Bulletins de l'Ilec

Impératif de mixité - Numéro 429

01/07/2012

Les plus jeunes générations ont une capacité sans précédent d’adaptation au changement et à l’incertitude de l’avenir. Sans le cynisme de leurs aînés, mais sans grande envie d’excellence. Entretien avec Hervé Druais, Hom&Sens, conseil en management

En quoi la génération Y se distingue-t-elle de la génération X ? Hervé Druais : Le concept de génération Y ou Z, est une vue de l’esprit, c’est une façon de se rassurer. Quand on est un peu perdu, déboussolé, on cherche des explications. Le temps passe, on vieillit, d’autres générations arrivent qui vivent dans leur temps, les contextes évoluant. Ce qui explique la différence générationnelle, c’est le fait que des générations s’adaptent plus vite au changement que d’autres. Le temps qui sépare deux générations est plus court qu’hier : d’une période de vingt-cinq ans avant guerre à moins de dix aujourd’hui. Comme le temps va plus vite, le changement n’étant pas considéré comme naturel, on a plus de mal à suivre, on cherche des arguments pour expliquer les différences générationnelles. Parler des X, Y ou Z est un faux problème, il y a toujours eu des générations, pour autant les changements sont profonds entre les baby-boomers et la génération Y, et ils seront encore plus flagrants avec la génération Z. La génération des baby-boomers a bénéficié de la croissance, du plein emploi et de la liberté sexuelle. Elle incarne les espoirs des parents qui, au sortir de la guerre, rêvaient du meilleur pour leurs enfants. Plutôt que l’oubli de soi et la contribution au bien commun de leurs parents, ils ont mis en valeur l’estime de soi et l’importance accordée à la carrière. Cette génération avait la possibilité de changer le monde. La génération X, dite génération sacrifiée, a connu la crise économique, l’effondrement des valeurs et le choc technologique. Ces jeunes ont été les premiers à vivre massivement le divorce des parents. Ils ont ensuite été les premières victimes de la crise de l’emploi, ils ont connu les premiers plans massifs de licenciements, l’ascenseur social en panne et le progrès qui cesse d’être une croyance inébranlable. Les enfants n’ont plus la certitude de vivre mieux que leurs parents. D’ailleurs, la concordance entre le diplôme et le niveau de rémunération est mise en question. La génération X est la génération de la désillusion, elle ne croit plus en l’avenir. La génération Y met en relief ses droits plutôt que ses devoirs, par exemple le droit d’être soi-même, le droit de s’habiller comme on veut, le droit de penser à son propre plaisir, le droit de consommer et de jeter… Ces jeunes gens estiment qu’ils ont de la valeur en tant qu’êtres humains ; qu’à partir du moment où ils sont évalués et jugés aptes par le diplôme, ils n’ont pas à prouver quoi que ce soit pour établir leur mérite. L’aspect générationnel n’est pas purement français, comme le souligne une étude I-Lead1 menée en 2008 et consacrée à la motivation des salariés dans vingt-cinq pays, les tendances générationnelles sont les mêmes dans le monde et l’homogénéisation se fait malgré les différences culturelles. Nous sommes dans un contexte changeant, de plus en plus global, mais nous jugeons toujours la génération suivante avec les caractéristiques de notre propre contexte. La génération X change moins vite que le monde, et dans le même temps les générations Y et Z s’adaptent plus vite. Selon certains2 la génération Y ne présenterait pas de grandes particularités en ce qui concerne les attitudes et valeurs au travail, qu’en pensez-vous ? H. D. : La génération Y, génération de l’immédiat, à ne pas confondre avec la génération Z, génération « zapping », bouscule les codes professionnels traditionnels. Elle est décomplexée, négocie tout, fait son marché d’une entreprise à l’autre, ne leur est pas fidèle parce qu’elle considère que l’entreprise consomme de l’humain. Elle estime ne pas devoir plus que ce que son travail lui donne, et négocie les avantages que l’entreprise apporte sur le plan des salaires, des conditions de travail, des RTT, des congés payés, de la prime d’intéressement et de participation, des horaires, des avantages en nature. La génération des baby-boomers n’avait pas cette problématique à gérer, car l’époque était au plein emploi. Aujourd’hui, les perspectives d’avenir sont incertaines. La génération Y vit dans la société de l’hyperconsommation, elle consomme donc de la RTT, des avantages en nature, et elle compare tout. La culture de l’instant est de plus en plus forte. Cette génération entretient des relations difficiles avec le temps, la ponctualité n’est pas sa priorité. Elle est capable de faire plusieurs choses de front, mais elle est perçue comme moins performante. L’entreprise d’aujourd’hui valorisant la culture du résultat et de l’instantané, la génération Y lui fait écho, et la quête de l’excellence n’est plus un enjeu pour elle. On parle et on « marquette » l’excellence, peut-être, mais inconsciemment on n’en veut pas, car l’excellence coûte cher. Cette génération est donc totalement adaptée à ce monde. Si nous voulons changer ce type d’attitude, il faut recourir à la mixité des générations, les faire travailler ensemble, car la multiplicité et la transmission des savoirs ne va plus du plus vieux au plus jeune, de l’ancien au novice, mais aussi du plus jeune à l’ancien. Le modèle de l’entreprise classique n’est plus adapté, il faut tendre vers plus de flexibilité, de mobilité, avec le télétravail, par exemple, réinventer un modèle économique adapté au monde qui se prépare. Une chose importante : la génération Y est revenue au désir de contribuer, d’apporter sa brique à la construction, de servir à quelque chose d’utile. Ses représentants ont confiance, sont optimistes et non pas cyniques. Le vrai problème n’est pas celui des générations mais du monde que nous sommes en train de construire, ensemble ou pas : s’adapter ou mourir. N’y a-t-il pas toujours des jeunesses quelle que soit la génération ? Les caractères de la génération « Y » ou « Z » se retrouvent-ils dans toutes les classes de revenu, de culture, etc. ? H. D. : Prenons la génération qui vient : elle a une approche beaucoup plus multiculturelle, plus ouverte que celle des baby-boomers. Pour autant, il existe plusieurs types de profils, dus à l’éducation, au lieu de vie, au mode de vie des parents. La catégorisation des jeunes est beaucoup plus difficile à faire aujourd’hui qu’hier. En dehors des problématiques de management et de recrutement des cadres, aurait-on parlé de générations Y ou Z ? H. D. : Oui, car ne serait-ce qu’à la maison, ces jeunes ont du mal à dialoguer, le lien semble éphémère. Cela dépend bien sûr des familles, mais il semble qu’il faille fournir plus d’efforts aujourd’hui qu’hier pour garder le lien. La génération Y a besoin de communiquer, elle a besoin de relation, de sens de l’humain. Les portraits des jeunes générations successives ne reflètent-ils pas surtout les attentes managériales de la génération d’avant vis-à-vis de ses cadets et potentiels subordonnés dans la carrière ? H. D. : Oui, car beaucoup de personnes restent dans leur modèle par rapport au contexte d’avant. La mémoire que l’on porte en soi concerne les valeurs, mais aussi l’ancrage de ces valeurs par rapport à un temps révolu. C’est la raison pour laquelle la conduite du changement dans les entreprises est compliquée : beaucoup de gens font de la résistance. L’appartenance générationnelle influence-t-elle le degré de fidélité à l’entreprise ? H. D. : Ce n’est pas l’appartenance générationnelle, c’est le contexte. Ce n’est pas tant un problème de fidélité que de conditions de vie, de niveau de salaire. Aujourd’hui, le niveau de salaire est plus bas qu’hier à compétence identique. L’infidélité devient une stratégie d’adaptation au monde de l’insécurité. Je suis fidèle si j’y trouve mon compte. Ce n’est pas non plus seulement un problème de salaire mais de vision de l’avenir, la vision qu’a ou non l’entreprise et qu’elle propose à ses collaborateurs. La génération Z reviendrait-elle à la « valeur travail » ? H. D. : La valeur travail n’est pas une question générationnelle ; elle est liée aux personnalités, qui n’ont pas toutes la même façon de concevoir le travail, de s’impliquer, de se dépasser. La génération Z voit-elle les Y comme des vieux ? H. D. : Oui. Relisez Platon ! L’aspiration à l’autonomie qu’elles manifestent dans l’univers du travail fait-elle des Z ou des Y des générations de potentiels créateurs d’entreprise ? H. D. : Il ne faut pas confondre autonomie et esprit d’entrepreneur. On peut être autonome et n’avoir pas l’esprit d’entreprise, car il faut avoir le goût du risque, ce qui n’est pas lié à une génération mais au caractère de la personne. Pour être entrepreneur, il faut avoir une forme d’inconscience. Les prochaines générations ne seront ni plus ni moins entreprenantes que celles d’hier. Propos recueillis par J. W.-A. 1. www.mcr-consultants.com/fr/cpg1-272265--Gen-y---i-Lead-mene-une-etude-internationale-unique.html. 2. Cf. Jean Pralong, FocusRH du 2/12/2010 - www.focusrh.com/strategie-ressources-humaines/attirer-fideliser-salaries/a-la-une/la-generation-y-nexiste-pas.html, ou François Pichaud et Mathieu Pleyers, « Pour en finir avec la génération Y ».

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