Bulletins de l'Ilec

Un expert doté d’autorité - Numéro 417

01/02/2011

Entretien avec Francis Delbarre, avocat honoraire, membre de la CEPC

Plus tournée vers les cas concrets que les recommandations générales, la CEPC a acquis grâce à son paritarisme et à sa réactivité une légitimité remarquable. Entretien avec Francis Delbarre, avocat honoraire, membre de la CEPC Qui a défini le champ de compétence de la CEPC ? Selon quels critères ? Francis Delbarre : Les compétences de la CEPC sont définies par le Code de commerce de manière très large. La Commission a pour mission de donner des avis ou de formuler des recommandations sur les questions, les contrats, les documents commerciaux ou publicitaires ainsi que sur les pratiques concernant les relations commerciales entre producteurs, fournisseurs et revendeurs. Ses avis portent notamment sur la conformité au droit de la pratique ou du document dont elle a été saisie. Elle peut également émettre des recommandations d’ordre plus général sur les bonnes pratiques, en cours ou souhaitables, dans les relations commerciales. Depuis l’entrée en vigueur de la LME, la commission peut également être consultée pour avis par les juridictions qui ont à connaître de pratiques relevant de sa compétence. La Commission a été créée pour améliorer les relations entre fournisseurs et distributeurs. Souplesse de fonctionnement, réactivité, indépendance et composition paritaire sont les critères qui devraient lui permettre d’atteindre ce but, en incitant les opérateurs à ne pas recourir à des pratiques illicites et à respecter les principes de bonne foi et de loyauté dans la conclusion et l’exécution des contrats. Est-elle une instance d’un type nouveau ? En existe-t-il des équivalents dans d’autres domaines, hormis la Commission des clauses abusives pour les relations entre professionnels et consommateurs ? F. D. : La CEPC est un organisme original. Ne disposant d’aucun pouvoir de sanction, elle n’est ni un degré de juridiction, ni un organe de régulation. Elle n’est pas non plus un arbitre ou un médiateur, car elle n’est pas saisie par les deux parties à un litige. On a comparé son rôle à celui de la Commission des clauses abusives ; toutefois celle-ci se prononce sur des modèles de conventions, ce qui confère à ses recommandations un caractère général, alors que la CEPC peut être saisie sur un rapport bilatéral particulier. Le rôle de la CEPC est donc celui d’un expert dont la consultation est largement ouverte. Comment s’insère-t-elle dans le paysage institutionnel, entre la DGCCRF, l’Autorité de la concurrence et les tribunaux ? Y a-t-il toujours complémentarité, ou parfois contradiction ? F. D. : La DGCCRF contrôle (ce n’est pas sa seule mission), l’Autorité de la concurrence et les tribunaux sanctionnent, s’il y a lieu, alors que la CEPC donne des avis d’expert. L’Autorité de la concurrence peut également émettre des avis, mais elle ne s’intéresse qu’à la concurrence sur les marchés, alors que la CEPC observe la concurrence chez les marchands. Il n’existe donc pas de risque de divergence d’interprétation, l’une et l’autre n’appliquant pas les mêmes textes. Une certaine complémentarité peut même être recherchée. Ainsi, dans son récent avis sur le management par catégorie, l’Autorité de la concurrence estime que la CEPC peut jouer un rôle très utile dans la formulation de bonnes pratiques, ainsi qu’en exerçant une certaine vigilance dans le domaine considéré. En 2003, le Conseil de la concurrence l’avait déjà saisie, pour avis, d’un dossier décrivant certaines pratiques relevées à l’occasion de la création d’une centrale de référencement. Les tribunaux tiennent-ils compte de ses avis ? F. D. : A ce jour, aucun tribunal n’a encore consulté pour avis la CEPC comme le permet la LME – et comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans sa récente décision sur le déséquilibre significatif. En revanche, l’avis de la CEPC a été suivi dans des affaires où il était invoqué. Le changement de qualité du président, hier magistrat, aujourd’hui parlementaire, a-t-il eu des incidences sur l’organisation de la CEPC, son mode de travail ? F. D. : Les deux premières présidences de la CEPC, par deux hauts magistrats de la Cour de cassation, ont correspondu à une période de mise en place (élaboration d’un règlement intérieur, notamment). Les affaires examinées ont alors donné lieu à des avis ou à des études où, sans négliger l’aspect économique, était privilégié l’aspect juridique. Avec la présidence de Jean-Paul Charié sont apparues les « questions-réponses ». Cette formule, empreinte du plus grand pragmatisme, permettait de répondre rapidement aux multiples questions que suscitait la LME (107 entre 2008 et 2010). Actuellement, les travaux de la Commission approfondissent aussi bien des questions purement juridiques (par exemple sur l’application de la LME dans le temps et dans l’espace), que des questions très concrètes (par exemple, comment traiter les achats de statistiques auprès d’un distributeur ? ). La CEPC vous paraît-elle perçue comme également légitime et utile par toutes les parties qui y siègent ? F. D. : La plupart des membres de la CEPC participent assidûment aux séances, ce qui laisse supposer qu’ils y trouvent quelque intérêt. Un petit nombre d​‌’entre eux, en revanche, s’abstiennent, pour des raisons qu’ils n’ont pas exposées. Commissions, médiateurs, codes de conduite… La CEPC s’inscrit-elle dans une avancée d’un « droit mou » ? F. D. : L’activité la plus fréquente de la CEPC consiste à interpréter le droit des pratiques restrictives de concurrence. Il s’agit d’un droit d’autant moins mou que certaines de ses dispositions sont assorties de sanctions pénales. Ce n’est que lorsque la CEPC est associée à l’élaboration d’un code de bonne conduite ou définit ce qu’elle estime être de bonnes pratiques, dans un domaine particulier, que l’on pourrait y voir un « droit mou ». Les commissions seraient-elles plus adaptées au tempérament français que les codes de conduite ? F. D. : Dans la mesure où elle jouit d’une certaine autorité morale, une commission officielle a sans doute plus de chances d’être écoutée qu’une profession agissant isolément. Mais il s’agit toujours de cas particuliers. L’activité de la CEPC, depuis 2001, a-t-elle souffert de la succession des lois et des périodes d’incertitude législative ? F. D.: Son activité est évidemment à la mesure de celle du législateur et reflète également la complexité des lois et règlements. C’est ainsi qu’elle a connu un pic avec l’entrée en vigueur de la LME. Le rôle et le travail de la CEPC ont-ils déjà connu des inflexions sensibles depuis sa création, sinon des tournants ? F. D. : C’est l’instauration du système des « questions-réponses » qui a introduit un certain changement dans les méthodes de travail, en exigeant une plus grande réactivité qui a entraîné un formalisme allégé.

Jean Watin-Augouard

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