Bulletins de l'Ilec

Etre, faire, dire : triptyque de la fidélité - Numéro 419

01/04/2011

La fidélité se construit-elle dans ce que la marque est ou dans ce qu’elle dit ? Elle se construit aussi dans ce qu’elle fait. Par Sylvie Gillibert et Olivier Creusy, professeurs à l’Iscom Paris, conseils en stratégie de marque

La fidélité se construit-elle dans ce que la marque est ou dans ce qu’elle dit ? Elle se construit aussi dans ce qu’elle fait. Par Sylvie Gillibert et Olivier Creusy, professeurs à l’Iscom Paris, conseils en stratégie de marque Il semble clair, pour le communicant, que la marque n’existe vraiment qu’à partir du moment où elle a pris la parole. Elle serait dans un état végétatif, en devenir, tant qu’elle n’existe qu’apposée sur des produits. Vient un moment où, comme l’enfant qui grandit, elle s’exprime, et son public, qui ne la connaissait qu’à travers des traits physiques, fait connaissance avec elle d’une nouvelle façon, en découvrant sa personnalité. Il y a pour la marque une impérieuse nécessité à exister par le verbe, et elle est peut-être beaucoup plus fortement à travers ce qu’elle dit qu’à travers sa réalité objective. Il est permis, à ce stade, de définir la marque comme la relation qui s’installe entre l’entité qui parle et celui qui entend (beaucoup), écoute (un peu), interprète (souvent) : le consommateur. Se pose alors la question de savoir si le message de la marque a pour fonction de créer ou de renforcer la fidélité à la marque. Nous pouvons également nous demander si la fidélité du consommateur à la marque se construit par son discours, et uniquement par son discours, ou si elle est inhérente à la marque et à ses qualités objectives, tangibles, telles que ses produits, les avantages et les bénéfices objectifs qui leur sont associés. Il y a plusieurs cas de figures. Le premier concerne les produits de première nécessité, qui ne supposent pas une implication forte du consommateur dans l’acte d’achat. Dans ce cas, la marque propose un produit qui remplit parfaitement sa fonction, et agit essentiellement comme un repère. La Baleine ou Javel la Croix en sont des exemples. Dans cette configuration, la fidélité se noue probablement davantage dans ce que la marque est, comme élément du patrimoine du consommateur, comme marque transmise à travers les générations, comme repère stable dans la vie quotidienne des consommateurs. Il n’y a pas ici nécessité de travailler le discours de fidélité, mais plutôt de maintenir la notoriété de premier cité de ce type de marques, qui semblent être là pour toujours. Cependant, cette hypothèse mérite d’être nuancée. Que dire d’une marque comme Daddy ? La sophistication d’un emballage, pour un produit de première nécessité, est-elle du domaine de l’être ou du dire ? Le nom lui-même de Bonne Maman n’est-il pas déjà un élément de communication ? La marque serait-elle par nature, par essence, obligatoirement dans le dire ? Si l’on retient cette hypothèse, la fidélité à la marque ne se construirait que dans le dire. A l’opposé, nous aurions les produits complexes, très implicants, et pour lesquels la curiosité du consommateur porte plus sur la performance du produit à un moment donné, dans une configuration concurrentielle chahutée. Ce serait le cas de la console de jeux vidéo pour un joueur assidu, prêt à passer d’une marque à l’autre selon que l’une ou l’autre offre au marché, à un instant t, la meilleure performance. La suprématie semble ici vouée à être éphémère, et les marques mastodontes internationaux, Sony, Nintendo, Microsoft, ne tentent même pas d’élaborer un discours de fidélisation. Le produit a quelques mois pour s’imposer, et le lien créé avec le joueur sera remis en question à la prochaine innovation. En conséquence, la fidélité du consommateur à la marque Apple serait-elle « vénale » ? Intéressée par son pouvoir de différenciation, par sa capacité d’innovation et d’étonnement ? L’attractivité et la séduction de la marque se réduiraient-elles à ce qu’elle est, dans la négation de toute attache immatérielle ? La grande majorité des marques se situe entre ces deux extrêmes. La complexité et la sophistication d’une marque en font un système sensible, pour lequel la communication joue un rôle prépondérant, par rapport à la nature de l’offre, dans le jeu subtil de la fidélisation. Les conditions à réunir pour que la fidélisation se construise davantage dans le discours sont les suivantes : – des produits peu différenciés sur le marché, tels que l’être ne suffirait pas à la différenciation de l’offre aux yeux du consommateur ; – un acte d’achat qui reste un vrai choix, par opposition aux produits de toute première nécessité, ce choix étant largement influencé par le discours de la marque ; – un usage qui suppose chez le consommateur la recherche d’une performance perceptible et consciente, nécessairement mise en exergue dans le discours de la marque ; – l’absence d’addiction au produit, le choix du consommateur étant alors plus influencé par le récit de la marque que par la nécessité intrinsèque du produit. Ici, le consommateur a conscience de la relation qu’il entretient avec la marque, et, d’une certaine façon, à chaque acte d’achat il lui « parle » pour attirer son attention sur cette relation, qui dure mais qui pourrait ne pas être éternelle. A la marque, alors, d’être attentive à ce message silencieux, et de trouver le moyen d’y répondre. Quelles marques appartiendraient à cette catégorie ? A l’évidence, les enseignes de la distribution, qui, ce n’est pas un hasard, ont développé les systèmes de cartes de fidélité les plus efficaces. Une telle carte est l’alliance qui scelle la relation, et la relation est essentiellement de la communication. La carte est le prétexte d’un discours sans cesse renouvelé mais qui raconte toujours la même chose : « Cher client je t’ai entendu et je te considère. » Pour les marques de la grande consommation, le discours de fidélisation n’existe pas par lui même. C’est le message de la marque qui doit fidéliser les consommateurs réguliers et convaincre les autres de les rejoindre. Il faut donc que la marque soit perçue dans ce qu’elle dit comme étant elle aussi attentive à son client, et désireuse de poursuivre la relation. Cela passe par la construction d’un espace de connivence, à l’initiative de la marque, dans lequel elle exprime sa vocation et ses valeurs, en apporte la preuve à travers ses produits, anticipe ce que le consommateur pourrait avoir envie de lui demander de faire pour le surprendre, en termes d’innovation par exemple, et propose un échange avec lui par une forme de conversation. Ainsi, Bonne Maman ou Maille se racontent et conversent avec leurs consommateurs, ainsi Swiffer amuse et rassure ses cibles. Le jeu subtil de la séduction et de la fidélisation ne se dévoile pas si facilement. Curiosité, intérêt pour certains consommateurs, pouvoir d’attachement, fascination ou même addiction pour d’autres, le lien qui unit la marque à ses consommateurs reste mystérieux et empreint de magie, telle l’attraction entre deux êtres. Et si la construction de la fidélité à la marque évoluait avec son cycle de vie ? La fidélité se construirait essentiellement à partir de ce qu’elle est, lors du temps de l’héroïsme, le temps de construire sa légitimité sur son marché. Puis, lors du temps de la sagesse, la marque serait attractive par ce qu’elle fait, le temps d’installer sa crédibilité. Enfin, le temps du mythe lui permettrait de susciter et d’entretenir la fidélité de ses consommateurs simplement par ce qu’elle dit. 

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