Bulletins de l'Ilec

Syncrétisme - Numéro 410

01/05/2010

Entretien avec Nicolas Péchenart, professeur de stratégie publicitaire à Sup de pub Paris

Ni science ni art, le marketing relève d’un pragmatisme mâtiné de quelques lois, dont celle de l’erreur. Entretien avec Nicolas Péchenart, professeur de stratégie publicitaire à Sup de pub Paris Le marketing entre-t-il dans la catégorie des sciences, et si oui des « dures » ou des « molles » ? Nicolas Pechenart : La science est recherche de solutions, mise en place de méthodes qui permettent d’aboutir à des raisonnements les plus exacts possible. Il y a des points communs entre le marketing et la science, des raisonnements qui s’apparentent à des raisonnements scientifiques ou qui doivent être conduits avec la même rigueur. La question « le marketing est-il un art ? » pourrait être posée. Parmi de nombreuses définitions, celle-ci résume bien le marketing : il est un ensemble de techniques d’étude, d’actions qui permettent à une entreprise d’optimiser ses ventes en agissant sur le marché. Il y a une part d’intuition qui laisse à penser que le marketing peut être un art autant qu’une science. Quels critères permettent de parler de science et qualifieraient le marketing en tant que tel ? Le caractère explicatif ? Prédictif ? La réfutabilité ? N. P. : J’ai une vision intuitive du marketing. Deux visions sont souvent opposées. La première est celle du marketing proctérien (Procter & Gamble), qui met en place des procédés, des schémas très encadrés. On peut parler de protocoles, comme en science, qui permettent une prise de risque minimale pour des résultats optimaux. La deuxième vision est celle du marketing loréalien (L’Oréal), qui laisse une grande place à l’intuition, se nourrit de chiffres mais n’oublie pas la dimension qualitative. Le risque pris est plus grand, mais il s’avère souvent payant si, en retour, l’offre est bien orientée. Parler de science, c’est évoquer l’aspect non discutable d’un certain nombre de principes. À cet égard, on pourrait dire que le marketing est une science. Comme l’économie, il serait classé comme une science humaine. Mais le marketing n’est ni une science ni un art, il se nourrit de ces deux domaines. Quel est l’objet du marketing ? N. P. : Son objet est de trouver des solutions pour une entreprise, afin de lui permettre d’optimiser son offre, de penser son marché et la rencontre entre l’offre et la demande. Le marché, mondial ou local, a deux acteurs, un demandeur qui achète pour répondre à des besoins, confronté à une offre multiple, et un offreur qui doit penser son univers pour adapter son offre à la demande, en agissant soit sur la demande, soit sur l’offre, soit encore sur son environnement, en se nourrissant de celui-ci. Dans quel univers de savoir – université, agence, entreprise – est né le marketing ? N. P. : Il est né dans l’entreprise, au moment de la naissance de l’économie de marché. Dès le début des révolutions industrielles, les produits furent pensés pour répondre à des besoins. On faisait alors du marketing sans le savoir. À la fin du xixe siècle, la concurrence était forte, aussi les entrepreneurs étaient-ils conduits à réfléchir à la façon de situer leurs marques pour se différencier. Cet enjeu s’est accentué dans des contextes économiques de structuration des marchés nationaux, comme après la guerre de Sécession aux Etats-Unis. C’est le moment où les premiers annonceurs en publicité, comme Quaker Oats, sont apparus. Les premières agences sont nées, comme J. Walter Thomson en 1877, pour répondre à des besoins en agissant sur le marché, par un conditionnement adapté et une réclame pertinente. Existe-t-il en marketing des écoles de pensée, voire des gourous ? N. P. : Il y a de grands penseurs, comme Philip Kotler aux Etats-Unis ou Bernard Dubois, Jacques Landrevie et Jean-Noël Kapferer en France, qui ont formé des générations d’étudiants. Pour ma part, j’apprends à mes étudiants à comprendre les enjeux mercatiques, pour trouver des solutions de communication sur le plan tant de la stratégie créative que d’un dispositif opérationnel. Ma démarche est fondée sur la pédagogie inductive. De l’exercice se dégage la règle. L’étudiant cherche des éléments pour construire et comprendre le cours. C’est une méthode à l’américaine. Pour l’approche théorique, je suggère aux étudiants la lecture de Marketing Management de Philip Kotler et Bernard Dubois, du Mercator de Jacques Landrevie, ou encore de Jean-Noël Kapferer et de ses Marques, capital de l’entreprise, car la gestion de la marque est un domaine d’action commun au marketeur et au publicitaire. Dans l’enseignement, des études de cas sont très utilisées : des cas fictifs, où l’on doit par exemple sauver l’image d’une entreprise à l’issue d’une crise, ou réels, comme le lancement d’un ordinateur pour les séniors. Nous étudions l’univers de l’entreprise, son ancienneté, sa légitimité, sa concurrence, ses cibles, ses offres, tout ce qui se rattache à la marque et à son univers. La réflexion va plus loin que les « 4 p » (produit, prix, place, promotion). Le respect de ces procédés rappelle la rigueur scientifique. Au reste, on utilise des notions scientifiques comme « diagnostic », terme médical. Un bon enseignant se nourrit de toutes les théories à sa disposition, car une approche globale de cette science ne doit se couper d’aucun apport. L’évolution du marketing comme champ de connaissance se fait-elle par ruptures ou par sédimentation et accumulation ? N. P. : Nous fonctionnons plutôt par ruptures, car le marketing consiste à casser des idées reçues afin de se poser le maximum de questions. Si on se repose sur des acquis, on a toutes les chances de s’endormir, or le concurrent ne dort pas ! En marketing, l’idée de rupture est primordiale et doit se retrouver dans l’enseignement. Les instruments de la science pour mesurer, prévoir, anticiper, sont-ils pertinents dans le marketing ? N. P. : Ils sont très utilisés pour les approches quantitatives. Le rôle du marketing est aussi d’encadrer les risques, car il n’y a pas de stratégie sans prise de risque. Toute mise en avant d’un produit est une prise de risque. Le rôle du marketing est de la réduire le plus possible. Au nombre des outils utilisés, les statistiques permettent de trouver des résultats par les chiffres : derrière un coefficient saisonnier, il est possible de découvrir une niche de marché. Les mathématiques sont beaucoup utilisées, autant la géométrie que l’algèbre, car toutes les études utilisent des représentations graphiques. Le marketing se nourrit de tous les univers des sciences humaines, la psychologie, la sociologie, l’histoire, afin de comprendre l’environnement d’une marque. Peut-on parler de lois dans la mercatique, et si oui, desquelles ? Sont-elles pérennes ? N. P. : De nombreuses lois existent, comme celles énumérées dans les Vingt-Deux Lois du marketing d’Al Ries et Jack Trout. Si vous les transgressez, c’est à vos risques et périls. On peut mentionner aussi la loi du premier arrivant : créer une niche de marché, c’est créer une opportunité telle que lorsque les concurrents surviennent leurs efforts servent le premier venu. Le contexte économique et l’activité sont soumis à des règles, de la conception à la commercialisation. Une science dispose de modèles, de grilles d’analyse… En existe-t-il dans l’analyse du comportement du consommateur ? N. P. : Le ciblage des consommateurs fait appel à deux familles de techniques : la segmentation et la typologie, des approches opposées, avec chacune sa rigueur propre, et créatrices de profils différents. Ces grilles d’analyse permettent de savoir à qui s’adressent les entreprises, qui choisissent les modèles qui leur conviennent selon leur culture et selon les enjeux. Peut-on mesurer scientifiquement l’efficacité publicitaire ? N. P. : Il y a pour cela des pré-tests, consistant à mesurer la mémorisation d’une affiche en la projetant à un groupe témoin. D’autres techniques existent, comme le tirage équifractionné, qui fonctionne avec des coupons, mais cette technique est obsolète. Ces techniques quantitatives et qualitatives permettent d’optimiser ou de minimiser la prise de risque. A posteriori, des tests sont effectués pour connaître l’impact d’une campagne, comprendre la mémorisation du message, son attribution, son agrément, l’intention d’achat associée. Internet permet un retour direct (clics des internautes), de moduler le budget médias et d’aboutir à un ciblage optimal. Quelles sont les limites du marketing ? N. P. : Si l’on estime qu’il est une science, il est tout sauf une science exacte ! Les facteurs environnementaux ont leur place et il revient au marketeur de les envisager, avec la probabilité de se tromper souvent.

Propos recueillis par Carole Van Steelant

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