Bulletins de l'Ilec

La garante de l’équilibre - Numéro 417

01/02/2011

Entretien avec Marylise Lebranchu, député du Finistère et ancienne secrétaire d’Etat au Commerce (1997 à 2000)

Née de la volonté de rendre les relations commerciales plus transparentes et loyales, et de les pacifier, la CEPC a fait la démonstration, dix ans après sa naissance, de son utilité. Entretien avec Marylise Lebranchu, député du Finistère et ancienne secrétaire d’Etat au Commerce (1997 à 2000) La CEPC fut-elle une création ex nihilo (loi NRE 2001) ? Marylise Lebranchu : Si votre question est : « est-ce une commission qui a succédé à une commission antérieure ? », la réponse est claire, la CEPC est une création ex nihilo. Il n’y avait rien de ressemblant avant, même de loin. Mais si votre question est : « rien n’annonçait-il la création d’une CEPC en 2001 ? », la réponse est non, la CEPC est l’aboutissement d’un processus, parfois un peu tendu mais constructif, avec des acteurs qui avaient décidé de discuter de leurs métiers, de sortir de leurs tranchées, ai-je envie de dire. Ils avaient compris que leur avenir ne pouvait être durable s’il était fondé sur une ignorance, voire un mépris mutuel. La CEPC est née de ce mouvement. Le gouvernement a été un facilitateur, et un médiateur. Ce rôle était partie intégrante de la conception de la « nouvelle régulation » de l’économie : ni un Etat qui intervient en dehors de son champ légitime de compétence (les contrats commerciaux), ni un Etat qui ignore l’économie lorsque les logiques de prédation, l’absence du droit génèrent des déséquilibres et le désordre public. Nous voulions être, nous devions être, les garants des équilibres. Qui a défini son champ de compétence ? Selon quels critères ? M. L. : La compétence résultait de l’objectif de la loi et, avant tout, il fallait poser le constat à plat, factuel, partagé, de la réalité des pratiques. On entendait beaucoup de choses, les opérateurs venaient me faire part de leur inquiétude, leur colère aussi parfois. J’avais le sentiment que la machine pouvait parfois s’emballer. Les dirigeants de la grande distribution ne mesuraient pas toujours les conséquences concrètes de la guerre sur les marges. Dans leurs services, les acheteurs pouvaient aller trop loin. En même temps, il n’était pas question de créer un système de marges administrées, cette hypothèse n’a jamais été envisagée, tant elle nous paraissait absurde. Le message adressé en fixant le champ de compétence de la Commission était le suivant : « Discutez entre vous, partagez vos analyses, utilisez votre liberté, mais attention, si abus avéré il y a, l’Etat répressif interviendra pour punir, envoyer un signal à tous et rétablir les équilibres. » A l’époque, le message a été bien compris, et par tous les acteurs. Au Parlement, les accords sur le texte ont transcendé les clivages habituels, même si certains étaient un peu sceptiques, et je leur fais crédit de leur bonne foi. La période de croissance a aussi aidé à une certaine détente dans les relations commerciales. Depuis l’automne 2008, la CEPC, auparavant présidée par un magistrat, a un parlementaire à sa tête, ce en quoi elle se distingue des autres instances de régulation et de médiation. Ce changement vous paraît-il significatif ? M. L. : Il y a beaucoup de commissions auxquelles participent des parlementaires, ou qu’ils président. Le magistrat apportait la garantie de la neutralité et la capacité immédiate de percevoir la dimension légale ou non des sujets, et les éventuelles implications devant la justice. C’était un atout. Cela ne condamne pas, en soi, une présidence par un parlementaire, qui peut même être un avantage s’il apporte une connaissance intime des réalités des territoires, à la condition bien sûr qu’il ne transige pas ou ne se laisse pas entraîner quand l’ordre public est en question. Commissions, médiateurs, codes de conduite… La CEPC s’inscrit-elle dans une avancée d’un « droit mou », équivalent de la soft law anglo-saxonne ? M. L. : Cette référence au droit anglais m’a toujours paru un contresens. Ce sont les Normands de France qui sont à l’origine de l’essentiel du droit anglais et la Magna Carta n’était pas du « droit mou » comme vous dites. Notre conclusion commune avec les acteurs, à la fin des années quatre-vingt-dix, était que régler le problème compliqué, fluide, instable et au cœur du droit privé (les relations commerciales) par une législation impérative risquait d’être inefficace, au mieux, et contre-productif au pis. Rappelez-vous que l’absence de transparence dans ce secteur gangrenait le débat public. Je suis d’ailleurs inquiète quand il y a trop de silence : ce n’est pas un bon signe de la qualité des relations entre les opérateurs. Avec la loi NRE, nous avons établi le cadre du débat, la règle du jeu, en surveillant la loyauté de la compétition. Je ne crois pas que ce soit du droit mou. L’activité de la CEPC, depuis 2002, vous a-t-elle semblé souffrir de la succession des lois et des périodes d’incertitude législative ? Avec ces années de recul, comment vous apparaissent son bilan et son évolution ? M. L. : Critiquer la succession des lois est un peu facile, et je ne rejoins pas ce courant. Il ne faut pas oublier que les acteurs eux-mêmes sont les premiers demandeurs d’évolutions et d’adaptations, ce sont des demandes que le législateur ne peut pas ignorer, pour une stabilité aux vertus hypothétiques. En même temps, il faut, sur la question des pratiques commerciales, rester circonspect : le droit commercial, les règles communautaires, interdisent pratiquement au législateur de réinventer par la loi seule les pratiques commerciales. C’est une des leçons que je tire des dix dernières années. Je retiens que l’Etat doit organiser le débat public. Rien de plus inquiétant que son absence : il peut cacher des situations de pression, des pratiques abusives, et à terme la destruction de richesses, d’emplois. Pour répondre sur le bilan de la Commission, je ne voudrais pas formuler de jugement hâtif, je relève seulement que dix ans après sa création elle est toujours là, dans le paysage du secteur, qui l’a accepté. De ce point de vue, ce que nous avons fait avec la NRE en 2001 aura été utile.

Jean Watin-Augouard

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.