Bulletins de l'Ilec

Une vigie - Numéro 417

01/02/2011

Entretien avec Muriel Chagny, professeur agrégé de droit à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

Chargée de dénoncer les comportements commerciaux illicites, la CEPC peut aussi promouvoir les bonnes pratiques. Pour non contraignant qu’il soit, son rôle d’appui aux instances judiciaires peut renforcer sa singularité. Entretien avec Muriel Chagny, professeur agrégé de droit à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines Qu’est-ce que la Commission d’examen des pratiques commerciales : une instance de régulation, de médiation ? Muriel Chagny : La loi NRE du 15 mai 2001 créant la Commission d’examen des pratiques commerciales n’a pas précisé la nature de celle-ci, et l’exposé des motifs du projet de loi n’a pas davantage abordé cette question. Cependant, le choix du vocabulaire apporte des indications. Le terme retenu – commission – décrit un groupe de personnes chargé d’une mission généralement de type consultatif, sans que s’y attache une autorité contraignante, contrairement au cas d’un conseil ou, plus encore, d’une autorité, qui ont des attributions de décision. Ainsi les prérogatives de la CEPC paraissent-elles bien différentes de celles conférées au Conseil de la concurrence, désormais Autorité de la concurrence. Comme le fait apparaître l’exposé des motifs du projet de loi sur les nouvelles régulations économique, la création de cet organe, initialement baptisé « Commission des pratiques commerciales et des relations contractuelles entre fournisseurs et distributeurs », répondait à la « mission principale de suivre l’évolution de la distribution et des relations entre producteurs et distributeurs, de mettre en valeur les bons usages commerciaux, en associant les opérateurs à la définition de ces référentiels ». Dans cette perspective, la NRE lui a conféré la mission, selon l’article L. 440-1 du Code de commerce, de « donner des avis ou formuler des recommandations », ainsi qu’un « rôle d’observatoire régulier des pratiques commerciales, des facturations et des contrats ». A quoi sert-elle ? M. C. : Il lui incombe, au titre de l’article cité, de donner son avis sur la conformité au droit d’une pratique ou d’un document. Elle concourt ainsi à la détection de comportements illicites, puisqu’elle peut les stigmatiser dans ses avis, sans pouvoir les sanctionner. Elle apparaît donc comme une « vigie de l’application de la loi », selon l’expression de sa présidente (Rapport 2009-2010, p. 3). Plus original, la Commission a la faculté d’adopter des recommandations, outre sur ce dont elle est saisie, sur toutes les questions entrant dans ses compétences, notamment celles portant sur le développement de bonnes pratiques. Elle est appelée de la sorte à jouer un rôle d’orientation des comportements qui consiste à « recommander et reconnaître les bonnes pratiques commerciales pour en faire des références » (Rapport d’activité 2009-2010, p. 3). Il faut cependant observer que trois recommandations générales seulement ont été adoptées, en près de dix ans d’activité. En outre, et bien que cela ne soit pas explicite dans les textes, la Commission peut constituer, de par ses différentes missions, un cénacle de discussions entre les opérateurs qui en sont membres, et in fine encourager les organisations professionnelles à négocier, en son sein ou en dehors. S’il s’agit d’une instance de régulation ou de médiation, cela dépend de l’acception retenue pour ces deux vocables, qui sont polysémiques. Si elle n’est pas à proprement parler une instance de médiation, choisie d’un commun accord par les protagonistes d’un litige, en vue de se voir proposer un projet de solution, la CEPC participe bel et bien à la recherche de voies d’apaisement de situations conflictuelles, dans les relations verticales. Elle n’apparaît pas non plus comme une instance de régulation au même titre que les autorités chargées d’un secteur économique particulier et investies à cette fin de pouvoirs contraignants, allant jusqu’à la fixation des tarifs. Mais si l’on entend le terme régulation dans son sens général, évoquant l’utilisation de la règle de droit pour établir des équilibres économiques et sociaux, nul doute que la CEPC peut être considérée comme un organe de régulation des pratiques commerciales. Ne revendique-t-elle pas sur son site de « veille[r] à l’équilibre des relations entre producteurs, fournisseurs et revendeurs au regard de la législation en vigueur » ? Est-elle une instance d’un type nouveau ? En existe-t-il des équivalents dans d’autres domaines ? M. C. : Dès l’époque de sa création, en 2001, nombreux sont ceux qui ont évoqué la parenté existant entre la CEPC et la Commission des clauses abusives issue de la loi du 10 janvier 1978 (articles L. 132-2 et suivants du Code de la consommation). Ce rapprochement pourrait sembler s’être accentué avec la loi du 4 août 2008 : non contente d’introduire dans le Code de commerce une règle manifestement inspirée de celle du Code de la consommation visant les clauses abusives, la LME a conféré aux juridictions la faculté de saisir pour avis la CEPC, pour les pratiques envisagées à l’article L. 442-6 du Code de commerce. Et elle a, à cette fin, largement repris le mécanisme existant en droit de la consommation pour la CCA. Réelle, la parenté ne doit pas dissimuler les différences. Au-delà du fait que la CEPC intervient dans des rapports exclusivement professionnels, tandis que la CCA est chargée des relations entre professionnels et consommateurs, la CEPC est investie d’une mission beaucoup plus large, loin de se borner à l’application d’une seule règle de droit, à l’instar de la CCA. La sienne s’étend bien au-delà, puisqu’elle est appelée à se prononcer non seulement sur le fondement du titre IV du livre IV du Code de commerce, mais aussi au regard de l’ensemble du droit de la concurrence, mais encore en application du droit commun comme du droit spécial des contrats. Par ailleurs, la CEPC n’est pas seulement chargée de mettre en évidence des pratiques contraires au droit, comme le fait la CCA, mais aussi d’identifier, dans ses recommandations, les bonnes pratiques, « dans une vision constructive de la vie commerciale », selon l’expression utilisée sur son site. A cet égard, on pourrait rapprocher la CEPC et la Commission de la sécurité des consommateurs (CSC), créée par la loi du 21 juillet 1983. En effet, la CSC a pour mission d’émettre des avis, mais aussi de proposer toute mesure de nature à améliorer la prévention des risques en matière de produits ou de services (Code de la consommation, article L. 534-5). Elle recense par ailleurs les accidents et les risques de la vie courante que peuvent présenter produits et services, ce en quoi elle s’apparente à un observatoire dans le domaine d’intervention particulier qui est le sien. Plus largement, il lui appartient d’assurer auprès du public la diffusion des informations, avis et recommandations qu’elle estime nécessaire. Outre la faculté qui lui est reconnue de se saisir d’office, la CSC peut être saisie par toute personne physique ou morale, ainsi que par les autorités judiciaires. Il faut toutefois relever qu’elle a la possibilité, faute d’éléments suffisamment probants au soutien de la saisine, de conclure par décision motivée qu’il n’y a pas lieu d’y donner suite (L. 534-6). Ce qui singularise la CEPC tient peut-être aussi, et surtout, à sa composition – avec la présence de parlementaires dont l’un peut exercer les fonctions de président –, ainsi qu’à un mode de fonctionnement original qui s’est précisé au fil du temps. Elle se positionne en effet comme un « organisme partenaire » et affirme son attachement au « principe de consensus » (Rapport 2009-2010, p. 3). Comment s’insère-t-elle dans le paysage institutionnel, entre la DGCCRF, l’Autorité de la concurrence et les tribunaux ? Y a-t-il toujours complémentarité, ou parfois double emploi voire contradiction ? M. C. : La CEPC a été, selon le décret d’application, « placée auprès du ministère chargée de l’Economie ». Parmi ses membres figurent quatre personnes de l’administration, dont le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ou l’un de ses représentants. Par ailleurs, la DGCCRF en assure le secrétariat. Les services de cette direction sont à l’origine d’une partie importante des saisines, même si au fil des années les saisines se sont diversifiées. Enfin, la CEPC peut demander qu’une enquête soit menée par des agents habilités. L’analyse à laquelle elle doit procéder, depuis la loi du 2 août 2005, des infractions aux dispositions du titre IV du livre IV, ainsi que des décisions rendues en matière civile, est facilitée par l’établissement, à l’initiative de la DGCCRF, de deux bilans annuels des décisions rendues sur le plan pénal et civil, par les juridictions devant lesquelles le ministre de l’Economie a agi à titre principal ou est intervenu. S’il est prévu depuis l’origine que l’autorité chargée du bon fonctionnement du marché – le Conseil puis l’Autorité de la concurrence – peut saisir la CEPC, cette faculté n’a guère été utilisée. Il est vrai que l’Autorité de la concurrence ne peut se prononcer qu’au regard des dispositions relatives au droit des pratiques anticoncurrentielles et au contrôle des opérations de concurrence. Dans l’un et l’autre cas, elle est investie d’un pouvoir de décision et, le cas échéant, de sanction, là où le rôle de la CEPC est consultatif. Cela étant, il a pu arriver que les deux instances soient appelées à intervenir dans un même dossier, au titre de leurs compétences respectives : tel est le cas de l’accord interprofessionnel conclu dans la filière automobile, à propos duquel ont successivement été saisis pour avis la CEPC (avis n° 07-03 relatif aux délais de paiement dans la filière automobile et projet de décret, BOCCRF du 31 juillet 2007), puis le Conseil de la concurrence (avis du 9 novembre 2007, BOCCRF du 30 décembre 2007). Cela pourrait être appelé à se développer dans un avenir proche, pour une double raison : parce que l’on assiste, depuis l’octroi d’une faculté d’autosaisine pour avis, à une montée en puissance du rôle consultatif de l’Autorité de la concurrence ; et parce que celle-ci manifeste un intérêt plus marqué que par le passé pour la distribution (voir son avis du 7 décembre 2010 sur les contrats d’affiliation de magasins indépendants), et paraît décidée à exercer, notamment par recommandations, une régulation de ce secteur qui est, sinon le domaine exclusif de la CEPC, du moins son champ d’examen par excellence. Le rôle de la CEPC et celui des juridictions peuvent paraître complémentaires, surtout depuis que la LME a accordé à celles-ci la faculté de saisir celle-là pour avis sur toutes les pratiques visées à l’article L. 442-6 du Code de commerce. Dans sa décision du 13 janvier 2011 relative à la conformité de l’article L. 442-6-I-2° du Code au principe de légalité des délits et des peines, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs fait grand cas de cette possibilité offerte au juge judiciaire. Cette faculté semble être restée lettre morte, mais cela ne signifie pas que la CEPC ne joue pas déjà un rôle d’appui aux instances judiciaires, par les bilans de jurisprudence dont elle assure les commentaires ou par ses avis et recommandations. Pour être dépourvus de valeur contraignante, ils n’en ont pas moins une quasi-normativité de fait, des juridictions pouvant s’y référer au moment de qualifier des pratiques (voir notamment la décision du tribunal de commerce de Lille, le 16 janvier 2010, dans une affaire Castorama). Cela serait particulièrement vrai dans l’hypothèse où un tribunal prendrait soin, alors qu’il n’y est pas tenu, de solliciter la CEPC : on peine à imaginer qu’il ne tienne aucun compte de l’avis rendu par elle. Depuis 2008, la CEPC a un parlementaire à sa tête, ce en quoi elle se distingue des autres instances de régulation ou de médiation. Qu’est-ce qui justifie cette exception ? Serait-ce un exemple à suivre ailleurs ? M. C. : La présidence par un parlementaire peut donner à l’activité de la CEPC une orientation différente de celle suivie lorsque la présidence était assurée par un magistrat. Dans un domaine à forts enjeux de politique économique, cela peut renforcer, par une promotion volontariste, le rôle et la visibilité de la Commission auprès des milieux professionnels concernés, les inciter à entrer en négociation et à modifier spontanément leurs pratiques. Cela améliore aussi son ancrage institutionnel. Une telle présidence peut en outre accroître l’influence des recommandations sur le législateur, orienter une intervention législative. Cela ne signifie pas que cette option doit être étendue. Il est loin d’être certain que l’activité de la Commission des clauses abusives, centrée sur l’examen des contrats, gagnerait à un tel changement. La CEPC s’inscrit-elle dans une avancée d’un « droit mou », équivalent de la soft law anglo-saxonne ? M. C. : On évoque de plus en plus le « droit mou » ou le « droit souple », mais le recours à des normes dépourvues de force contraignante est loin d’être nouveau en droit de la concurrence. Comme nombre de droits économiques, cette discipline fait une place significative aux normes infralégislatives et même infraréglementaires. Le changement tient davantage à leurs auteurs : il s’agit dorénavant plus de la CEPC et de l’Autorité de la concurrence que de la DGCCRF. L’expression de « droit mou » recouvre des situations bien différentes. Il y a loin entre le communiqué de procédure que s’apprête à adopter l’Autorité de la concurrence, pour expliciter sa politique de sanction pécuniaire, et l’avis ou la recommandation de la CEPC, qui n’exerce qu’un magistère d’influence. Ses avis ou recommandations n’ont d’effectivité qu’à travers leur valeur persuasive, en ce qu’ils peuvent donner lieu à une application spontanée par les entreprises, ou en ce que les juridictions, sans s’estimer liées par eux, peuvent s’en inspirer. Les commissions seraient-elles plus adaptées au tempérament français que les codes de conduite ? M. C. : Il n’y a pas lieu d’opposer commissions et codes de conduite, du moins si l’on s’en tient au cas de la CEPC. En mettant en évidence ou en recommandant de bonnes pratiques, celle-ci peut en favoriser la reconnaissance et la valorisation. Compte tenu de sa composition et de la recherche de consensus en son sein, elle constitue un cénacle de discussions propices à la négociation et à l’adoption de codes de bonne conduite.

Jean Watin-Augouard

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