Bulletins de l'Ilec

Science de bon sens - Numéro 410

01/05/2010

Entretien avec Frank Tapiro, président de l’agence Hémisphère droit

Une marque s’apparente à un être vivant, et sa création, sa singularité et son aptitude à durer prennent appui sur des sciences humaines. Où l’imprévisible est souvent de la partie. Entretien avec Frank Tapiro, président de l’agence Hémisphère droit Le marketing est-il pour vous une science, et quel en serait l’objet ? Frank Tapiro : Il en est une, puisqu’il est une somme de connaissances et que cette discipline nécessite un certain savoir. Il est une science humaine en ce qu’il tente de mesurer les attentes des consommateurs, pour leur proposer des produits adaptés. Son objet est de définir si un marché existe pour un produit, un besoin, une envie, une réponse à un problème, un public, une activité. On ne peut s’improviser marketeur, même avec beaucoup d’intuition. Il y a quelques règles à connaître, et surtout une somme d’erreurs à ne pas commettre. Mais il n’y a pas de lois, ni de dogmes, juste quelques trucs, règles ou astuces. Comment aurait-on pu par exemple imaginer qu’Orangina allait devenir un succès, après qu’avait été raté le mélange de la pulpe ? Comme toujours certaines marques ou produits provoquent un bigbang en rompant avec les codes. La plus belle définition du marketing est pour moi l’amour des marques. Et sa limite serait son inaptitude émotionnelle. Une science dispose de modèles, de grilles d’analyse… En existe-t-il dans l’analyse du comportement du consommateur ? F. T. : La seule grille d’analyse du comportement du consommateur qui soit valable est l’alternative « J’aime, je n’aime pas ». L’approche quantitativiste fondée sur les études de marché et les marchés tests, est-elle la plus rigoureuse ? F. T. : Les approches quantitatives sont rationnelles, mais il leur manque la prise en compte d’un aspect émotionnel qui est de plus en plus déterminant pour le déclenchement d’achat. Les études sont hémiplégiques. Cerveau gauche, mais pas assez de cerveau droit. Peut-on mesurer scientifiquement l’efficacité publicitaire ? F. T. : Il faudrait pouvoir mesurer la création de désir dans l’inconscient. C’est donc impossible. Quand une publicité marche, on dit que c’est grâce au produit. Quand elle ne marche pas, c’est toujours la faute des publicitaires. Pourtant, à chaque campagne, les courbes de ventes augmentent instantanément… Dans quel univers de savoir – université, agence, entreprise – est né le marketing ? F. T. : Le marketing a été inventé par les entreprises, qui ont aussi inventé la promotion et la publicité, disciplines jadis intégrées. L’aspirateur a existé avant le démarcheur. A-t-il toujours été le même ? F. T. : Le marketing est né avec le nouveau marché d’après guerre, au début des années 1950, dans la soif de réinventer le monde, de nouveaux désirs, de nouvelles coutumes. Il était lié au risque et à l’innovation. Le marketing des années 1970 était lié à la masse, au volume. Celui des années 1980, à la mode. Celui des années 1990, à la crise. Celui des années 2000 a visé à la création de nouveaux liens : nouvelles tribus, multiplication des cibles, nouveaux publics. A quelles sciences le marketing emprunte-t-il le plus ? N’abuse-t-il pas d’emprunts qui font sérieux, comme « code génétique de la marque », mais n’ont de valeur que métaphorique ? F. T. : Il emprunte à plusieurs disciplines : sémiologie, étymologie, psychologie, sociologie, psychanalyse, politiques économiques et sociales, et bien sûr génétique. Mon outil du génome des marques « ADN », ou « Authentique Différence naturelle (®) », permet de considérer une marque comme un être vivant et d’étudier les valeurs fondamentales qui ont garanti son succès. La plupart des échecs spectaculaires qui ont pu être observés correspondent à une aberration génétique entre le produit et la marque : par exemple le New Coke de Coca-Cola ou le parfum Bic. Existe-t-il des écoles ou des maîtres à penser incompatibles ? F. T. : Tous les gourous ont mal fini. Les gourous, en marketing, arrivent toujours après la bataille et se servent de dogmes, modèles éculés et vieilles ficelles, pour garantir à une entreprise le succès ou prévenir un échec. La seule école de pensée valable est celle du bon sens. Propos recueillis par J. W.-A.

Propos recueillis par J. W.-A.

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