Bulletins de l'Ilec

Le pari d’une information active - Numéro 424

01/11/2011

Entretien avec Dominique Dron, déléguée interministérielle et commissaire générale au Développement durable.

L’objectif de l’« affichage environnemental » en cours d’expérimentation est d’influencer vertueusement les choix des consommateurs et de favoriser l’intérêt concurrentiel à l’écoconception. A quelles conditions l’affichage d’une performance écologique a-t-il du sens pour le profane ? Dominique Dron : L’affichage environnemental a effectivement une double cible : permettre aux consommateurs d’intégrer les caractéristiques environnementales dans leurs choix, ainsi que valoriser et encourager les efforts des entreprises en matière d’écoconception. Côté consommateurs, l’affichage sera d’autant plus efficace qu’il sera visible, et les performances ou conséquences environnementales facilement compréhensibles. En outre, l’expérience montre qu’il suffit souvent de quelques pour-cent de consommateurs intéressés pour faire évoluer un marché et soutenir les démarches d’écoconception des entreprises : quand sont sortis l’étiquette énergie puis l’affichage automobile en grammes de CO2 par km, malgré le scepticisme de certains, les Français ont vite compris que « moins, c’est mieux », que 140 g de CO2 c’était mieux que 170 et que le montant du bonus ou du malus en dépendait. En plus de fournir une information aux consommateurs, d’être le support d’un nouveau dialogue entre citoyens et entreprises, et entre clients et fournisseurs, de produire des points de repère pour les changements de comportement, cet affichage aujourd’hui en test constitue un moteur de progrès pour les entreprises: en introduisant dans leur tableau de bord stratégique une incitation à être plus sobres en carbone et plus légères pour l’environnement, il renforcera leur robustesse face aux aléas, au renchérissement prévisible de l’énergie et à la présence physiquement croissante des besoins environnementaux. Ces conditions valent-elles de la même façon pour tous les types de produits (PGC, TIC, auto, maison…) ou services (transport, coiffure, banque, RHF…) ? D. D. : Les opinions divergent encore : certains pensent que plus l’information sera proche dans sa nature et son format d’un secteur à l’autre, plus le consommateur s’y habituera facilement. D’autres supposent que cette information pourra être plus fouillée pour des produits dont le coût induit une attention plus grande lors de l’achat, et donc une propension plus importante à comparer les caractéristiques. D’autres encore pensent que les produits devraient surtout afficher leurs principaux impacts, même s’ils diffèrent beaucoup d’un domaine à un autre. Coté ministère, nous comptons beaucoup sur les retours de l’expérimentation pour trouver des réponses très pratiques à ces questions. D’ores et déjà, j’ai été intéressée par des initiatives originales, telle celle menée par des marques, entreprises ou fédérations adhérentes ou partenaires de l’Ilec qui consiste à regrouper une grande quantité d’indicateurs variés sous un nombre réduit de thèmes communs, bénéficiant chacun d’une harmonisation de la sémantique et des visuels. Pourquoi parler d’« affichage » (environnemental) plutôt que d’« information » ? D. D. : Le terme d’affichage suppose à notre sens une démarche plus active et plus proche de la part de l’entreprise vers les citoyens-consommateurs : c’est un peu la différence entre afficher les caractéristiques environnementales sur le linéaire de magasin, sur le produit ou à côté du prix sur un site internet marchand, et mettre à disposition ces caractéristiques en dernière page du mode d’emploi ou dans les profondeurs d’un site internet institutionnel sur lequel aucun consommateur n’irait jamais. L’expérimentation inclut-elle l’étude des comportements des consommateurs confrontés à divers types d’informations et indicateurs ? Sur leur motivation à les intégrer dans leurs décisions d’achat ? D. D. : Certaines des entreprises volontaires ont intégré de telles études à leur expérimentation. Par ailleurs, un groupement de sept associations de protection des consommateurs va mener une enquête, en cours de montage, dans une étude de type panel. Des sondages et enquêtes annuels représentatifs donnent aussi des éclairages quant à l’évolution des motivations des ménages, indépendamment de l’affichage. En tout état de cause, hormis peut-être certains segments de marché très spécifiques, une évolution de fond des décisions et comportements ne peut se mesurer sur une aussi courte période et avec un nombre d’expériences somme toute limité, au regard du flot total de la consommation. Rappelons que l’expérimentation nationale lancée le 1er juillet dernier avec 168 entreprises volontaires a pour objectif d’évaluer les conditions de faisabilité et d’optimisation de l’affichage, auprès des consommateurs, des caractéristiques environnementales des produits : elle est destinée à tester, en grandeur réelle et dans une certaine variété de segments de marché, la transmission des informations au long de la chaîne de production et de distribution jusqu’au consommateur final. Quelles sont les perspectives d’aboutissement des « référentiels » par secteurs dans le cadre de la « plate-forme Ademe-Afnor » ? D. D. : Fin 2010, la plate-forme n’avait pu produire qu’un référentiel. Aujourd’hui, nous en sommes à neuf. La perspective de couvrir la majorité des catégories de produits courants en quelques années est donc réaliste. Reste maintenant à construire la base de données publiques permettant aux entreprises d’utiliser de mêmes données génériques, en complément de celles qui leur seront spécifiques. Quel est l’objectif de fiabilité des données collectables (en termes de précision et de stabilité) ? D. D. : L’objectif est bien entendu que les données soient les plus fiables possibles, tout en considérant leur coût de collecte. C’est tout l’objet des référentiels développés par la plate-forme, de manière à trouver un juste équilibre. La sincérité et la traçabilité des données sont bien sûr cruciales pour les entreprises qui les utilisent. C’est pour cela que la DGCCRF s’est associée au suivi de l’expérimentation, pour tester la faisabilité d’un contrôle : son analyse sera versée au bilan de l’expérimentation. L’approximation des « données génériques » (moyennes de référence de plusieurs produits qui en sont plus ou moins éloignés) n’hypothèque-t-elle pas la pertinence des comparaisons entre produits ? D. D. : Il faut considérer les choses de façon dynamique : selon les secteurs, la différenciation pourra se développer plus ou moins rapidement, en parallèle des gains en précision. Certaines expériences collectives ont choisi, pour l’instant, de ne pas différencier des produits similaires de marques concurrentes : cela ne les empêche pas de proposer déjà des éléments de choix, par exemple entre différents volumes de contenant d’un même produit, ou encore entre une lessive en poudre moyenne et une lessive liquide moyenne. Dans d’autres domaines, en fonction des bases de données existantes, une différenciation des produits entre eux a dès à présent paru robuste aux entreprises, en téléphonie par exemple. Ce panachage entre données spécifiques et données génériques évoluera en fonction des gains en précision et de la spécialisation des bases de données : trop de données spécifiques conduiraient à des coûts d’acquisition et de contrôle trop élevés ; à l’inverse, trop de données génériques ne permettraient pas de distinguer les produits et valoriseraient sans doute insuffisamment les progrès d’écoconception des entreprises. Si un « critère d’impact » environnemental est tenu par des consommateurs pour plus important que d’autres, comment pourront-ils orienter librement leurs choix d’achat, dans l’hypothèse où ils auraient affaire à un indicateur agrégeant trois ou quatre critères disparates ? D. D. : Là encore, attendons quelques mois pour voir les différentes solutions créées par les uns et les autres : par exemple, certaines solutions semblent pouvoir répondre à des objectifs de simplicité par des échelles ou notes uniques présentes sur le produit ou en rayon, tout en mettant à disposition, de manière déportée (internet, Flashcode, etc.), des explications plus fouillées sur chaque impact, sur les sources de données ou les modalités de calcul… Qu’est-ce que le ministère attend de la consultation ouverte au grand public le 5 octobre jusqu’au 1er juillet2 ? En quoi est-elle de nature à infléchir les choix ? D. D. : Cette consultation est avant tout une sensibilisation, une acculturation à l’affichage environnemental : donner aux consommateurs l’envie d’en savoir plus. C’est pourquoi elle est accompagnée d’un quizz pédagogique. Cette consultation éveille un vif intérêt auprès des internautes : en moins d’un mois, ils sont plus de 2 200 à s’être exprimés sur les formats et les supports d’affichage, ainsi que sur les impacts qui leur semblaient les plus importants. Un nombre équivalent d’internautes, probablement les mêmes, se livrent au quizz : non seulement ils souhaitent exprimer leur avis, mais ils veulent également mieux comprendre les enjeux. Ainsi, l’expérimentation nationale dans son ensemble doit donner envie et d’une certaine manière démystifier le sujet dans la société. Selon une étude récente du cabinet Carbone4 (www.carbone4.com/fr), la consommation des Français émet depuis vingt ans toujours plus de CO2 sous l’effet de trois postes : NTIC, avion et dépenses de santé. L’affichage environnemental concerne-t-il ces secteurs autant que celui des produits de tous les jours ? Que seront les limites sectorielles de la « généralisation » prévue ? D. D. : L’expérimentation d’affichage multicritère actuelle se fonde sur des entreprises volontaires, qui se trouvent être aujourd’hui plutôt dans le domaine de la grande consommation, mais la loi ne prévoit pas de limites sectorielles particulières. N’oublions pas que la loi Grenelle 2 prévoit par ailleurs l’affichage obligatoire des émissions de CO2 liées aux prestations de transport. Enfin, si l’affichage est un outil puissant, il ne résume pas les actions possibles ; en dehors des instruments réglementaires et fiscaux, des accords sectoriels volontaires ont été développés dans le cadre du Grenelle, par exemple pour améliorer les performances environnementales de l’aviation, ou encore avec l’industrie pharmaceutique. La démarche française fait-elle école en Europe ? N’y a-t-il pas dans d’autres pays des approches différentes déjà trop avancées pour laisser espérer une initiative harmonisée à l’échelon de l’UE ? Ou le risque qu’une telle initiative remette en question l’option choisie en France sur la base de l’expérimentation en cours ? D. D. : L’expérience française est effectivement observée avec attention par nos partenaires. Sa principale spécificité était au départ son caractère multicritère, alors que la majorité des autres initiatives se limitaient au CO2 (Royaume-Uni notamment) : les récents développements européens montrent que les choses évoluent. Lors d’une future initiative harmonisée, qui nous paraît à terme incontournable, notre souhait d’une démarche multicritère sera d’autant plus entendu par nos partenaires que nous aurons fait en France la démonstration de son caractère opérationnel, et débroussaillé ses conditions pratiques de faisabilité. Y a-t-il déjà un début de concertation européenne dans le dossier ? D. D. : Outre les groupes communautaires sectoriels (alimentaire notamment), la Commission européenne a initié, sous l’impulsion des pays les plus avancés dont la France, l’élaboration d’une méthode harmonisée pour le calcul de l’empreinte environnementale des produits : c’est un signal important pour le développement de l’information environnementale sur les produits et un soutien à l’approche multicritère privilégiée par la France. Dans le cadre d’une expérimentation européenne, le projet de méthode d’évaluation environnementale est testé par un panel d’entreprises volontaires de juillet à décembre 2011, afin d’être affiné et finalisé. Dans le même temps, la Commission réfléchit à la future utilisation de cette méthode et vient de lancer des études sur la communication de l’information environnementale des produits et la perception des consommateurs : nous ne sommes donc de loin pas seuls à nous mobiliser sur ce sujet ! Propos recueillis par Jean Watin-Augouard 1. www.developpement-durable.gouv.fr/experimentation-affichage. 2. (www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/experimentation-sur-l-affichage-environnemental-1)

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