Bulletins de l'Ilec

L’avant-garde des conso’battants - Numéro 424

01/11/2011

Entretien avec Philippe Jourdan, société d’études et de conseil Panel On The Web*

L’affichage environnemental en cours d’élaboration vise à « intégrer le critère environnemental dans les choix d’achat ». Est-ce qu’il appartient aux consommateurs de changer le modèle de production ? Philippe Jourdan : L’observation des marchés et des modes de consommation nous montre que c’est déjà le cas dans un grand nombre de domaines. Le « conso’battant » exprime une préoccupation grandissante pour la préservation des ressources, que conforte un examen toujours plus critique des abus de l’hyperconsommation. Les entreprises qui l’ignoreront dans leur mode de production, de commercialisation et de recyclage seront sanctionnées, d’autant plus que les réseaux sociaux fonctionnent comme une formidable caisse de résonance. Ce qui est en jeu, c’est une dénonciation des marques par leurs clients, s’il y a incohérence entre leur engagement social (aussi sincère soit-il) et une pratique ponctuelle. Il appartient aux consommateurs de changer le modèle de production, car une dimension civique de la consommation s’exprime. Le changement souhaité du mode de consommation, que ne fait qu’aviver la crise, est le reflet d’un changement plus profond du mode de vie. Le raisonnement du « conso’battant » est simple : quitte à moins consommer, autant mieux consommer. En consommant différemment, s’adapter à la crise, et contribuer à changer une société jugée trop matérialiste. Les consommateurs sont-ils demandeurs d’information sur l’impact écologique de ce qu’ils consomment ? Sont-ils mieux ou moins bien informés écologiquement qu’économiquement ? Et portés à en tenir compte en modifiant leur comportement d’achat ? P. J. : Il y a une vraie demande d’information. On a pu le constater avec le succès d’audience des documentaires consacrés aux enjeux environnementaux dans un passé récent ( Home de Yann Arthus-Bertrand ; An Inconvenient Truth d’Al Gore ; le Syndrome du Titanic de Nicolas Hulot). La demande se situe d’abord à un niveau d’information globale : quels sont les grands enjeux écologiques pour la planète ? Pourquoi les experts sont-il en désaccord sur le bilan, les perspectives, les risques ? A quel horizon se situent les risques majeurs (déforestation, pollution, épuisement des ressources, etc.) ? Les informations qui circulent sont souvent jugées confuses, contradictoires ou énoncées dans un langage trop scientifique, de sorte que le consommateur-citoyen se sent parfois frustré sinon tenu à l’écart. La consommation écologiquement responsable ne va pas sans certains paradoxes : 87 % des consommateurs déclarent « être prêts à renoncer à l’achat d’un produit néfaste pour l’environnement » et 80 % adhèrent à l’idée que « nous devons limiter notre consommation », mais qu’en est-il du comportement réel ? Une étude que nous avons réalisée avec le cabinet Vertone en 2010 sur l’énergie électrique montre une adhésion mitigée au « compteur intelligent » : 55 % seulement des abonnés y sont favorables. De plus, l’attente est plus économique qu’éco-citoyenne : les abonnés sont demandeurs d’un instrument de mesure qui leur permette de moins consommer ou consommer moins cher, ou qui signale les fuites d’eau et de gaz, mais ils ne sont pas toujours prêts à payer pour. Dans d’autres secteurs, l’abondance d’information (labels, appellations, certifications écologiques) nuit à la clarté et à la compréhension des critères d’achat. Si 91 % des automobilistes français se disent concernés par la lutte contre la pollution automobile, 65 % s’estiment mal informés par les constructeurs sur les solutions, qu’elles relèvent de la technologie ou des pratiques de conduite. Et ils ne sont pas tous prêts à changer leurs habitudes : ils font avant tout appel à la responsabilité des constructeurs pour proposer des véhicules propres mais pas plus chers à l’achat et à l’usage… Les consommateurs sont-ils plus ou moins demandeurs d’information en France qu’ailleurs ? P. J. : On peut présumer que l’évolution du comportement d’achat dont nous parlons ici est plus ou moins universelle, sans doute moins marquée dans les pays émergents qui découvrent les joies de la consommation de masse. Trois facteurs sous-tendent l’aspiration à une consommation plus responsable (et corollairement à une information sur les impacts environnementaux des produits) : un facteur économique, la baisse du pouvoir d’achat qui se traduit par une volonté (sinon une nécessité) de moins consommer ; un facteur psychologique, la résistance du consommateur par rapport aux marques et à la grande distribution, à qui il est parfois demandé des comptes sur le thème de la vie chère ; et un engagement lié à la citoyenneté, la volonté de s’engager pour une cause et d’en tirer fierté, reconnaissance ou gratification. Ces trois facteurs se trouvent le plus fréquemment réunis en France. Nous sommes dans un contexte où l’adoption rapide de comportements d’achat responsables, dans le cadre d’une économie en crise, appelle des politiques publiques vigoureuses (incitations, primes, réglementations…). Il semble difficile de l’envisager autrement. Propos recueillis par J. W.-A. *Coauteur avec François Laurent et Jean-Claud Pacitto d’A nouveaux consommateurs, nouveau marketing, Dunod, 2011.

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