Bulletins de l'Ilec

Pour une approche catégorielle - Numéro 424

01/11/2011

Entretien avec Pascal Franchet, directeur développement durable d’Energizer Europe

Votre secteur n’est pas représenté parmi les 168 entreprises retenues par le ministère de l’Ecologie dans le cadre de l’expérimentation de « l’affichage environnemental des produits ». Pour quelles raisons ? Pascal Franchet : Nous avons décidé de travailler avec notre syndicat, le SPAP (syndicat français des fabricants de piles et d’accumulateurs) afin d’avoir une approche commune dans notre catégorie de produits. Tous les membres du SPAP n’ont pas encore, à ma connaissance, entrepris d’étude sur l’impact environnemental de leurs produits et ceux qui ont mené une analyse du cycle de vie (ACV) n’ont pas employé la même approche, en particulier en ce qui concerne le choix de l’« unité fonctionnelle ». Or du choix de cette unité dépend l’information qui pourra être produite quant aux impacts environnementaux de la catégorie. Nous privilégions une approche commune et concertée, c’est pourquoi Energizer a décidé de ne pas se joindre à l’expérimentation. Sur un sujet aussi difficile et techniquement pointu, l’approche concurrentielle n’est pas pertinente. De toute façon, à la fin de l’expérimentation, il faudra un arbitrage sur l’unité fonctionnelle et la méthode employée, lorsqu’au sein d’une même catégorie les fabricants auront choisi des approches divergentes. Mieux vaut donc, pour les industriels, réfléchir en commun avant d’entamer les analyses, plutôt que s’en remettre à un arbitrage extérieur. L’autre raison pour laquelle nous sommes restés en retrait de cet appel à expérimentation est que notre catégorie est déjà fortement réglementée au niveau européen, avec en particulier la directive Piles et Accumulateurs de 2006 (2006/66/EC), mise en œuvre en 2008 et qui nécessite encore des travaux communautaires pour certains articles. Nous ne pouvons pas être sur tous les fronts, notre priorité, aujourd’hui, est le front réglementaire, sachant qu’il y a d’autres textes européens à prendre en compte, tels que Reach, ou le « Plan d’action pour une production et une consommation durables » (dit SCP/SIP AP) de l’UE. Pour autant, nous sommes des observateurs attentifs de l’expérimentation en cours depuis juillet, et des moyens pratiques envisagés, notamment le choix du support. Comment définissez-vous l’unité fonctionnelle ? P. F. : L’unité fonctionnelle est l’unité à partir de laquelle toutes les évaluations d’impacts environnementaux seront entreprises. Prenons le cas de la lessive : l’unité fonctionnelle pourrait être un kilo de linge ou un kilo de poudre, ou encore un cycle type de lavage. La difficulté de l’affichage environnemental tient en premier lieu au choix de cette unité et à sa pertinence pour représenter l’usage du produit par les consommateurs. Dans notre catégorie de produits, l’unité fonctionnelle pourrait être une pile, la quantité d’énergie fournie, une puissance délivrée, ou une unité fonctionnelle liée à un usage particulier. Energizer a choisi cette dernière approche, en déterminant cinq applications mesurée sur une période définie. Nous avons décidé de raisonner en fonction de l’appareil (horloge, appareil photo, lampe torche…), car il y a autant de types d’impacts environnementaux que d’applications. Donc, ce n’est pas une unité fonctionnelle, mais cinq unités fonctionnelles que nous avons retenues. La définition de l’unité fonctionnelle doit être pertinente pour trois raisons : permettre à l’entreprise de comprendre les impacts environnementaux de ses produits et leur poids relatif ; analyser les opportunités d’amélioration dans les différentes phases du cycle de vie du produit ; apporter une information au consommateur qui lui permette d’agir en utilisant plus efficacement le produit, d’être un consom’acteur. C’est l’un des mérites de l’action engagée par le ministère. L’expérimentation va permettre de tester les différentes approches méthodologiques, en particulier sur le choix de l’unité fonctionnelle et sur le format de communication. Le choix multicritère vous paraît-il pertinent ? P. F. : Il serait très réducteur de traiter des préoccupations environnementales en ne considérant que le critère du réchauffement climatique (équivalent CO2 ). Même si ce critère est le plus médiatisé et le plus évident à percevoir par le citoyen, d’autres impacts peuvent être plus significatifs. Pour notre part, nous avons déjà identifié deux critères principaux que sont le réchauffement climatique, ou effet de serre, et l’épuisement des ressources naturelles. Un troisième critère pourrait être considéré. Dans le cadre de l’expérimentation, certaines méthodes privilégient une agrégation de plusieurs critères (CO2, eau…). Je n’y suis pas favorable, car c’est ajouter une couche d’approximation à des chiffres qui sont déjà des agrégations, donc l’indice qui en résultera n’apportera qu’une lecture très simplifiée et peu informative. Il faut bien comprendre que les analyses ACV résultent d’une compilation de chiffres qui sont déjà des moyennes (transport, mix énergétique, etc.), des chiffres standardisés issues de bases de données génériques. A cela s’ajoute le fait que ces études se fondent très souvent sur une proportion de données primaires (propres à un produit) faible : 20 % environ. Les autres données, dites génériques, peuvent représenter 80 % . La valeur ainsi obtenue pour illustrer un indicateur environnemental est donc un chiffre approximatif à plus ou moins 15 ou 20 % près dans le meilleur des cas. En agrégeant encore à un niveau supérieur plusieurs de ces indicateurs, vous perdez tout sens à la lecture de l’information. Entre un produit qui afficherait 100 et un autre qui afficherait 105, il n’y aurait en réalité aucune différence statistique quant aux performances environnementales. Mais auprès du consommateur, qui n’a pas accès au détail des informations, vous créez une distorsion de marché qui peut être lourde de conséquences pour l’entreprise. C’est pourquoi les travaux menés dans le cadre de la plate-forme Ademe-Afnor sont très importants, car ils permettent de définir une méthode commune à une catégorie de produits pour les divers paramètres d’élaboration des ACV (unité fonctionnelle, méthodes d’évaluation, inventaires des données). Quelle solution préconisez-vous ? P. F. : Vouloir comparer les marques dans les conditions décrites précédemment me semble difficile. Un premier degré de comparaison peut se trouver au niveau des technologies, où les différences peuvent être beaucoup plus significatives. Dans l’univers des piles, nous avons plusieurs technologies disponibles. Lors de l’étude ACV, chez Energizer, nous avons cherché à comprendre l’impact des diverses technologies en fonction des usages, car une pile est un produit dont l’usage est extrêmement varié, tant par la consommation de courant que par la fréquence ou le mode d’utilisation. Il en résulte une variété des impacts environnementaux très large. Ainsi, nous avons mis en évidence qu’il n’y a pas une technologie meilleure que les autres ; chacune a ses avantages en fonction de l’usage par le consommateur. Une piste de réflexion, identifiée dans le cadre de la plateforme Ademe-Afnor à propos d’une autre catégorie de produits, pourrait être de considérer la pile en tant que consommable accompagnant un appareil électrique ou électronique. Cela permettrait de caractériser l’impact des piles en rapport direct avec les produits pour lesquels elles sont conçues : torche, réveil, jouet… Comment souhaitez-vous communiquer votre impact environnemental : en magasin, sur le produit ou sur internet et téléphone ? P. F. : Trouver de la place sur un emballage de piles pour une information environnementale relève de la gageure, car il est déjà saturé de mentions obligatoires – notamment les traductions des indications diverses en plusieurs langues comme l’exige la réglementation pour des produits vendus uniquement en Europe. Or l’information doit être visible, lisible et compréhensible. Nous souhaitons communiquer sur Internet, et nous le pratiquons déjà. Il est évident que l’affichage environnemental nécessite une éducation du consommateur, qui ne peut être restreinte ni à l’emballage ni au point de vente. L’utilisation des nouvelles technologies est incontournable, et facilitée par un fort niveau de pénétration parmi les diverses catégories de consommateurs. Je le répète, l’information de l’impact environnemental d’un produit ne peut se réduire à un chiffre ou à un curseur sur un emballage. Et souvenons-nous de l’affichage de l’efficacité énergétique sur l’électroménager : il a fallu dix ans aux consommateurs pour en faire un outil de choix au moment de l’achat, qui pour ces produits, à la différence de nôtres, ne se limite pas à quelques secondes ! L’expérimentation est, pour l’heure, française. Qu’attendre sur le plan européen ? P. F. : Notre industrie est à dimension européenne, voire mondiale. Nous ne pouvons accepter un affichage différent et spécifique selon les pays : le Blue Angel en Allemagne, le Carbon Trust au Royaume-Uni, le White Wan dans les pays nordiques. L’harmonisation européenne est un minimum indispensable. L’industrie ne pourra répondre à vingt-sept réglementations spécifiques. Il serait judicieux que l’expérimentation française soit prescriptrice pour l’Europe. Notre association européenne (European Portable Battery Association, EPBA) milite en faveur de l’harmonisation et nous sommes en contact régulier avec le bureau Environnement de la Commission à Bruxelles pour partager nos vues. Il faut éviter d’accumuler des exigences réglementaires qui risqueraient de rendre l’information illisible et incompréhensible pour le consommateur. Pensez-vous que l’information environnementale sur vos piles sera un facteur de compétitivité ? P. F. : La compétitivité dépend de la performance du produit et de nombreux autres paramètres. Il serait préférable d’intégrer l’impact environnemental d’une pile à celui de l’appareil électronique, puisque c’est le couple source d’énergie et consommation d’énergie qu’il faut caractériser. Une pile rechargeable dans une horloge dont on change la pile tous les trois ans n’a pas d’intérêt environnemental. En fait, la logique environnementale suit la logique économique. L’enjeu de l’affichage environnemental est d’inciter le consommateur à utiliser judicieusement le produit. Doit-on craindre une diabolisation de certains secteurs ou de certaines catégories ? P. F. : Cette diabolisation a déjà lieu en l’absence d’information. L’information environnementale peut donc éviter ce phénomène en rectifiant certaines idées préconçues. Mais si l’information et son format ne sont pas corrects, l’effet sera contraire à celui recherché et lourd de conséquences néfastes. Nous serons attentifs à la qualité de la production du chiffre environnemental et à la qualité de son affichage, et des explications qui y sont apportées. Propos recueillis par J. W.-A. et F. E.

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