se situait à 22 % en 2008 : cela illustre en particulier la forte présence de l’Etat dans la vie économique française depuis l’après-guerre. Il s’agit là de dépenses non soumises aux aléas de la conjoncture qui servent de bouclier en cas de crise économique. C’est une des explications de la meilleure résistance relative de l’économie française à la récession de 2008-2009. L’adoption récente d’une réforme de la santé aux Etats-Unis est également fondamentale : au-delà de l’accroissement de la couverture sociale pour des millions d’Américains, c’est une manière de libérer du pouvoir d’achat en abaissant le coût privé de la santé outre-Atlantique. Principal moteur de la croissance en France, la consommation pourrait-elle, pour la première fois depuis cinquante ans, être en baisse en volume et en valeur en 2010 ? Et chez nos voisins ? A. L. : La consommation constitue effectivement une des principales inquiétudes pour l’économie française en 2010. Pendant toute la durée de la récession, les dépenses des ménages avaient pourtant résisté. Mais il faut isoler deux explications principales. D’une part, l’inflation était quasiment inexistante en moyenne annuelle en 2009 (+ 0,1 % seulement, en raison du repli sur un an du cours du pétrole et des principales matières premières). Or toute baisse de l’inflation contribue d’autant au pouvoir d’achat, qui a progressé de 2 % l’an dernier. D’autre part, l’Etat a soutenu directement ou indirectement la consommation en allégeant l’impôt sur le revenu pour une partie de la population et en instaurant une prime à la casse automobile. Résultat : malgré la crise la plus dévastatrice depuis la Seconde Guerre mondiale, le marché automobile domestique a atteint son plus haut niveau depuis 1990. En 2010, la situation sera tout autre. En premier lieu, l’inflation remonte, certes timidement, en grignotant le pouvoir d’achat. En février, les prix étaient supérieurs de 1,3 % à leur niveau de l’année passée à pareille époque. Par ailleurs, les destructions d’emplois se poursuivront au moins jusqu’à la fin du premier semestre : la masse salariale versée à l’ensemble des Français sera donc en baisse, et les revalorisations salariales seront maigres. Enfin, la disparition par paliers de la prime à la casse va conduire à un effondrement des immatriculations automobiles. Du fait de la conjoncture, tout report de consommation de ce poste vers les autres sera limité. Notre prévision centrale est donc celle d’un recul de la consommation des ménages en volume et d’une simple stabilisation en valeur. Il ne s’agira pas là d’un phénomène propre à la France. Au Royaume-Uni, la remontée du chômage et la hausse de la TVA depuis 1er janvier vont constituer des freins aux dépenses des ménages. Les Allemands seront logés à la même enseigne, dans un pays traditionnellement peu consommateur. Comment ne pas dire un mot, enfin, sur le drame de l’économie espagnole : l’effondrement de la bulle immobilière et la chute du secteur de la construction ont laissé de graves séquelles. Les ménages sont lourdement endettés et le chômage concerne plus de 18 % de la population active. L’annonce par Madrid d’un plan d’austérité de cinquante milliards d’euros au cours des prochaines années ne fait que noircir le tableau : les perspectives de consommation en Espagne, dans un avenir proche, sont particulièrement sombres.

Propos recueillis par J. W.-A.

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