Bulletins de l'Ilec

L’acquis d’une démarche fédératrice - Numéro 424

01/11/2011

Entretien avec Nicole Salducci, responsable des affaires scientifiques et réglementaires de Procter & Gamble France, présidente du comité environnement de l’Ilec

Comment se singularise la démarche de l’Ilec ? Combien d’adhérents participent à l’expérimentation ? Nicole Salducci : L’enjeu de l’information environnementale est très complexe, tant sur le plan technique et méthodologique que dans la communication auprès des consommateurs. L’annonce par le gouvernement d’une phase expérimentale a été reçue très favorablement par les acteurs économiques et a suscité une forte mobilisation, puisque 168 entreprises ont été sélectionnées, dont vingt adhérentes de l’Ilec. C’est un signal très positif qui montre notre volonté d’apprendre en testant et de partager les expériences. Le fait que la démarche procède d’expérimentations volontaires est salué par tous. Sur les vingt adhérents de l’Ilec participants, quinze sont impliqués par l’intermédiaire de syndicats professionnels, cinq à titre individuel, mais tous se sont alignés sur une approche commune. La diversité des secteurs et des métiers que représente l’Ilec fait de lui un coordinateur particulièrement légitime. Ses adhérents partagent le souci de fournir aux consommateurs une information accessible, sincère, compréhensible et claire. Ils se sont tous posé les mêmes questions : comment faire passer cette information, quels pictogrammes retenir, quel vocabulaire choisir ? Tous ont une approche marketing : connaître les besoins des consommateurs pour y répondre au mieux, appuyer l’information d’éléments pédagogiques. Comment instaurer une bonne pédagogie s’il n’y a pas concertation ? La concertation a singularisé l’approche de l’Ilec. Avant la phase officielle de l’expérimentation, l’Ilec avait établi une liste de fondamentaux qui ne peuvent être occultés dans le processus d’établissement d’une information environnementale destinée aux consommateurs. Ces fondamentaux représentent les fondations du système d’information que nous venons d’élaborer. Le mélange de sociétés alimentaires et non alimentaires a-t-il été un obstacle ? N. S. : Non, nous avons pu élaborer un système tenant compte de l’expérience de chaque société, de chaque secteur : un système souple et applicable à tout type de produit – même au-delà des produits de grande consommation. Il faudra, à terme, comme c’est la volonté du ministère, converger vers une façon uniformisée de communiquer auprès des consommateurs sur l’impact environnemental, un système repérable quel que soient le produit et le circuit de distribution. Comment avez-vous associé l’Afise, l’Ania et la Fébea1 à votre démarche ? N. S. : Ces associations professionnelles sectorielles ont fait un grand travail méthodologique dans le cadre de la plate-forme Ademe-Afnor qui élabore les guides sectoriels encadrant les contenus de l’information environnementale. La mobilisation des industriels y a été très forte. S’agissant de l’information, elles ont jugé que l’Ilec pouvait jouer un rôle fédérateur dans la dimension communication. Du fait qu’il représente les industries de marques, l’Ilec a une légitimité pour élaborer le discours en direction des consommateurs. Quinze adhérents de l’Ilec avaient déjà mutualisé leur démarche dans le cadre de leurs associations sectorielles. Le temps très court, de mars à juillet, résultant du calendrier défini par le ministère nous a conduits à mutualiser les efforts et les ressources en allant à l’essentiel, à bien définir les priorités pour ne pas perdre de temps. L’Ilec est le seul à même d’avancer de façon concertée avec des acteurs aussi divers que ceux qu’il fédère. L’ensemble des opérateurs de la grande consommation, industriels, distributeurs, emballeurs, etc., avancent-ils de façon concertée dans le cadre de l’expérimentation ? N. S. : Sur 168 entreprises participantes, un tiers agissent de manière individuelle mais les deux tiers dans un collectif, illustrant l’intérêt d’avancer de façon concertée. A considérer l’ensemble des expérimentations, les approches de communication sont plutôt disparates, comme le souligne le cabinet Ethicity, avec lequel ont travaillé l’Ilec et ses partenaires. Plusieurs systèmes de communication sont testés, qui font appel soit à des notes, agrégées ou non, soit à des codes couleurs, soit à des baromètres ou à des échelles, ou à des valeurs absolues avec des repères. L’Ilec fait donc figure de pionnier, avec un système d’information harmonisée très souple et applicable à toute famille de produits, car la logique marketing procède des besoins des consommateurs et vise à leur donner une information accessible et compréhensible, mais en rien susceptible de les induire en erreur. Notre démarche d’harmonisation a eu un effet d’entraînement. Des entreprises non adhérentes, comme Sisley, Tribalat, St Hubert, ont aussi souhaité utiliser le système « Ilec » d’information environnementale. Sur les 168 entreprises retenues pour l’expérimentation, trente-quatre l’ont adopté et d​‌’autres s’y intéressent. A quelles conditions « l’affichage » d’une performance environnementale peut-il faire sens pour le profane ? N. S. : A condition d’être pensé pour le consommateur, et d’être le plus objectif et juste possible. Pour éviter toute confusion et cacophonie entre acteurs, il faut aller vers un même système d’information, indépendamment de la catégorie du produit, lessive, shampoing, biscuit ou boisson. Il faut parler le langage du consommateur et ne pas compliquer le discours. Mais il faut garder toute l’objectivité de l’information. Le consommateur doit prendre conscience que le sujet de l’impact écologique des produits est bien plus compliqué que ce à quoi il a été exposé jusque-là, l’affichage « classe énergie » ou les écolabels. A travers les lois Grenelle de l’environnement, l’approche française est de rendre disponible une information juste, multicritère, donc plus complexe. Aussi faut-il des clés d’entrée simples. Avec Ethicity, l’Ilec a retenu quatre grands thèmes qui représentent les enjeux écologiques : l’effet de serre, l’eau, la biodiversité et les ressources naturelles. Derrière ce premier niveau se trouvent des indicateurs dont le vocabulaire a été défini de façon commune, et l’ensemble est complété par un lexique. Cette harmonisation visuelle et sémantique répond à la volonté de donner une information pédagogique et non stigmatisante. Le système doit aller au-delà de l’affichage, pour jouer un rôle pédagogique. D’où l’idée, défendue par l’Ilec, de privilégier un support dématérialisé à même d’abriter l’ensemble de ce qui est nécessaire à la compréhension, site internet ou application pour téléphone mobile (comme Proxi-Produit). Notre système a été soumis à l’évaluation qualitative de groupes de consommateurs. Ils s’y sont montrés très favorables, et ont particulièrement apprécié qu’y figurent des repères renvoyant à leur univers quotidien (par exemple la consommation d’eau journalière moyenne d’un ménage, en vis-à-vis de la consommation d’eau associée à un produit). Que mesure-t-on lorsqu’on parle par exemple d’impact sur l’eau : un niveau de consommation ou de pollution ? N. S. : L’eau n’est pas un indicateur, c’est un grand thème ou critère, qui doit être illustré par le ou les indicateurs pertinents pour apprécier l’impact du produit étudié. Dans l’exemple de la lessive, il sera important de renseigner l’indicateur de la consommation d’eau et celui qui évalue l’impact de la lessive sur les milieux aquatiques. Quelle est la fiabilité des données collectables (en termes de précision et de stabilité) ? N. S. : L’approche française s’appuie sur l’analyse du cycle de vie (ACV). Les ressources et données nécessaires à une ACV sont considérables – et coûteuses, ce qui interdit de les remobiliser après chaque modification apportée à la composition ou à la chaîne d’approvisionnement d’un produit. L’ACV permet l’information la plus objective possible, car elle tient compte des impacts pertinents dans l’ensemble des phases du cycle de vie d’un produit. Pourtant, la précision des résultats est limitée, pour plusieurs raisons. La première est que certains impacts comme l’empreinte carbone ne sont pas mesurés mais modélisés. Nous ne sommes pas du tout dans le cas de l’étiquetage nutritionnel : lui peut donner avec précision le nombre de calories d’un produit, parce que ce nombre est déterminé de manière analytique. Les modèles d’impact environnemental sont des simulations de la réalité. Ils procèdent d’un certain nombre d’hypothèses. Par exemple, une lessive contient environ trente ingrédients (sans tenir compte du parfum). Pour « calculer » son empreinte carbone, il ne faut pas moins de cent quatre-vingts données, or chacune amène une incertitude. Quand on agrège les données, cela multiplie les marges d’erreur. Dans le cas de l’électroménager et de sa notation AAA, AAB, etc., le problème est simple, il s’agit de la consommation d’énergie d’un appareil, aisément mesurable et simple à afficher. L’expérimentation résultant des lois Grenelle va bien au-delà. La deuxième limite à la précision des résultats tient au fait que les différents opérateurs entrant dans le cycle de vie des produits ne sont pas également capables de réunir des données homogènes sur les ressources naturelles touchées par leur activité. On utilise donc des données génériques et non des données qui leur seraient spécifiques. Troisième limite, il peut y avoir des lacunes dans les données. On ne connaît pas tout sur tout. C’est le cas avec les lessives. Plusieurs méthodes existent. Celle retenue dans le cadre de la plate-forme Ademe-Afnor, Usetox, même si elle est la plus aboutie en termes de modélisation, a une base de données incomplète, ce qui la rend aujourd’hui trop approximative dans son application, aux lessives par exemple. Enfin les chaînes d’approvisionnement sont complexes et changeantes. Un même produit peut impliquer plusieurs fournisseurs, plusieurs usines, et être affecté d’un facteur saisonnier. Au total, le niveau d’incertitude d’une ACV est donc grand, souvent de l’ordre de 20 à 25 % . Sur quelle base pourront néanmoins s’appuyer des comparaisons d’impact ? N. S. : Il est très important de s’appuyer sur une méthode et une base de données communes. Il revient à la plate-forme Ademe-Afnor de fixer des règles de calcul par grandes catégories de produits. Neuf secteurs ont déjà leur référentiel. Et les données « spécifiques » (propres à chaque entreprise) qui vont être collectées en application de ces méthodes doivent être vérifiables, contrôlables et d’accès facile. C’est le rôle des pouvoirs publics, à travers la DGCCRF, de s’en assurer. L’option de la « notation environnementale », agrégée ou non, ne risquerait-elle pas d’alimenter le soupçon sur des opérateurs qui se noteraient eux-mêmes alors qu’ils sont pourvoyeurs de données ? N. S. : L’Ilec et ses partenaires de l’expérimentation ont écarté toute notation agrégée, de même que tout résultat sous forme de baromètre ou d’échelle, pour plusieurs raisons. La première tient aux marges d’erreur inévitables qui ôteraient dans de nombreux cas toute signification à des écarts de note entre deux produits. La deuxième est que l’esprit de l’approche multicritère est d’éclairer les consommateurs sur les différents enjeux écologiques. Agréger les indicateurs et les critères masquerait le poids relatif de chacun. Ce serait esquiver la réalité et sa complexité. Le sérieux de la démarche passe par la justesse de l’information. Un score unique pourrait donner une idée fausse et trompeuse de simplicité. Interrogés par Ethicity sur les informations qu’ils souhaitent trouver sur les produits, les consommateurs placent l’environnement au second plan, tout en citant la pollution comme leur principal motif d’inquiétude… N. S. : L’environnement et la santé sont intimement liés dans l’esprit des consommateurs. Tout ce qui touche à la santé leur importe. Dès lors que l’environnement touche à la santé du consommateur ou de ses proches, du fait par exemple de la pollution de l’air ou de l’eau, il devient une inquiétude. Les consommateurs sont plus inquiets des impacts environnementaux sur leur santé que des impacts sur la planète. Il faut davantage expliquer au grand public que la protection de l’environnement ne se réduit pas à la lutte contre la pollution. Y a-t-il des fréquences d’achat ou des prix, au-dessus ou au-dessous desquels la consultation d’une information environnementale n’intéresserait pas les consommateurs ? N. S. : Rien aujourd’hui ne permet de dire que la fréquence d’achat ou la dimension prix pourraient être des éléments différenciants pour une information environnementale. L’expérimentation tient-elle compte des autres approches en Europe ? N. S. : S’il est important d’aller de l’avant, il l’est aussi d’être en cohérence avec toutes les démarches européennes. Nombre d’entreprises de produits de grande consommation interviennent au niveau international. Une démarche franco-française pourrait être considérée comme une entrave à la libre circulation des produits. Quelle sera la prochaine étape ? N. S. : Ce sera, courant 2012, l’évaluation des expériences, de la compréhension des consommateurs, des éventuelles opportunités d’évolution du système. Tous les acteurs s’y emploieront, en vue du rapport qui devra être ensuite présenté au Parlement2. Propos recueillis par J. W.-A. et F. E. 1. L’Afise représente les fabricants de produits détergents et d’entretien, l’Ania ceux de l’agroalimentaire, la Fébea ceux des cosmétiques. 2. Obligation prévue par la loi Grenelle 2, article 228.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.