Bulletins de l'Ilec

Revendication de spécificité - Numéro 421

01/06/2011

Entretien avec Guy Leclerc, président de la Fédération du commerce associé (FCA)

Confusion du local et du national pour juger de la concurrence, ignorance des politiques d’enseigne en matière de prix, méconnaissance du mode d’organisation des réseaux coopératifs… Le Commerce associé a accueilli fraîchement l’avis de l’Autorité de la concurrence sur les relations entre magasins et réseaux. Mais le dialogue s’est amorcé. Entretien avec Guy Leclerc, président de la Fédération du commerce associé (FCA) Comment expliquez-vous son auto-saisine par l’AdlC, sur les contrats d’affiliation commerciale ? Guy Leclerc : Nous comprenons que certains ressentent le besoin d’examiner de près le secteur de la grande distribution. C’est un secteur où les enjeux sont aussi politiques. Les arbitrages des consommateurs y sont quotidiens, selon leur pouvoir d’achat. L’avis de l’Autorité de la concurrence a le mérite d’ouvrir le débat. Pourtant, nous avons été surpris par la noirceur des constats. Il faut éviter une présentation trop manichéenne. Et l’on ne peut que regretter le manque de contradictoire au moment de la rédaction de cet avis. Quelle est votre opinion sur les études Asterop et UFC citées dans l’avis, et les conclusions qu’en tire l’AdlC ? G. L. : Nous ne partageons pas le postulat de l’Autorité sur la trop forte concentration du secteur alimentaire en France. Nous trouvons ce diagnostic trop alarmiste, et parfois contradictoire : l’avis se fonde sur des études dont la méthode peut être mise en doute, comme d’ailleurs l’utilisation qu’en fait l’Autorité de la concurrence. Celle-ci se réfère en effet à la méthode d’analyse des zones de chalandise utilisée par l’UFC-Que choisir en 2008, mais elle décide de ne pas la retenir, pour diverses raisons ; elle en construit une qui n’a été soumise à aucun examen contradictoire et n’apporte pas plus de garanties que celles qui ont été écartées. Malgré cette incertitude méthodologique, l’Autorité n’hésite pas à afficher des résultats spectaculaires. Selon elle, 43 % des zones de chalandise seraient trop concentrées pour le segment des hypermarchés, 20 % pour les supermarchés, 87 % pour les commerces alimentaires de proximité. Et les chiffres sous-estimeraient l’ampleur des problèmes de concentration locale, pour les hypermarchés et pour la proximité. Ce diagnostic conclut à une concentration excessive dans la majorité des zones de chalandise, alors que la concentration nationale n’est pas spécialement élevée. Cela résulte d’une conception très extensive du seuil à partir duquel une zone de chalandise est considérée comme trop concentrée, donc problématique du point de vue de la concurrence. Elle consiste à affirmer qu’il y a concentration excessive même lorsque quatre acteurs sont présents dans une zone de chalandise, alors qu’il n’y a que six enseignes nationales et que toutes ne sont pas présentes dans tous les segments ! A propos des hypermarchés, la perception très négative des zones à trois ou quatre enseignes par l’Autorité révèle une divergence d’approche avec l’étude de l’UFC. Celle-ci considère que la concurrence commence lorsqu’il y a compétition frontale entre deux hypermarchés proches, le consommateur privilégiant le temps d’accès puis le niveau des prix, alors que l’Autorité affirme que la concurrence s’exerce entre hypermarchés même lointains (rayon de 25 km) et n’est effective que s’il y a plus de quatre enseignes dans la zone. Elle considère donc que le consommateur est prêt à se déplacer assez loin pour obtenir un gain financier incertain ou modeste. Son avis s’appuie sur un diagnostic hâtif et fragile. La méthode utilisée en contrôle des concentrations, pour les besoins d’une analyse prospective, est inadaptée à la définition des zones de chalandise et à la description de leur dynamique concurrentielle. Le nombre des zones posant des problèmes de concurrence locaux est largement surévalué. Les études citées sont peu pertinentes ou peu conclusives, ou, au contraire, lorsqu’elles sont conclusives et convergentes, comme sur le rôle de la proximité et l’influence des politiques d’enseigne, l’avis n’en tient aucun compte. Avez-vous des remarques sur l’analyse économique de l’étude ? G. L. : Tout en prétendant que les zones qui présentent une concentration élevée, y compris celles à trois ou quatre enseignes, sont par principe caractérisées par une faible concurrence, l’Autorité ne présente pas d’éléments empiriques soutenant son raisonnement. Elle a totalement omis de procéder à l’étude du lien entre la concentration locale et le niveau des prix. L’avis est incapable de dire si le niveau des prix dans les zones à moins de quatre enseignes y est réellement plus élevé que dans les zones à plus de quatre. Il faudrait démontrer l’insuffisance de la pression concurrentielle dans une zone qui n’accueille que deux ou trois hypermarchés, et se préoccuper de savoir si la concentration des enseignes au niveau local est un bon indicateur du niveau des prix. Il y a erreur de raisonnement à déduire systématiquement d’un état de concentration, toute relative par ailleurs, un manque de concurrence. L’avis cite l’étude menée en 2009 par la Competition Commission au Royaume-Uni, mais il n’en détaille pas les résultats, ceux-ci étant, il est vrai, très mesurés, comme le constat que la présence d’un magasin supplémentaire dans un rayon de dix minutes de trajet en voiture conduit à une réduction de la marge d’un magasin en situation de monopole de 3,8 %. Au-delà de ce résultat peu convaincant, la Competition Commission ne dit rien de l’effet que l’on pourrait mesurer dans des zones à trois ou quatre enseignes, ce qui interdit tout rapprochement avec les analyses de l’AdlC sur le marché français. L’avis cite également l’étude UFC de 2008 qui montre que les écarts de prix entre zones plus ou moins concentrées existent mais sont faibles, de moins de 3 %, avec des variations selon les enseignes. Cette étude précise qu’en moyenne nationale les écarts de prix selon la pression concurrentielle sont assez relatifs, mais que Carrefour et Auchan « ajustent plus fortement leurs prix relativement au niveau de concurrence ». L’Autorité, qui cite cette étude à l’appui de ses affirmations, n’exploite pas réellement ses résultats. Elle néglige l’importance de la politique de prix de chaque enseigne. Pourtant, la conclusion de l’étude UFC est confirmée par une étude universitaire récente que nous avons versée au dossier (S. Willart, la Relation entre le niveau des prix et la concurrence locale dans la grande distribution, 2009, IAE, université de Lille). Elle établit que la présence de telle ou telle enseigne est bien plus significative que les mesures de concurrence pour expliquer le niveau des prix. La présence d’Intermarché ou de Leclerc exerce un effet à la baisse, celle de Casino, de Champion ou de Géant un effet à la hausse : « Certaines enseignes sont donc des concurrents qui incitent à la baisse des prix, d’autres au relâchement », conclut cette étude. Ce rôle de la politique d’enseigne permet de faire le lien entre une situation nationale concurrentielle et les politiques locales de prix. Ainsi, le cabinet économique indépendant BIPE a réalisé en 2008, pour le compte de l’enseigne Leclerc, une étude de concurrence locale dont une des conclusions est que « les enseignes indépendantes [Leclerc, Intermarché, Système U] pratiquent des politiques de prix autonomes qui leur permettent de tirer plus facilement les prix vers le bas ». Une enquête récente du magazine UFC-Que choisir confirme ce résultat : « Le groupe Leclerc communique sur ses prix de manière intensive. Notre enquête confirme qu’il peut le faire à raison. (…) La présente enquête confirme que Leclerc a les prix les plus bas, devant Intermarché, et Système U et Auchan, quasiment à égalité. » (Que choisir, n° 490, mars 2011) Ces résultats convergents démontrent l’importance des stratégies nationales d’enseigne dont l’Autorité a choisi de ne pas tenir compte, ce qui peut lui être reproché. Le fait que les enseignes du commerce associé sont systématiquement les moins chères, selon toutes les études, n’est pas reflété dans le diagnostic de l’avis, qui du coup l’ignore dans ses propositions. L’avis cite quatre freins à la mobilité des commerçants : droit des terrains et, en droit des contrats, clauses de priorité, de non-concurrence, de non-réaffiliation : l’analyse s’applique-t-elle à vos adhérents ? G. L. : Les mesures préconisées en fin d’avis visent tous les réseaux du commerce indépendant organisé, dès lors qu’ils recourent à la technique contractuelle. Nos groupements du commerce associé peuvent être concernés et seront plus ou moins affectés, selon les pratiques mises en œuvre dans leurs réseaux. En tout état de cause, les solutions avancées ne répondront pas efficacement aux problèmes soulevés. D’abord, il ne faut pas confondre plus grande mobilité entre enseignes et entrée d’une nouvelle enseigne sur le marché. De plus, pour réintroduire de la concurrence, l’Autorité préconise une plus forte mobilité entre indépendants. Mais comment être certain que cela répondra à l’objectif ? La méthode retenue est vaine. Premièrement, la solution proposée est nationale, alors que la problématique est locale. Deuxièmement, les recommandations qui visent les enseignes du commerce associé concernent des structures de marché où il n’est pas présent (hypermarchés et proximité, les enseignes du commerce associé occupant surtout le créneau des supermarchés). Troisièmement, la mobilité préconisée entre enseignes n’apporte aucune garantie sur la façon dont vont s’opérer les changements d’enseignes, ni sur le fait que la concurrence va s’améliorer plutôt que faiblir, si des enseignes du modèle intégré renforcent leurs positions en achetant des points de vente d’indépendants (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les réseaux du commerce associé ont eu recours au droit de préemption). Quatrièmement, l’AdlC recommande d’interdire des clauses de droit de priorité pour améliorer la mobilité des enseignes, mais le raisonnement est erroné : le droit de préférence, ou de préemption comme on l’appelle dans nos réseaux, n’empêche nullement la mobilité des commerçants indépendants entre groupements. L’Autorité n’a pas fait de distinction entre le cas où un point de vente indépendant souhaite se retirer d’un groupement, pour changer d’enseigne, et celui où il souhaite céder son fonds de commerce et quitter le métier. Pourtant, ce sont deux raisonnements différents qu’il faut tenir. Pouvez-vous donner des exemples de mobilité (arrivées et départs, volontaires ou forcés) ? G. L. : Mais oui, le marché des transferts est et reste très actif dans la grande distribution. Tout récemment, Casino a acheté deux hypermarchés normands à un adhérent Intermarché. Casino, quasi absent de Normandie, prend ainsi pied dans la région en achetant trois maga-sins, Saint-Pair-sur-Mer (4  300 m²), Villedieu-les-Poêles (2 700 m²) et Donville-les-Bains (980 m²), au début de mai 2011. Leclerc a ravi sept associés à Système U en Corse, l’été 2008, alors que peu auparavant les Coop de Normandie étaient passées de Casino à Système U, puis trente-deux supermarchés Coop d’Alsace affiliés de Cora, qui négociaient depuis des mois avec Système U, passaient chez Leclerc. Huit jours plus tard, les magasins U répliquaient en reprenant quatorze établissements des Coop de Normandie et Picardie. Sans oublier cinquante supermarchés Champion, en litige avec leur franchiseur Carrefour, qui ont voulu changer d’enseigne à leur tour. Ce type de mercato a eu lieu aussi dans les Dom-Tom. A la Réunion, onze franchisés du groupe François Caillé ont souhaité passer de Carrefour à Casino en mai 2009. Déjà, deux franchisés, lassés de l’incertitude dans laquelle Carrefour les laissait, avaient quitté le groupe en décembre 2008 pour rejoindre Leclerc. Croyez-vous que l’avis de l’AdlC vise surtout le commerce associé ? G. L. : Non, il vise justement de manière indifférenciée tous les réseaux d’indépendants qui recourent à la technique contractuelle. Quant à savoir si les recommandations formulées vont affecter une forme de commerce plus qu’une autre, il s’agit d’une autre question, dont nous n’avons pas encore la réponse. Mais la méconnaissance du mode de fonctionnement de nos réseaux coopératifs peut nous laisser craindre l’adoption de dispositions qui leur sont plus difficilement applicables. A nous de veiller à l’équité des mesures. Ce que recommande l’avis sur les contrats d’affiliation est-il compatible avec le doit de la coopération ? G. L. : Nous représentons une des formes de réseaux d’indépendants concernés par l’avis de l’AdlC. Nos spécificités influent sur la nature des contrats évoqués. Nous ne pouvons que constater la méconnaissance de nos pratiques et de la raison de leur existence. La coopérative de commerçants est une forme particulière du commerce indépendant organisé, où le lien contractuel (à durée parfois déterminée) ne fait que renforcer un lien sociétaire qui est nécessairement à durée indéterminée. C’est la raison pour laquelle nous ne nous sentons pas concernés lorsque l’on parle de « contrats d’affiliation », car les contrats qui lient le commerçant à sa tête de réseau ne sont que la prolongation du lien sociétaire qui lie sur un plan égalitaire les associés entre eux. Des associés qui ont par ailleurs créé leur propre société de moyens, dont ils sont les uniques propriétaires et bénéficiaires. Limiter la durée de ces contrats, voire interdire une durée indéterminée, c’est nier la spécificité même de nos réseaux. Quelles ont été les réactions à l’avis de l’AdlC parmi les membres de la FCA ? G. L. : Les réactions des groupements membres de la FCA ont porté à la fois sur la forme et sur le fond. Sur la forme, certains considèrent que l’Autorité de la concurrence a outrepassé ses pouvoirs en formulant des injonctions, dans une procédure non soumise au contradictoire. C’est la raison pour laquelle ils ont souhaité attaquer l’avis devant le Conseil d’Etat, pour excès de pouvoir de l’AdlC. Sur le fond, tous les acteurs du commerce associé ne partagent pas les conclusions de l’AdlC et ne souscrivent pas au raisonnement selon lequel la seule concentration structurelle (quatre enseignes sur six) suffit à démontrer l’absence de concurrence entre les enseignes. Les contrats qui peuvent être conclus entre les têtes de réseau du commerce associé et leurs adhérents peuvent être très différents d’un groupement à l’autre, mais tous les adhérents contestent certaines leçons que souhaite nous faire tirer l’AdlC de son avis. Avez-vous été entendu par l’AdlC ? G. L. : Certains ont déploré, assez vivement, le manque de contradictoire avant la publication de l’avis. Depuis, les échanges avec l’Autorité existent et sont positifs. Nous prenons part à la consultation annoncée et préconisons des solutions locales à des problématiques locales. Toutefois, certains éléments nous indiquent que nous ne sommes pas toujours bien compris. Mais nous envisageons positivement ce dossier et nous nous sommes attelés à un vaste travail d’explication pour décrire les principes de fonctionnement et le mode d’organisation des réseaux du commerce associé. Propos recueillis par J. W.-A.

Jean Watin-Augouard

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