Bulletins de l'Ilec

Publicité et portrait de famille - Numéro 425

01/01/2012

La publicité, miroir de la société ? Que nous dit-elle de la famille, de l’évolution de sa place, de son rôle et des membres qui la constituent ? La famille Ricoré est-elle un archétype encore pertinent ? En 1972, Ricoré s’invite à la table du petit déjeuner et s’ancre dans le domaine bucolique et familial. Devenu « l’ami Ricoré » en 1983, il s’adresse, signe des temps, aux adolescents qui vont se fiancer. La famille s’élargit en 1993 avec les grands-parents. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ou plutôt était, car les temps semblent avoir changé. Comme l’attestent les récentes affiches de l’enseigne Eram qui, sur le ton de la dérision, martèlent que la famille, c’est sacré : « Comme disent ma maman et son petit copain qui a l’âge d’être mon grand frère, la famille c’est sacré » ; « Comme disent mes deux mamans, la famille, c’est sacré » ; « Comme disent mon papa, ma maman et la troisième femme de mon papa, la famille, c’est sacré. » Famille monoparentale, famille recomposée, famille homoparentale, maman couguar… L’heure est à une polyphonie qui rompt avec des années de vision idyllique de la famille traditionnelle. Pour autant, la même enseigne, qui s’était rendue célèbre dans les années 1980 avec le slogan « Il faudrait être fou pour dépenser plus », le ressort aujourd’hui des tiroirs. Car les familles, aussi diverses soient-elles devenues, ont au moins pour point commun la nécessité d’arbitrer entre leurs dépenses. Le Crédit mutuel le sait bien, qui met en scène un duo père-fille se chamaillant autour des dépenses liées au mobile. La banque proclame qu’elle appartient « à toute la famille », grâce à une offre de téléphonie qui réduit le budget des uns et des autres. Famille recomposée ? La publicité de Renault pour le Grand Scenic illustre la tendance : « Lui, c’est Théo, mon fils, il est né de mon premier mariage avec Hélène… Je l’emmène à la piscine, puis je repars et je vais chercher les jumeaux, Elliot et Lucas, mes deux autres enfants, enfin je veux dire, ceux de ma nouvelle femme… Je pars aussitôt rechercher ma petite Marie, ma fille, et celle de ma femme actuelle. Ensuite je passe prendre Tom, je viens d’apprendre que c’était mon fils, et on rentre tous à la maison. » Couple hétéro, couple homo ? L’enseigne The Kooples ne choisit pas, qui met en scène les deux, voire les trois. Famille ou familles ? Les deux, avec Samsung, dont les clients affirment : « Nous sommes ceux qui ont deux familles, leur famille et leurs amis. » Les divorcés sont toujours deux. Aussi Kinder prend soin du père qui accompagne son fils à l’école, ou vient le chercher pour lui offrir un œuf en chocolat. En revanche, la marque met en scène une famille traditionnelle, jusqu’aux grands-parents, pour fêter Noël avec ses Schoko Bons ou souhaiter un « joyeux petit déjeuner », toujours familial, avec Nutella, autre marque du groupe Ferrero. Autre produit, autre cible, autre discours. La SNCF propose en anglais dans le texte le « service TGV Family » pour divertir les enfants dans une voiture spécialement aménagée. Signe des temps ? La famille, en revanche, a cessé d’être revendiquée par les clubs de vacances VVF (« Villages Vacances Familles »), qui ont troqué leur nom pour un hermétique « Belambra »… Confusion ou diversité des genres ? Un jeune homme au volant de sa Twingo découvre, à l’entrée d’une boîte de nuit, son père travesti en drag queen et l’interpelle : « Papa [le mot demeure ! ], tu nous ferais rentrer ? » Le slogan de l’écran n’est que sobriété : « Renault, bien dans son époque. » Le rite du repas partagé en famille ne rythme plus comme naguère le temps domestique. Si la famille nombreuse – plus de deux enfants – se fait rare dans les représentations comme dans les salles à manger, celle avec deux enfants est au centre du discours de certaines marques, comme Maggi et son bouillon Kub, Poulain et ses images, rééditées, dans ses plaquettes de chocolat. L’image traditionnelle de la famille comme valeur refuge, cocon protecteur, est utilisée par des marques qui se veulent fédératrices. C’est en famille que l’on choisit un saveur parmi les vingt-huit de Danette. En famille encore, quand un fils, sur le point de partir à l’heure du dîner, s’exclame devant ses parents en train de manger des haricots Bonduelle : « ça a l’air bon, ça ! – Ils sont supertendres, explique la mère, c’est des haricots verts cuits à la vapeur. – En conserve, précise le père. – À la vapeur », s’entend-il rétorquer. D’autres marques adaptent leur offre aux besoins de la famille déstructurée, comme William Saurin, qui propose Cocote, un plat individuel à réchauffer au micro-ondes : une femme surprend son mari parler avec gourmandise et sensualité d’une cocotte qu’elle croit être sa maîtresse. Puisque l’étymologie latine de « famille » désigne l’ensemble des gens qui vivent sous le même toit, la famille de la publicité peut être famille élargie ou tribu, comme celle de Véronique Janot recommandant à ses amis Fruit d’or omega 3 au cours d’un repas. Et la vigilance semble de rigueur de la part de certaines marques qui comme Nestlé refont l’éducation des consommateurs en montrant, avec la campagne « Tous ensemble à table », que manger est un acte structuré, et accompli si possible en famille. Findus abonde dans le même sens avec ses adolescents avachis qui ont soudain l’idée d’un « truc d’ouf » : manger à table ! Qui est prescripteur au sein de la famille ? La mère, toujours nourricière quand elle propose Mousline à ses enfants, car elle est sûre que « tout le monde en redemande ». C’est elle toujours qui recommande St Hubert 41. La mère nourricière de Charal, elle, porte son enfant par le cou comme une lionne un lionceau. Pour autant, il est des domaines où les enfants prennent le pouvoir. La Peugeot 806 est ainsi « la voiture que les enfants conseillent à leurs parents ». Les bébés, aussi, ont leur mot à dire. Dans une publicité EDF, un jeune père tient dans les bras un nourrisson qui, d’une voix grave, lui conseille de modifier le chauffage domestique, car la maison est mal chauffée (slogan « Si EDF ne vous le dit pas, qui vous le dira ? »). L’autorité paternelle est battue en brèche, le savoir du père contesté. Le Crédit mutuel lance en 2010 une saga en quatre écrans dont l’un montre un père annonçant à son fils (adulte) que « le Père Noël n’existe pas » tandis que le fils se défend en alléguant l’offre de la banque. Dans d’autres écrans, le fils oppose les clients-sociétaires du Crédit mutuel à la toute-puissance de Wall Street dont parle son père, ou le service de paiement Etalis aux efforts paternels infructueux pour réparer un lave-linge. Du père au pair… Tel père, tel fils ? Telle mère, telle fille ? La publicité associe-t-elle famille et transmission ? Claude Brasseur affichait dans les années 1970 sa fidélité au camembert Président, en souvenir de son père, Pierre, lui aussi consommateur de ce fromage. Récurrence identitaire, l’horloger Patek Philippe met toujours en scène un père et son fils : « Jamais vous ne posséderez complètement une Patek Philippe. Vous en serez juste le gardien pour les générations futures. » La marque de maillot de bain Vilebrequin aussi joue du registre père-fils, et l’enseigne Comptoirs des cotonniers anime ses collections en mettant à l’honneur des duos mère-fille, avec pour slogan « La mère & la fille & la mode ». La famille demeure, pour bon nombre de marques, l’institution primordiale qui assure la transmission, de génération en génération, de l’usage de certains produits. Elle soutient la fidélité aux marques : à l’occasion de leur anniversaire, les marques se le rappellent. Benedicta met en scène des générations successives de familles attablées, Brossard réunit aïeuls, parents et enfants, et Nivea associe sa longévité à cent ans de transmission de mère à fille. Renault joue de la différence dans la fidélité transgénérationnelle, en adaptant les besoins aux temps : « Mon grand-père avait une Renault essence, mon père une Renault Diesel, pour moi, ce sera une Renault électrique, autres temps, autres Renault » ; « Mon père choisissait Renault pour le confort de ses enfants, j’ai choisi la mienne pour préserver le futur des miens. » Et la mère ? « Ma mère préférait Renault parce qu’elle n’avait jamais essayé autre chose. Moi, c’est parce que j’ai tout essayé avant. » C’est chez Renault encore que la famille américaine Simpson vante dans un dessin animé les mérites de la Kangoo, « testée et approuvée par toute la famille ». C’est en revanche, chez Mercedes, franchement contre l’esprit de famille qu’une jeune femme implore son ami : « Dis moi qu’on ne sera jamais comme nos parents ! » Leur voiture devait être loin d’arborer la célèbre étoile à trois branches. Dans le film Tanguy réalisé par Etienne Chatilliez, un jeune homme de vingt-huit ans vit toujours chez ses parents et s’y trouve très bien, alors même qu’il travaille. Sa mère ne lui a-t-elle pas dit, quand il était enfant, qu’il pourrait rester toute sa vie à la maison ? Entre cherté du logement et « adulescence », l’effet Tanguy affecte la famille contemporaine. Traduction sur le plan publicitaire, Orpi met en scène un couple de parents seniors exultant de joie en voyant partir leur enfant, proche de la quarantaine, vers un nouveau lieu d’habitation, qu’il a trouvé grâce à l’agence : « appartement bord de mer idéal pour commencer nouvelle vie ». La distribution des rôles évolue. Même si, en publicité, la mère peut devenir une femme battante, une femme d’affaires, elle reste souvent associée à des taches ménagères, fourneau, lessive, repassage, nettoyage et repas. Les hommes ont pourtant fait une intrusion dans la cuisine, pour vaquer à la vaisselle avec Soleil citron, Mir et sa « Moumoune », Mapa… Et ils donnent maintenant le biberon (Eveil de Lactel) ou apprennent à leur jeune enfant à déguster un fromage (Saint Moret). Les parents peuvent redevenir adolescents, et leurs ados prendre leur place. Pour choisir une Renault, le père et la mère surfent sur la Toile, à la recherche de la meilleure affaire, pendant que leur fils fait la cuisine. Et les menace d’éteindre l’ordinateur s’ils ne viennent pas manger le plat de pâtes. Le thème de l’enfant-roi n’est pas nouveau en publicité Il suffit, pour s’en convaincre, de feuilleter les pages publicitaires des marques de chocolat du début du xxe siècle. Que disent les publicités d’aujourd’hui ? Quand on s’appelle Bonne Maman, difficile de valoriser la rupture, le mélange des genres ou la fin des symboles familiaux. Pour cette marque à qui s’adresse l’amoureux solécisme « c’est toi que j’aime tant », la mise en scène respecte toujours les mêmes codes : deux enfants, bon chic bon genre, dans la maison familiale, souvent maison de vacance, à la campagne. L’autorité paternelle vacille dans une publicité Lactel, devant celle d’une fillette : « Dis papa, c’est quoi cette bouteille de lait ? » N’obtenant pas de réponse, elle finit par demander comment on fait les bébés. Dans une autre publicité de la marque, la fillette demande d’où vient le lait bio et pointe le ventre de sa mère enceinte : « En tout cas, moi, je sais d’où il vient, lui ! » Pour une marque du groupe Kraft, lancée en France en 2010, une autre fillette zézaye : « Papa, je vais t’expliquer comment on mange un Oreo, attention, c’est très compliqué. » Le père se risque : « Je peux essayer ? – Non ! – Ben pourquoi ? – Je crois que t’es pas encore prêt. » Devenue adolescente, la fillette peut être tyrannique, à en croire une scène « inspirée de fait réels » pour SFR Neufbox, où devant ses parents médusés une fille hurle d’indignation : « C’est quoi ce jean ? Mais depuis quand on repasse un jean ? Mais maman, je ne vais pas mettre ça sur le dos à l’école ! (…) J’en ai marre ! » A la question de la mère (« Qui est cette enfant ? ») et à la molle réaction du père (« Calme-toi ») fait cruellement écho le slogan de la marque : « Qui va lui dire qu’Internet est en panne ? » La Toile n’est pourtant pas l’addiction des seuls ados. Si les digital natives passent pour s’être coupés de leurs parents guère rompus aux nouvelles technologies, les agences publicitaires regardent de plus en plus du côté des digitals mums, ou mères numériques, qui pourraient renouveler bientôt l’image publicitaire de la femme en famille. La publicité semble parfois moins à l’aise avec les grands-parents et le cliché des papy et mamy gâteaux. Des grands-mères se récrièrent quand Mamie Nova lança en 1985 la campagne « Merci qui ? ». Elles répliquèrent « Mamie Nova, les mamies ne lui disent pas merci. » Et la même marque faillit disparaître en 1989, après avoir risqué « La mamie que je préfère, elle est dans le frigidaire ». On ne touche pas aux grands-parents. Avec eux, la complicité est de mise. Comme ce grand-père qui donne à son petit-fils des bonbons au caramel Wherter’s Original. Ou Denise Grey pour l’eau de javel La Croix, qui surprend sa petite-fille avec son ami sortant du lit et garde le secret. Même complicité lorsqu’une grand-mère au volant d’une Twingo découvre les préservatifs à la fraise de sa petite-fille et les range dans son corsage. C’est encore une grand-mère qui, au cours d’un repas familial réunissant toutes les générations, montre à sa petite-fille que le jambon Herta sans sel est bon pour la santé. Le « goût des choses simples » se transmet. Les marques, substituts à certaines tâches familiales ? Un slogan l’a résumé, « Moulinex libère la femme », dont l’acronyme donne… MLF ! Depuis son moulin à légumes, Jean Mantelet n’a eu de cesse de créer des appareils électroménagers qui soulagent des tâches ménagères ingrates. Récemment, Kenwood a montré une famille allongée sur l’herbe, avec ce commentaire : « Cette famille est en train de cuisiner. » Avec Acadomia, Complétude et autres, des marques de services prennent la place des précepteurs d’antan. Et ne doit-on pas à Joseph-Léon Jacquemaire, pharmacien à Villefranche-sur-Saône, l’invention, en 1906, de la Blédine, devenue Blédina en 1960, surnommée « la seconde maman » ? La marque d’alimentation pour bébés a adopté depuis un profil plus modeste : elle est aujourd’hui « du côté des mamans ». Si l’on sort du registre publicitaire pour entrer dans celui des noms de marques, la liste est fournie des produits légitimés par une figure familiale, depuis au moins A la Mère de Famille, la plus ancienne maison de chocolat parisienne (1761) : Papy Brossard, ou Oncle Ben​‌’s, sucre Daddy, café Grand-Mère, biscuits la Mère Poulard, Mamie Nova, Bonne Maman, enseigne Papa Pique, Maman Coud, calvados Père Magloire, volaille Père Dodu… Des substituts de parents traditionnels ?

Jean Watin-Augouard

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