Bulletins de l'Ilec

Ingérence étatique - Numéro 421

01/06/2011

Entretien avec Marie Malaurie Vignal, professeur agrégée à l’université de Versailles, présidente du comité scientifique de l’association Droit et Réseaux

Même s’il ne la lie pas dans ses décisions, l’Autorité de la concurrence a rendu sur les contrats d’affiliation un avis qui pèche, entre autres considérations, par des recommandations trop précises et des interdictions per se, dans un esprit d’immixtion entre opérateurs. Entretien avec Marie Malaurie Vignal, professeur agrégée à l’université de Versailles, présidente du comité scientifique de l’association Droit et Réseaux Comment expliquez-vous son auto-saisine par l’Autorité de la concurrence ? Marie Malaurie Vignal : Avec la loi du 4 août 2008 et l’ordonnance du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de l’économie, l’AdlC peut prendre « l’initiative de donner un avis sur toute question concernant la concurrence et peut recommander au ministre de l’Economie ou au ministre chargé du secteur concerné de mettre en œuvre les mesures nécessaires à l’amélioration des marchés » (Code de commerce, L. 462-4). Il est légitime que l’AdlC puisse donner son avis sur tout problème de concurrence, mais cette mission consultative soulève deux questions. En premier lieu, celle du principe d’impartialité. Ce principe peut être respecté formellement (les membres ayant participé à l’avis n’étant pas ceux qui, ex post, auront à connaître de pratiques litigieuses dans le domaine relevant de l’avis). En revanche, dès lors que l’avis est formulé avec la vigueur de celui du 7 décembre 2010, avec des interdictions ou des « recommandations » formulées sans nuances, on peut s’interroger sur le respect du principe d’impartialité substantielle1. La seconde question tient à l’évolution de la mission de l’Autorité. L’AdlC a largement utilisé cette mission consultative (voir son rapport 2009, p. 300). Elle n’hésite pas à formuler des suggestions à l’attention des intéressés2, agit de plus en plus ex ante, en qualité de régulateur. Elle se présente (sur www.autoritedelaconcurrence.fr) comme un « avocat de la concurrence », « auprès des acteurs publics et des décideurs économiques » et exerce « un rôle de conseil et d’alerte, bien en amont de la mission répressive » qu’elle assume. Cette intervention ex ante peut se justifier auprès des acteurs publics. Elle est plus contestable avec des « décideurs économiques » (je comprends cette notion comme visant les opérateurs), si elle conduit à affecter non seulement les structures de la concurrence mais les comportements. L’article L. 462-4 donne à l’AdlC le pouvoir de recommander des mesures destinées à améliorer le marché. Le président Lasserre a précisé que les avis doivent se limiter « à l’examen de questions générales de concurrence et à l’énonciation de recommandations tout aussi générales »3. Certes, le texte est imprécis quant à l’étendue des pouvoirs de l’AdlC. Mais la raison d’être de la fonction consultative est de se limiter à des recommandations générales, comme le souligne le président Lasserre. Or, en imposant ou en éradiquant telle ou telle pratique contractuelle, l’AdlC a dépassé les pouvoirs qui lui ont été conférés. Ses recommandations ne sont pas générales mais précises. Le même jour, l’AdlC a rendu un avis, à propos du « management catégoriel », beaucoup plus prudent, et elle a invité la Commission d’examen des pratiques commerciale à se prononcer sur la question4. L’avis 10-A-26 du 7 décembre 2010 vise-t-il surtout le commerce associé ? M. M. V. : Non, l’avis est très général et vise la distribution alimentaire, que le distributeur soit affilié ou appartienne à une coopérative, et cette uniformisation de régime est problématique. S’agissant de la mobilité d’une enseigne à une autre, la franchise et le commerce associé relèvent-ils de la même analyse ? M. M. V. : L’AdlC souhaite favoriser la mobilité des commerçants, même si les intéressés ne le souhaitent pas eux-mêmes. Un des arguments pour critiquer les clauses d’engagement est puisé dans le règlement européen 330/2010 relatif aux contrats de distribution et aux commerçants indépendants qui se regroupent sous une enseigne commune. L’avis ne distingue pas entre les commerçants affiliés à un réseau et ceux appartenant à une coopérative. Cet amalgame est contestable, car la mise en place d’une coopérative de détaillants ne répond pas à la même logique que celle d’un réseau de distribution. Les investissements ne sont pas les mêmes. La coopérative a une structure institutionnelle (Code de commerce, art. L. 124-1 et s.). L’organisation est plus poussée que dans un contrat d’affiliation. Soumettre les engagements souscrits par un sociétaire à une durée maximale de cinq ans, par référence au règlement 330/2010 (art. 5) est déraisonnable. Je doute qu’un banquier accorde un crédit à une coopérative si la durée d’engagement est de cinq ans. Il faut que la doctrine, la magistrature et l’ensemble des professionnels du droit réfléchissent à une adaptation du droit de la concurrence au droit coopératif5. Au nom d’un principe de neutralité, on gomme des différences juridiques réelles entre affiliation et association à une coopérative. L’avis est-il en cohérence avec le droit communautaire ? M. M. V. : Il invoque le règlement 330/2010, et à première vue paraît eurocompatible. Mais le droit européen n’a pas pour objet de modeler les contrats, en imposant une formalisation de la relation dans un accord unique, ou en obligeant à transmettre le projet d’accord au plus tôt, ou encore à renforcer l’information précontractuelle. Cette immixtion dans la relation contractuelle ne relève pas de la compétence des autorités européenne ou nationales de concurrence, sauf si la pratique contractuelle a pour objet ou effet de fausser le jeu de la concurrence. L’AdlC s’est saisie en raison de préoccupations de concurrence dans le secteur de la distribution alimentaire. Il n’est pas évident que l’exigence d’un contrat-cadre ou le renforcement d’une obligation précontractuelle répondent à des préoccupations de concurrence. Ce que recommande l’avis sur les contrats d’affiliation est-il compatible avec le doit de la coopération ? M. M. V. : J’ai montré dans un commentaire de l’avis6 que le droit coopératif présentait une spécificité qui justifiait une adaptation du droit de la concurrence à cette matière. La loi reconnaît cette spécificité, puisque l’article 124-2 du Code de commerce prévoit que l’activité de la coopérative de commerçants indépendants est, sauf dispositions légales, réservée à ses propres membres – ce qui est une première entorse au jeu normal de la concurrence. Cette disposition est une application du principe classique en droit coopératif de l’exclusivisme (article 3 de la loi du 10 septembre 1947). Cette règle est aussi un moyen de préserver les concurrents de la coopérative d’éventuelles distorsions de concurrence résultant de sa présence sur le marché, en raison des avantages dont elle bénéficie pour répondre à ses spécificités statutaires. La coopérative de détaillants a la faculté de réaliser des opérations communes pouvant comporter des prix communs (Code de commerce, L. 124-1, 6°). La loi lui accorde donc un régime spécifique en légalisant des politiques communes de prix, c’est-à-dire des ententes tarifaires. Le lien associatif entre coopérateurs n’est pas de même nature que le lien d’affiliation. Cette spécificité est expressément reconnue par l’avis de l’AdlC au point 21, qui oppose la liberté du magasin coopératif, assujetti aux statuts et règles de fonctionnement de la coopérative, à la situation du magasin lié à un groupe de distribution par un contrat de distribution intégrée. La situation est plus complexe en cas de combinaison entre coopérative et franchise ou filialisation. Cette difficulté est évoquée au point 20, mais sans qu’une réponse soit donnée sur le régime applicable. A notre sens, en cas de combinaison, il faut se demander quelle part prend la coopérative ou la franchise, dans l’activité principale de distribution de produits ou de services, pour déterminer si s’appliquent le droit coopératif ou les règles en matière de restrictions verticales. En cas de combinaison entre une adhésion à une coopérative et un contrat, notamment d’utilisation d’enseigne, la jurisprudence civile dispose d’instruments juridiques7. Le droit civil peut appréhender la complexité par la théorie de l’indivisibilité. Il n’est pas nécessaire d’uniformiser les régimes de la coopérative et de l’affiliation en réseau. De même, en cas de combinaison entre liens capitalistiques et contrat de franchise, la jurisprudence a admis que le franchiseur pouvait être exclu du capital de son franchisé, en l’absence de toute clause d’exclusion prévue dans les statuts, dès lors que le contrat de franchise était résilié, en se fondant sur une « volonté implicite », sur « l’indivisibilité entre la participation au capital et le contrat de distribution » et sur les « usages en vigueur dans les réseaux de distribution »8. Il n’appartient pas à l’AdlC de s’immiscer dans les relations statutaires et contractuelles de façon dirigiste, en procédant à une uniformisation de régime, dans le louable souci de favoriser la concurrence et de supprimer les barrières à la sortie. En cas de relations complexes, la jurisprudence peut trouver les solutions pour mettre fin à des dépendances abusives d’un distributeur à l’égard de son fournisseur, même en présence de liens capitalistiques liant les deux partenaires. De même, la coopérative peut filialiser ses adhérents : elle devient leur associée. Il est aussi possible de filialiser des activités de la coopérative (L. 124-1-7 du Code de commerce). Le régime coopératif est alors aménagé. Les filiales ne peuvent traiter avec la coopérative dont elles sont les associées (L. 124-7). Afin de maintenir la spécificité de la coopérative, il conviendrait de vérifier qu’elle ne transfère pas ses activités de base à sa filiale9. L’avis est-il cohérent avec la jurisprudence ? M. M. V. : Dans un arrêt du 28 septembre 2010, la Cour de cassation distingue la clause de non-réaffiliation, qui se borne à restreindre la liberté d’affiliation, et la clause de non-concurrence, qui a pour objet de limiter l’exercice d’une activité similaire ou analogue à celle du réseau quitté. Des arrêts du fond (cour d’appel de Versailles notamment) ont aussi distingué les deux clauses10. L’avis de l’AdlC (p.151) adopte une solution exactement contraire, en énonçant que la clause de non-réaffiliation devrait être assimilée, dans le secteur alimentaire, à la clause de non-concurrence. En conséquence, pour l’AdlC, la clause de non-réaffiliation, qu’elle soit inscrite dans un contrat d’affiliation, des statuts ou des pactes de sociétés, devrait être soumise au régime prévu par l’article 5 du règlement 330/2010 : être limitée à un an, au magasin objet du contrat, nécessaire à la protection du savoir-faire, nécessaire et proportionnée à l’objectif de protection de l’identité commune et de la réputation du réseau. Pour autant, il ne faut pas attacher une importance capitale à l’arrêt de la Cour de cassation. Elle ne se prononce que sur la nature distincte des clauses, non sur leur régime. Dans un arrêt antérieur, sans se prononcer sur la nature de la clause de non-réaffiliation, elle l’avait assujettie au principe de proportionnalité et à la possibilité pour le franchisé d’exercer une activité hors réseau11. Le double principe de proportionnalité et de nécessité n’est pas spécifique aux clauses de non-concurrence. La licéité concurrentielle de toute clause y est soumise. Il est donc légitime d’affirmer que la clause de non-réaffiliation doit être nécessaire pour protéger le savoir-faire et doit laisser au franchisé la possibilité d’exercer une activité hors réseau. Or, dans la distribution alimentaire, l’adhésion à un réseau ou à une coopérative est indispensable à un magasin pour s’assurer une chance de réussite commerciale. Il y a fort peu de magasins véritablement indépendants, c’est-à-dire non affiliés à un réseau ou non intégrés à une société. Aussi, l’affirmation par l’AdlC que la clause doit être soumise à un principe de proportionnalité et de nécessité n’est pas choquante. Le distributeur qui quitte le réseau doit pouvoir retrouver une activité économique dans la distribution alimentaire. En revanche, l’assimilation complète de la clause de non-réaffiliation à la clause de non-concurrence est critiquable. Pourquoi la soumettre à une durée d’un an, par renvoi à l’article 5 du règlement 330/2010 qui limite à un an la clause de non-concurrence post-contractuelle ? Par ailleurs, est critiquable aussi l’assimilation entre affiliation et intégration à une coopérative. Or l’avis soumet toute clause de non-réaffiliation, d’un contrat d’affiliation ou d’un pacte statutaire, au même régime, calqué sur celui du règlement 330/2010, article 5. N’y a-t-il pas contradiction entre l’avis de l’AdlC du 7 décembre et sa jurisprudence du 15 février dans l’affaire Pomona-Creno ? M. M. V. : En effet. Le 15 février 2011, l’AdlC rend une décision de non-lieu où elle admet la licéité concurrentielle d’une clause de non-réaffiliation interdisant à un grossiste, affilié à une centrale, d’« appartenir directement ou de participer directement ou indirectement à la structure d’un groupement concurrent ». La durée de non-affiliation était de deux ans ! L’AdlC ne se prononce pas sur le caractère légitime, proportionné et nécessaire à la protection du savoir-faire. Elle s’affranchit des critères posés par l’avis 10-A-26. De même, elle affirme que le droit de préférence post-contractuel figurant dans le règlement intérieur de la centrale de référencement n’est pas anticoncurrentiel. Or, dans l’avis 10-A-26 (point 174), elle avait considéré que ces clauses étaient de nature à empêcher la mobilité des magasins entre les enseignes, et à restreindre le jeu de la concurrence. D’une certaine manière, cette divergence de solutions est rassurante. Elle atteste que l’AdlC, saisie au fond, peut se libérer des « recommandations » émises dans un simple avis. Le principe d’impartialité substantielle est ainsi respecté. L’AdlC, dans la décision Pomona-Creno, apprécie in concreto les clauses litigieuses et procède à une véritable analyse de leur objet ou effet anticoncurrentiel sur le marché. Il reste un point de divergence difficile à expliquer, car il porte sur une affirmation générale. Le 15 février 2011, l’AdlC affirme (point 114) que la clause de non-réaffiliation, rendant le départ des grossistes de la centrale moins probable, assure le « maintien de la structure pérenne » de la centrale, pérennité qui est un « facteur d’animation de la concurrence sur le marché » Dans l’avis du 15 décembre 2010, elle fustigeait toute pratique destinée à assurer une pérennité à un distributeur, car la mobilité des distributeurs est un facteur essentiel de concurrence. Sa décision Pomona-Créno du 15 février 2011 dit donc le contraire : la pérennité d’une centrale est en soi un facteur d’animation de la concurrence sur le marché. L’avis concerne des partenariats entre des détaillants et leurs fournisseurs (réseaux ou coopératives) ; la décision de février 2011, des partenariats entre grossistes et centrales. Les zones de chalandise ne sont pas les mêmes. Cette différence de marchés pertinents ne suffit pourtant pas à expliquer une telle différence d’analyse. La réponse est ailleurs. Dans la décision de février, l’AdlC ne cherche pas à imposer une mobilité des opérateurs économiques, comme elle le fait de façon énergique dans son avis sur la distribution alimentaire. Elle prend acte de l’absence de véritable barrière à l’entrée pour admettre que les clauses de non-réaffiliation, limitées à deux ans, ne sont pas anticoncurrentielles dans l’espèce qui lui est soumise. Son analyse est pragmatique, économique et non dogmatique. On ne peut qu’approuver cette méthode d’analyse, et regretter que l’avis ne l’ait pas suivie. Dès lors que l’AdlC raisonne au cas par cas, que penser du caractère général de l’avis ? M. M. V. : Un avis ne peut être aussi circonstancié qu’une décision rendue au fond. Une décision contentieuse ne peut être rendue qu’après une analyse in concreto de l’impact d’une pratique sur le marché. C’est pourquoi on peut être surpris quand une décision de l’AdlC ou de la Commission se réfère à une décision précédente. On peut dire que les autorités de concurrence ne peuvent rendre des « arrêts de règlement ». Un avis rendu par l’AdlC a pour objectif de proposer des mesures destinées à améliorer les marchés. Les propositions ne peuvent être que générales – certes après étude préalable du marché pertinent pour déterminer dans quelle mesure le marché est affecté. Les recommandations du 7 décembre 2010 sont précises et non simplement générales, comme cela devrait être. La notion de « tête de réseau », qui revient une cinquantaine de fois dans l’avis, a-t-elle une valeur juridique ? M. M. V. : Je ne suis pas choquée par cette expression. Le droit de la concurrence est pragmatique. Cette notion, non juridique, traduit une réalité. Mais elle est spécifique aux relations d’affiliation, lorsqu’un fournisseur met en place un réseau de distribution avec distributeurs affiliés. En revanche, elle est inopportune dans les relations sociétaires liant une coopérative à ses membres. Que pensez-vous de l’analyse des marchés pertinents mise en œuvre dans l’avis de l’AdlC ? M. M. V. : L’avis est d’une certaine manière paradoxal. Il se réfère souvent au règlement 330/2010 relatif aux restrictions verticales. Pour que ce règlement soit applicable, les parts de marché des fournisseurs et distributeurs ne doivent pas dépasser 30 % . Or le seuil de 30 % d’un distributeur est apprécié sur le marché amont, celui où il achète les produits, et non sur le marché aval de la revente (points 86 et suivants des lignes directrices). Tout en se référant au règlement 330, l’avis (point 2) fait le contraire, en se plaçant sur le marché aval. L’analyse du degré de concentration se fait au « niveau des zones de chalandise ». Le paradoxe n’est qu’apparent. Pour savoir si le marché de la distribution alimentaire souffre de dysfonctionnements, il faut se placer du côté du consommateur, et vérifier si l’offre est satisfaisante du point de vue concurrentiel. Comme le souligne l’avis (point 30), il existe une réelle concurrence sur le marché amont, entre les groupes de distribution. En revanche, sur le marché aval, l’appréciation doit se faire au niveau de la zone de chalandise, où la concentration est forte. L’objectif de l’AdlC est de favoriser la concurrence entre enseignes, qui doit être appréciée au niveau local. Il y a donc du bon dans l’avis ? M. M. V. : Pour simplifier, on critiquera la forme trop précises des recommandations, l’assimilation entre affiliation à un réseau de distribution intégrée et adhésion à une coopérative, la référence au règlement 330/2010 pour des clauses qui ne sont pas appréhendées par lui (non-réaffiliation), les interdictions per se (clauses de préemption, de non-concurrence, droits de priorité…) ou les encadrements dirigistes (clauses de non-réaffiliation). L’affirmation de telles interdictions est contraire à la logique économique. La démonstration de gains d’efficience doit pouvoir être apportée. Et plutôt que de condamner per se ou d’encadrer une pratique, il serait opportun de rappeler que la licéité concurrentielle d’une pratique est soumise au principe de proportionnalité et de nécessité. L’avis a le mérite de chercher des réponses à une excessive concentration de la distribution alimentaire. Il recommande de lever des barrières à l’entrée, invitation au législateur à réformer l’urbanisme commercial. L’AdlC souligne à juste titre (points 70 et 71) que les plans d’urbanisme locaux sont trop restrictifs et les barrières administratives, opérationnelles et économiques, trop lourdes. On peut craindre que la proposition de loi votée le 30 mars par le Sénat ne renforce ces barrières. De même, l’AdlC a raison de critiquer les barrières à l’entrée et à la sortie résultant des liens trop étroits entre magasins et réseaux ou groupements fournisseurs. L’encadrement des prises de participation des groupes de distribution au capital des sociétés de distribution est nécessaire, car les liens capitalistiques conduisent à réduire l’autonomie des distributeurs. Il en est de même des droits d’entrée au paiement différé. Le problème général de l’avis est qu’il apporte des réponses de nature contractuelle et dirigiste au problème de la concentration. L’AdlC postule que la mobilité des distributeurs, même contre leur gré, entraînera une diminution de la concentration. Or la mobilité de commerçants changeant d’enseigne pourra bénéficier à la concurrence entre enseignes, mais elle ne résoudra pas le problème de la concentration, dans une situation d’oligopole. La préoccupation majeure de l’AdlC (point 3 de l’avis) est l’hyperconcentration, et cette situation justifie son auto-saisine. La concentration de la distribution alimentaire doit être traitée de la plus large façon : par un contrôle ex post (apprécié in concreto) des barrières à l’entrée et à la sortie, mais aussi par une réforme de l’urbanisme commercial qui ne prendrait pas seulement en compte des considérations urbanistiques, logistiques ou environnementales, qui imposerait une liberté d’établissement mais la régulerait en imposant un critère de diversité concurrentielle – ce qui n’est pas le cas dans l’actuelle proposition de réforme de l’urbanisme. A défaut d’une réglementation efficace, l’AdlC doit exercer un contrôle vigilant des opérations de concentration, quel que soit le coût pour les entreprises et pour l’administration12. Pourrait-on dire que, avec cet avis, l’AdlC tend à remplacer, pour les indépendants affiliés, au nom d’un intérêt collectif supérieur (« l’intérêt des consommateurs »), les contrats bilatéraux de coopération par des contrats de subordination strictement encadrés sous son contrôle ? Autrement dit qu’elle s’inscrit dans ce qu’Alain Supiot a appelé « reféodalisation du lien contractuel » ? M. M. V. : Oui, cet avis traduit une ingérence étatique (au sens large, puisqu’il s’agit d’une autorité administrative indépendante) dans l’organisation commerciale de commerçants indépendants. Cette ingérence s’inscrit dans un mouvement que les économistes qualifient de « paternalisme dur ou perfectionnisme social » lorsqu’on substitue les préférences de certaines personnes à celles d’autres afin de préserver des biens d’intérêt collectif, comme l’intérêt des consommateurs ou de la concurrence13. Il en est ainsi lorsque l’AdlC souhaite favoriser la mobilité des distributeurs, même contre leur gré. Il n’est pas certain que les consommateurs y trouvent leur compte, car un distributeur peut avoir tissé des liens privilégiés avec sa clientèle. En outre, cette mobilité a un coût, qui sera répercuté sur le consommateur. Propos recueillis par J. W.-A. 1. En ce sens, B. Cheynel, « Cumul de fonctions : la nouvelle Autorité de la concurrence à l’abri des foudres de la Cour EDH ? », Revue Lamy de la concurrence, oct.-déc. 2009. 2. Avis 10-A-28, 13 déc. 2010 : l’AdlC recommande aux producteurs de lait, fruits et légumes « de conserver une certaine souplesse dans la durée des contrats ». 3. B. Lasserre, « La régulation concurrentielle, un an après la réforme : un point de vue d’autorité », Concurrences n°3-2010, p. 35. 4. Voir notre commentaire in Contrats, Concurrence, Consommation 2011, comm. 30. 5. En ce sens, J.-J. Barbiéri, « Rapprochement entre coopératives et atteintes à la concurrence », Droit rural 2009, comm. 22 ; D. Hiez, note sous CA Paris 17 sept. 2009, Jurisclasseur périodique 2009, 1907 ; S. Grandvuillemin, « Le statut de la coopérative de commerçants détaillants : déclin ou renouveau », Jurisclasseur périodique 2003, n°20 étude 759 ; et M. Malaurie Vignal in Contrats, Concurrence, Consommation 2011, étude 3. 6. Contrats, Concurrence, Consommation 2011, étude 3. 7. Exemple : Cass. com. 13 novembre 2008, Bull. cv. IV n° 254. 8. Cour d’appel de Grenoble, 16 septembre 2010, JurisclasseurPG 2011, 273, P. Mousseron. 9. Cf. S. Grandvuillemin, Jurisclasseur périodique 2003, n° 20 étude 759. 10. CA Versailles, 31 janv. 2007, LPA 2007 p. 56 . 11. Cass. com, 10 janv. 2008, Contrats, Concurrence, Consommation 2008 comm. 71 et nos observations. 12. Point 202 qui énonce que la requalification de certains contrats d’affiliation en opérations de concentration est porteuse d’une insécurité juridique et que sa généralisation accroîtrait les coûts pour les entreprises et pour l’administration. 13. E. Mackaay et S. Rousseau, Analyse économique du droit, Dalloz, 2008, p. 398.

Jean Watin-Augouard

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