Bulletins de l'Ilec

Imitare humanum est, perseverare diabolicum - Numéro 409

01/04/2010

Entretien avec Philippe Breton, PHB Consultants

Dans l’univers de la grande consommation, les imitations de produits sont monnaie courante, comme l’illustrent souvent les marques de distributeurs. Un élargissement du choix offert aux consommateurs qui peut être destructeur de valeur. Entretien avec Philippe Breton, PHB Consultants Un des griefs à l’encontre des marques de distributeurs (MDD) et des produits premiers prix porte sur leur propension à copier les marques de fabricants... Philippe Breton : Ce grief s’adresse plus souvent aux marques de distributeurs qu’aux premiers prix, même s’il faut reconnaître quelques dérapages parmi ceux-ci au début des années 1990, tant pour le nom que pour l’emballage : ils relevaient de la contrefaçon et ont été bientôt abandonnés. A présent, les MDD économiques, qui font office, pour les hyper et supermarchés, d’entrée de gamme pour lutter contre le circuit maxidiscompte, sont clairement identifiables. Elles peuvent difficilement être accusées de copier, en tout cas par l’emballage. La tentation de la copie est universellement partagée. Le reproche pourrait aussi bien s’adresser aux fabricants qui n’hésitent pas, parfois, à se copier les uns les autres. L’imitation relève d’un processus naturel d’apprentissage qui s’applique dans les domaines éducatif et artistique. On apprend en reproduisant les gestes de ses parents ou le style de ses maîtres. Mais si copier est humain, persévérer dans la copie peut devenir diabolique. Toute la difficulté consiste à s’émanciper et à s’affranchir de la copie pour s’engager dans une démarche originale créatrice de valeur et de diversité, mais aussi porteuse de risques. S’exposer au reproche fréquent de copiage tient sans doute à un refus congénital du risque par des distributeurs devenus trop gestionnaires, à un manque d’assurance, de conviction, ainsi qu’à un déficit de vision. Y a-t-il des contre-exemples ? P. B. : La copie révèle plus une dérive des marques de distributeurs qu’un dogme fondateur, si l’on se réfère à Marks et Spencer dans le textile ou à Casino dans l’alimentaire, enseignes fondées à leur origine sur l’innovation et la qualité. De même, en 1976, les « produits libres » de Carrefour pouvaient difficilement être taxés de copies dans leur aspect ou leur communication. Et Carrefour a montré à maintes occasions à la fin des années 1980 un souci de se différencier des marques nationales en s’affranchissant à la fois de la copie des emballages et des segmentations. Il s’organisait en collaboration avec ses fournisseurs, pour améliorer la qualité, tout en optimisant les coûts, pour le plus grand bénéfice des clients finaux. Cette stratégie a été hélas progressivement abandonnée après 1995, au profit d’une complication de l’offre et d’une montée en prix, avec à la clé une perte de lisibilité. La tentation de la copie est d’autant plus forte que le nombre de références explose et ne permet plus aux jeunes chefs de produit de s’impliquer à fond dans la recherche de la différenciation. La copie du produit phare s’avère à moyen terme contre-productive, dans la mesure où elle revient à nier la différenciation entre les enseignes, avec le risque de faire apparaître les MDD comme des génériques. Les distributeurs ont cependant des excuses, car à la différence de ce que connaît la culture anglo-saxonne le statut de producteur, industriel ou agricole, est plus valorisé en France que celui de commerçant. Une révolution culturelle serait bienvenue, pour une stratégie de croissance durable, dans laquelle le commerce a un rôle moteur à jouer. Copier les industriels devient destructeur de valeur lorsque cela s’accompagne d’une cannibalisation, et cela ne dynamise pas les catégories. La copie est aussi une rançon du succès. Les MDD se copient entre elles (« Reflets de France » par « Nos régions ont du talent »…). Sur quoi porte l’imitation : le nom du produit, la marque, le format, l’emballage, les codes couleurs, le produit lui-même, la gamme ? P. B. : L’emballage se trouve souvent en première ligne, en raison de la rapidité de l’acte d’achat en magasin. La ressemblance, consciente ou subliminale, peut induire la confusion et encourager la substitution de la MDD au produit phare, par erreur. Justifier la copie de l’emballage sous prétexte de codes de marchés (par exemple la couleur jaune de Nesquik) est à mon sens un argument de mauvaise foi et un manque de courage incompatible avec l’affirmation d’un statut de marque. Copier la forme peut aussi être tentant (plagiat du pot Bonne Maman par la majorité des enseignes, hors Carrefour qui s’y refuse depuis 1986). Se différencier par l’emballage d’un produit détergent ou d’un pot de yaourt semble plus difficile. Mais la copie s’applique aussi à la définition du produit et à la liste des ingrédients, dès lors que les MDD se contentent d’être aussi bonnes que les produits phares sans chercher à être meilleures. La copie ne se limite pas aux emballages ou aux recettes. Elle s’étend à l’hypersegmentation des industriels, aux profils mercatiques des chefs de produit, aux techniques promotionnelles ou à la communication. Copier n’est cependant pas une fatalité pour les MDD : Décathlon, Picard, Ikea, ont su faire preuve de créativité et d’innovation, à commencer par les équipes mises en place et par les processus de développement. Qu’est-ce qui relève de l’imitation, ou plutôt de la tendance, voire de la mode ? P. B. : S’agissant des MDD, souscrire comme ses concurrents aux tendances autoréalisatrices revient à nier l’existence d’un point de vue original et cohérent dans le temps. La question se pose de savoir si une MDD n’a pas vocation, au contraire, à porter des points de repère fiables, pertinents et durables pour garantir les fondements d’une consommation responsable. Comme le disait Henri Guitton, « vouloir être dans le vent n’est qu’une ambition de feuille morte ». Certaines enseignes sont-elles plus portées que d’autres à imiter ? P. B. : Ce sont souvent celles qui ont découvert sur le tard les avantages de la MDD et qui s’y sont ralliées par opportunisme plus que par conviction. Certaines ont même revendiqué ostensiblement les vertus de l’imitation, et donnent dans la provocation au travers de campagnes de communication. L’étalonnage n’est-il pas une manière d’imiter – comme les tuiles en chocolat Poulain ou Lu qui s’inspirent du format des tuiles Pringles ? P. B. : Cela consistait à l’origine à identifier les bonnes pratiques des concurrents dans un domaine d’activité. C’est un bon moyen de se mettre au niveau des meilleurs, mais cela ne permet pas de prendre un avantage concurrentiel durable. Je préfère la notion de fertilisation croisée, qui permet d’identifier de bonnes idées et de les transférer à un autre secteur, en s’appuyant sur une approche pluridisciplinaire, comme c’est le propre de la MDD. Par leur transversalité, les MDD bénéficient en effet d’un avantage considérable sur les marques plus spécialisées. En matière de R&D, des pistes d’innovation dans le mode de collaboration avec les fournisseurs pourraient par exemple être recherchées dans les secteurs automobile ou pharmaceutique. Une autre voie consiste à identifier de nouveaux produits ou emballages, de nouveaux services dans d’autres pays, pour les adapter aux spécificités de la France. L’inspiration et l’imitation relèvent de deux philosophies très différentes. Quelle est la situation dans les autres pays ? Une récente étude de l’Association des industries de marque (AIM) consacrée au parasitisme semble prouver que l’imitation fait florès chez les distributeurs européens, dont Tesco. P. B. : C’est faire un mauvais procès aux MDD anglaises que de les accuser de plagiat, quand on connaît leur créativité dans l’animation et la création de valeur dans les catégories. La question est de savoir si une similitude toujours possible est délibérée ou accidentelle. Dans les deux cas, je considère que c’est toujours un mauvais service rendu à la MDD que de copier une marque. Cela ne m’est arrivé qu’une fois chez Carrefour, pour un édulcorant, et nous avions immédiatement modifié notre conditionnement. Plus il y a de produits et plus il peut y avoir de dérapages. On ne peut pas non plus accuser systématiquement les MDD de copier, quand les grandes marques automobiles reconnaissent sans complexe que des modèles concurrents bénéficient de la même plate-forme et ne se différencient plus que par une calandre. De quoi alimenter le doute des consommateurs sur les différences entre marques. Les MDD sont-elles aujourd’hui autre chose que des copies ? P. B. : Peu de MDD peuvent revendiquer pleinement le statut de marque. Leurs produits sont souvent remarquables en qualité et en compétitivité, grâce au professionnalisme de leurs fournisseurs, mais il leur manque trop souvent cette part d’immatériel qui crée l’attachement. Je ne peux que déplorer leur manque d’audace pour s’affranchir des modèles industriel et marketing qui ont prévalu au XXe siècle. Je demeure en revanche convaincu de leur potentiel pour incarner des marques de service participant à la clarification de l’offre et accompagnant les clients dans leur vie quotidienne, à l’image de Tesco avec sa promesse en vigueur depuis plus de trente ans, « Every little helps ». Une MDD peut devenir une vraie marque de fidélisation à condition de porter les couleurs et les valeurs des clients de l’enseigne, pour qu’ils se reconnaissent dans la marque du magasin. Comment aller de l’imitation à l’innovation ? P. B. : L’imitation peut se justifier lorsque le modèle copié est efficace et pertinent, ce qui n’est souvent plus le cas depuis longtemps. Mais se placer dans le peloton et faire supporter l’effort aux marques nationales n’est plus tenable, quand des MDD visent 50 % du marché en volume. Elles doivent participer à l’effort collectif pour animer les catégories, en replaçant le client au cœur de leur processus de développement. Rien ne sert de copier la segmentation ou la communication des marques si elles ne répondent plus aux attentes. Je déplore que les MDD aient succombé à la tentation de la copie et de la sophistication, plutôt que d’exploiter leurs spécificités. L’innovation ne doit pas tant ajouter de nouveaux produits noyés dans l’assortiment que refonder l’assortiment de façon intelligible pour les chalands, perdus devant la complexité de l’offre, notamment en matière de prix. Innover, c’est arriver le premier lorsqu’une idée rencontre un marché. Pour y parvenir il n’y a que deux solutions : partir avant, ou courir plus vite, ce qui n’est plus le point fort des distributeurs.

Propos recueillis par J. W.-A.

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