Bulletins de l'Ilec

Sans états d’âme - Numéro 418

01/03/2011

Entretien avec la Direction générale de la Concurrence (DGC) à Bruxelles1

Soucieuse de la stricte application des règles, la Direction générale de la Concurrence à la Commission européenne se dit sensible à l’éventuelle détresse financière de certaines entreprises, mais réaffirme que le niveau de l’amende doit rendre l’appât du gain dérisoire. Entretien avec la Direction générale de la Concurrence (DGC) à Bruxelles1 L’augmentation du montant des amendes ces dernières années s’expliquerait par le fait qu’elles n´étaient pas assez dissuasives par rapport au préjudice que les violations des règles causent à l’économie. La mondialisation vous conduit-elle à une nouvelle approche ? L’inégalité de traitement des sanctions selon les pays (Etats-Unis, Chine…) est-elle prise en compte ? DGC : La mondialisation a pour conséquence qu’un nombre considérable de cartels sont d’une envergure mondiale. Puisque la Commission impose ses sanctions au regard de la valeur du marché concerné dans l’UE, la mondialisation ne conduit pas à une nouvelle approche des amendes. La Commission ne prend pas en compte le niveau des amendes infligées sous d’autres juridictions pour déterminer ses propres sanctions dans des cas individuels, car les sanctions de la Commission sont déterminées au regard de la valeur concernée (et donc du dégât causé) par l’infraction sur le seul marché européen. La dissuasion (sanction optimale) au moyen de sanctions plus élevées est-elle efficace ? La récidive baisse-t-elle à proportion de l’inflation du montant des amendes ? DGC : L’existence d’amendes suffisamment dissuasives constitue un instrument majeur de lutte contre les infractions aux règles en matière d’ententes, donc un facteur essentiel de l’efficacité de la politique de la concurrence. Il est trop tôt pour déterminer si les sanctions imposées en application des lignes directrices2 sur les amendes de 2006 ont fait baisser la récidive. Mais il est clair que les entreprises prennent aujourd’hui très au sérieux les infractions au droit de la concurrence et ont multiplié leurs efforts pour éviter des infractions, par exemple avec des « programmes de conformité ». La majoration pour réitération est-elle raisonnable, quand la situation économique et financière, ou la direction, de l’entreprise en cause a radicalement changé entre les deux occurrences de la pratique incriminée ? DGC : La Cour a constaté à plusieurs reprises (par exemple en 2002 et 2006 dans l’affaire du marché belge de la bière – affaire T-38/02 confirmée par C-3/06) que, dans une optique de dissuasion, la récidive est une circonstance qui justifie une augmentation considérable du montant de l’amende. Elle constitue la preuve de ce que la sanction antérieurement imposée n’a pas été suffisamment dissuasive pour l’entreprise en cause. La Commission impose des sanctions à des entreprises et non pas à des personnes physiques. Il est normal que la situation économique et financière d’une entreprise change, parfois même pendant la même infraction, qui peut durer dix ans ou plus. Cela ne diminue nullement le besoin d’imposer une sanction dissuasive à une entreprise qui a transgressé le droit de la concurrence à plusieurs reprises. La DG Concurrence procède-t-elle à une étude d’impact économique (investissements, emploi, sauvegarde de l’entreprise…) avant de prononcer une sanction ? DGC : Les amendes infligées par la Commission sont justifiées par la double nécessité de sanctionner les comportements fautifs et d’éviter les violations du droit de la concurrence de l’UE. De telles infractions, en particulier les ententes, sont particulièrement lucratives pour ceux qui s’y adonnent. Pour être efficace, la sanction doit donc excéder les gains potentiels, réalisés au détriment du consommateur et des entreprises victimes des cartels. C’est l’objectif visé par la méthode de la Commission pour calculer les amendes (lignes directrices de 2006). Il convient dans le même temps d’éviter toute disproportion. C’est pourquoi les amendes sont limitées à un maximum de 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée. Et la Commission peut accorder une réduction de l’amende lorsque l’entreprise n’a pas de capacité suffisante pour payer. En revanche, le simple fait de connaître des difficultés économiques ou financières ne peut constituer un argument pour échapper à ses responsabilités. Les entreprises qui commettent des infractions au droit de la concurrence prennent des risques en connaissance de cause. Le critère de la « faculté contributive », ouvrant la possibilité d’une réduction de l’amende, est limité à des « circonstances exceptionnelles ». Lesquelles ? S’agit-il seulement de situations de faible activité, ou d’autres circonstances (compétition pour une acquisition externe, OPA hostile, etc.) peuvent-elles être prises en considération dans un contexte dynamique ? DGC : Le point 35 des lignes directrices sur les amendes de 2006 indique que « dans des circonstances exceptionnelles, la Commission peut, sur demande, tenir compte de l’absence de capacité contributive d’une entreprise dans un contexte social et économique particulier ». Il s’agit de situations où l’imposition de l’amende mettrait irrémédiablement en danger la viabilité économique de l’entreprise. Aucune réduction d’amende ne pourra être accordée à ce titre en raison d’une situation financière simplement défavorable ou déficitaire. En revanche, la Commission n’a aucun intérêt à faire disparaître des entreprises du marché, en particulier en période de crise économique. C’est pourquoi elle examine soigneusement la situation financière de celles qui excipent de leur « incapacité contributive ». Des réductions peuvent être accordées dans des situations claires de détresse financière causée par l’amende. Récemment, la Commission s’est prononcée sur cinquante demandes. Après une analyse attentive de l’impact des amendes sur la situation financière des entreprises, elle en a réduit dix : réduction significative dans le cas des stabilisants thermiques ; de 25 % (deux entreprises) et 50 % (trois autres) dans le cas des fabricants d’installations sanitaires ; de 25 % (une entreprise), 50 % (une) et 75 % (une) dans le cas de l’acier de précontrainte ; et de 70 % pour une entreprise dans le cas des producteurs de phosphates destinés à l’alimentation animale. En frappant une entreprise dans une passe hyperconcurrentielle, une lourde amende n’est-elle pas susceptible de fausser la concurrence, comme la symétrique négative d’une subvention publique ? DGC : Lorsqu’une amende pour infraction aux règles de la concurrence est lourde, c’est pour de bonnes raisons. Les principaux paramètres du calcul d’une amende sont la valeur des ventes des biens ou services concernés par l’infraction et la durée d’implication de l’entreprise. La sanction vise une situation anormale dans laquelle il y a eu infraction à la loi et où le jeu de la concurrence a été faussé. Elle est la conséquence et le reflet d’une infraction antérieure, et non la symétrique négative d’une quelconque subvention publique. Sans amende d’un niveau suffisant, les gains réalisés par l’entreprise fautive risquent d’excéder la sanction, et l’incitation à commettre de nouvelles infractions subsistera. Le meilleur moyen pour une entreprise d’éviter les conséquences négatives d’une sanction est de respecter les règles. Pourquoi l’UE n’arrête-t-elle pas ses lignes directrices en tenant compte des régimes de sanctions à Washington et sur d’autres places ? Une coordination est-elle étudiée au G20 ou à l’OMC ? DGC : La Commission est membre du Réseau international de la concurrence, où les autorités nationales chargées de veiller au respect du droit de la concurrence coopèrent et échangent leurs pratiques. En collaboration avec l’Autorité de la concurrence hongroise, elle y assure la coprésidence du groupe de travail sur les ententes. Une cinquantaine d’agences, représentant diverses zones géographiques du monde et ayant un niveau d’expérience varié dans la lutte contre les ententes, sont membres de ce groupe dont la mission est de relever les défis de la lutte contre les ententes. A quoi bon promettre d’éviter toute dérive d’éventuelles actions collectives, si une autre dérive affecte le montant des amendes avec les mêmes effets économiques ? DGC : La volonté de la Commission d’éviter des dérives dans les actions collectives ne met pas en question la possibilité pour les victimes d’être dédommagées. La Commission considère que les parties lésées par une infraction doivent pouvoir demander réparation du préjudice qu’elles ont subi. Les sanctions administratives infligées par la Commission n’ont pas le même objet. Elles visent à sanctionner les infractions au droit de la concurrence de l’UE et à les dissuader. Les programmes de clémence ne poussent-ils pas à une inflation du montant des sanctions ? DGC : La détection des cartels est une des priorités de la Commission. L’expérience de son programme de clémence montre qu’un tel programme augmente la probabilité de détection des cartels. Depuis l’adoption de la communication sur la clémence, en 1996, elle a pris en moyenne sept décisions sur des cartels par an. Entre 2000 et 2009, elle a adopté trois fois plus de décisions sur des cartels qu’au cours de la décennie précédente. Un programme de clémence introduit un facteur déstabilisant dans l’environnement d’une entente, qui sans cela serait confortable pour les entreprises en cause. Il accroît la probabilité qu’il soit mis fin au cartel et que des amendes soient infligées. Ainsi, il améliore la détection et la sanction des cartels dans leur ensemble. Il est aussi un facteur important pour dissuader les entreprises de s’engager dans un comportement collusif. Il n’existe pas de lien entre le programme de clémence et l’augmentation du montant des sanctions. L’existence de ce programme conduit au contraire à réduire les amendes des entreprises qui coopèrent avec la Commission. Ces réductions vont jusqu’à l’immunité complète pour celle qui permet la détection d’un cartel. La DG Concurrence pourrait-elle ouvrir une consultation et revoir ses méthodes et ses critères, au vu de l’effet de l’inflation du montant des amendes sur la compétitivité des entreprises de l’UE ? DGC : Les lignes directrices actuelles ont été adoptées en 2006. En ce moment, il n’y a pas de projet de révision. Cela n’exclut pas que la Commission puisse développer certains aspects de sa pratique décisionnelle en cas de besoin, comme cela a été le cas dans le domaine de l’incapacité de payer. Propos recueillis par J. W.-A. 1. Nos interlocuteurs n’ont pas souhaité apparaître à titre personnel. 2. Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) 1/2003, Journal officiel n° C 210 du 01/09/2006 p. 0002 – 0005 (http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:52006XC0901(01):FR:HTML).

Jean Watin-Augouard

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