Bulletins de l'Ilec

Préadolescence - Numéro 409

01/04/2010

Imiter est de la nature de l’homme en devenir. S’affranchir de la copie, de celle de l’homme accompli. L’imitation est propre aux apprenants. L’enfant qui naît imite le regard, le geste, la parole. Plus tard, il imitera ses parents et ses maîtres. Dans son enfance, Picasso imitait les grands peintres en posant son chevalet dans les musées. L’apprentissage est d’abord une imitation que l’on commence dans un garage, un atelier, en médecine ou en droit. L’imitation en soi est une école, c’est l’élève qui imite le maître. Dans les années 1950 et 1960, le Japon imitait les Etats-Unis, dans les années 1980 c’est au tour des Coréens d’imiter les Japonais. Il en va ainsi dans tous les domaines. Y compris dans le celui de l’humour : les imitateurs des Guignols, Nicolas Canteloup, Laurent Gerra… imitent les gens connus qui présentent une aspérité, donc une personnalité. Ne pas avoir sa marionnette aux Guignols porte à être considéré comme n’étant pas quelqu’un qui vaille la peine d’être imité, parce qu’insipide. Dans le domaine de la marque, du produit, du point de vente, être imité est un signe de reconnaissance. Les marques de luxe sont imitées, tout au moins celles qui ont une forte identité. On imite Dior, Cartier, Chanel, Vuitton. Cela vaut la peine pour l’imitateur – économiquement s’entend – et pour l’acheteur, même si l’un est fraudeur et l’autre complice. Paradoxalement, présenter aux médias les prises des Douanes et les destructions est la preuve, pour une marque, qu’elle le vaut bien. Des points de vente ont imité Ikea, la Fnac, Zara. Je ne ferai pas l’affront de citer les marques que personne n’imite parce qu’elles ne le valent pas. Ainsi être imité, c’est être reconnu. Quant à l’industriel, au distributeur, qui n’imite plus, c’est qu’il a trouvé son propre territoire d’expression, sa personnalité singulière. Il devient son propre maître. Il a atteint sa maturité, il est devenu adulte. S’il continue à imiter, c’est qu’il reste en position de faiblesse, qu’il n’est pas sûr de lui, qu’il a encore besoin d’appui, qu’il doute. Quand les marques de distributeurs ont imité les marques nationales il y a plus de trente ans, cela pouvait se comprendre, encore que, y ayant été associé, je regrettais que les enseignes ne choisissent pas la personnalité forte qui leur aurait donné une identité par l’emballage. Aujourd’hui, nombreuses sont celles qui devraient regretter de ne pas avoir connu une crise d’adolescence et de ne pas avoir coupé le cordon symbolique, car à force d’imiter, de se résigner à de pâles copies, elles n’ont jamais gagné en identité propre : « Allons, allongez-vous, et dites-moi pourquoi vous ne savez plus qui est votre père ? »

par Philippe Cahen, prospectiviste

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