Bulletins de l'Ilec

Un tableau contrasté - Numéro 430

01/10/2012

L’agroalimentaire français a commencé de profiter des mesures prises en sa faveur depuis deux ans, et il continuera s’il s’appuie sur une production agricole dynamique et des dépenses en R&D soutenues. Mais certains secteurs continuent de s’enfoncer, parce que trop exposés au déficit de compétitivité dû au coût du travail. Entretien avec Philippe Rouault, ancien délégué interministériel aux industries agroalimentaires et à l’Agro-industrie

L’agroalimentaire français a commencé de profiter des mesures prises en sa faveur depuis deux ans, et il continuera s’il s’appuie sur une production agricole dynamique et des dépenses en R&D soutenues. Mais certains secteurs continuent de s’enfoncer, parce que trop exposés au déficit de compétitivité dû au coût du travail. Entretien avec Philippe Rouault, ancien délégué interministériel aux industries agroalimentaires et à l’Agro-industrie1 Deux ans après la publication de votre rapport, les lignes ont-elles bougé pour les IAA ? Philippe Rouault : Le rapport sur l’analyse comparée de la compétitivité des industries agroalimentaires française par rapport à leurs concurrentes européennes a été le premier à poser l’enjeu de la compétitivité pour notre industrie agroalimentaire. Le diagnostic de la situation a été dressé, mettant en évidence la perte de parts de marché à partir des années 2000, essentiellement pour les produits standard qui représentent le socle de l’alimentation de nos concitoyens, notamment la viande et les produits laitiers. Les gains de parts de marché observés dans l’épicerie fine, les vins, les spiritueux ou les appellations ou indications d’origine protégée (AOP, IGP) et produits du terroir sont inférieurs, chaque année, aux pertes de parts de marché des produits standard. D’où la nécessité de retrouver de la compétitivité afin de regagner ces parts de marché perdues. Ce rapport a permis de faire unanimement partager ce constat par les industriels et les pouvoirs publics. Des mesures ont été prises, sectorielles ou de portée plus générale pour l’ensemble de l’industrie. L’autorisation, en janvier 2011, de circulation des poids lourds de 44 tonnes (40 tonnes auparavant) pour les transports de produits agricoles et agroalimentaires permet une réduction d’environ 10 % du coût du transport. L’assouplissement, en janvier de la même année, des contraintes relatives aux installations classées des élevages va dans ce sens. Il est cependant nécessaire de franchir un autre pas. Les tarifs de rachat de l’électricité issue de la production de biogaz y contribuent, mais nous avons du retard par rapport au nord de l’Europe dans le développement des unités de production. L’abandon de la gestion départementale des quotas laitiers au profit d’une gestion interrégionale par grands bassins laitiers a eu des effets positifs. La baisse des charges (minime, il est vrai) du coût du travail en agriculture est allée dans le bon sens. La croissance relative de la part des IAA dans l’ensemble de l’industrie est-elle un signe de leur plus grande vitalité ou une illusion d’optique (due au déclin d’autres secteurs) ? P. R. : La part de l’industrie agroalimentaire augmente chaque année, du point de vue tant du chiffre d’affaires que du nombre de salariés, comparativement au reste de l’industrie française. Cette augmentation est relative, et essentiellement due, entre 2010 et 2011, à la forte croissance des ventes à l’export des vins et spiritueux, à l’augmentation du prix des céréales et des produits laitiers. Il y a eu peu d’effet volume pour les produits transformés, excepté pour les produits laitiers et le sucre. Pour ces deux secteurs, l’augmentation de la production agricole a été l’élément majeur, couplé à une augmentation du prix mondial. Il y a une relation étroite entre une production agricole forte et une industrie agroalimentaire productive et créatrice d’emplois et de valeur ajoutée. Les secteurs agroalimentaires en perte de vitesse (viandes de volaille, de porc, de bovin) ne repartiront qu’accompagnés par une relance dynamique de la production agricole. Devant la perte de part de marché à l’export, faut-il incriminer l’euro ? P. R. : Nous perdons des parts de marché par rapport aux pays tiers, mais aussi et surtout par rapport à nos voisins européens : l’Allemagne, les Pays-Bas, et l’Espagne pour la viande de porc. Tous ces pays étant dans la zone euro, l’euro n’a aucune responsabilité dans notre perte de compétitivité. L’Allemagne a augmenté massivement, en une décennie, la production de porcs, de poulets et de dindes, permettant la construction d’usines de transformation neuves de capacité trois à quatre fois plus importantes que les plus grandes usines françaises, avec une automatisation beaucoup plus importante. La création et l’augmentation de la taille des élevages sont plus faciles en Allemagne qu’en France. L’Allemagne et les autres pays de l’Europe appliquent les règles communautaires relatives aux installations classées sans surenchère nationale. Votre rapport soulignait que les IAA manquaient d’ETI, particulièrement dans le secteur de la viande. Deux ans plus tard, une des rares ETI de ce secteur, la seule à avoir eu une stratégie d’internationalisation, Doux, est en faillite : accident isolé, ou insuffisance de la doctrine du salut par les ETI ? P. R. : La France compte deux fois moins d’entreprises de taille intermédiaire que l’Allemagne. Les entreprises françaises de transformation du secteur de la viande, tant de volaille, de porc ou de bovins, connaissent une faible rentabilité, voire accumulent des pertes, tel le groupe Doux. Elles sont plus petites que les champions européens (Vion, Danish Crown), eux-mêmes de taille inférieure aux champions mondiaux (JBS Friboy, Tyson, Smithfield, Cargill, Brazil Foods). L’émergence d’un numéro un européen de la viande capable de rivaliser avec l’un des cinq grands mondiaux est un enjeu. Globalement, les difficultés de l’industrie de transformation de la viande sont à mettre en relation avec un déclin plus ou moins fort de la production de volailles, porcs et bovins en France. Quarante-deux pour cent de la volaille standard consommée en France est importée. La production porcine diminue, de même que l’abattage de bovins. Cela est la cause essentielle de la baisse de l’activité dans l’industrie de transformation de viande, avec son corollaire, les difficultés des entreprises agroalimentaires de ce secteur et la fermeture de sites. Les difficultés du groupe Doux ne doivent pas occulter celles que connaissent les industriels de l’abattage de la volaille, du porc et de la viande bovine, qui, compte tenu de la diminution des volumes de production, verront des sites fermer dans les mois à venir. Je m’abstiendrai de commentaire sur la stratégie d’internationalisation du groupe Doux, souhaitant que les décisions qui seront prises dans les semaines à venir permettent de sauvegarder les sites de production, y compris ceux ayant une activité à l’export. J’observe que les sites voués au marché français de produits frais ont connu des difficultés importantes et ont été en partie cédés. Des industriels français de ce secteur traversent également des difficultés. Nous devons poursuivre notre effort visant à augmenter la taille de nos groupes et développer leur internationalisation, avec l’aide des fonds d’investissement, qui ont un rôle stratégique pour le secteur. Cette internationalisation est une nécessité pour les entreprises de produits standard qui peuvent être produits et consommées partout dans le monde. Y a-t-il un effet, à l’exportation, du coût du travail, alors qu’il pèse deux fois moins que dans la moyenne des autres branches, rapporté à la valeur de la production ? P. R. : Le coût du travail pèse de manière différente selon les produits. Il n’a pas ou a peu d’influence sur les produits à forte valeur ajoutée, qui sont des succès à l’export : les produits très innovants, les spiritueux, les vins et plus globalement les produits de luxe ou de plaisir. La situation est tout autre pour les produits standard tels que la viande ou la charcuterie. Ces secteurs représentent près du tiers de l’emploi salarié (130 000 personnes sur 460 000). Les produits standard sont internationaux : le consommateur ne distingue pas un filet de poulet ou de dinde selon qu’il provient d’Asie, du Brésil, d’Allemagne ou de France, ni ne différencie un emmental des Pays-Bas d’un emmental de France, un litre de lait selon qu’il est allemand, néerlandais ou français, une tranche de jambon sec italien d’un autre espagnol ou français. Le consommateur est avant tout attentif au prix de ces produits. La main-d’œuvre représente la moitié de la valeur ajoutée et elle est le deuxième élément constitutif du prix après les matières premières agricoles. Le coût du travail est un élément majeur de la compétitivité. Nous constatons des différences de coûts horaires importantes, entre un salarié travaillant en Allemagne à 7,5 euros l’heure et un autre en France à 17 euros. Cet écart entraîne un transfert progressif de l’activité de transformation de la viande de la France vers l’Allemagne, comme il s’est effectué du Danemark vers l’Allemagne. La question de l’harmonisation des règles sociales au niveau européen est donc posée. Un premier pas avait été franchi avec l’instauration de la TVA compétitivité. Sa remise en question par le nouveau gouvernement, avant que cette mesure ne soit effective, plonge les industriels dans un profond désarroi. Les conclusions du rapport Gallois permettront peut-être que cette mesure fortement attendue pour l’amélioration de la compétitivité voie le jour. L’UE s’est-elle donné suffisamment de protections à ses frontières contre le dumping environnemental ? Ses normes sanitaires s’appliquent-elles avec la même rigueur aux importations qu’aux produits des Etats membres ? P. R. : Les règles sanitaires de production alimentaire édictées par l’Union européenne font des produits européens les plus sûrs sur le plan de la sécurité alimentaire. L’UE se doit d’avoir les mêmes exigences vis-à-vis des produits importés, ce qui n’est pas toujours le cas. Les exigences environnementales entraînent souvent des distorsions de concurrence intra et extra-européenne. Nous devons veiller à ne pas renforcer ces règles sans avoir étudié l’impact économique. L’application différenciée de la directive nitrate, avec des seuils d’apports azotés d’origine animale différents entre la France, les Pays-Bas et l’Allemagne, en est un exemple. Les produits importés sont exempts de tout contrôle sur les règles environnementales de production. Il importe que l’UE, avant d’édicter de nouvelles normes, prenne en considération cet état de fait. Le crédit impôt recherche (CIR) est-il adapté aux besoins de financement des IAA ? P. R. : L’innovation est essentielle pour répondre aux demandes des consommateurs et développer des produits à plus forte valeur ajoutée. L’industrie agroalimentaire consacre une part plus faible de son chiffre d’affaires en dépenses de recherche et développement que d’autres secteurs industriels. Le crédit impôt recherche est un outil plébiscité par les industriels français. Des groupes internationaux ont fait le choix d’implanter en France leur centre de recherche compte tenu de ce dispositif. Propos recueillis par J. W.-A. 1. Auteur en 2010 du rapport Analyse comparée de la compétitivité des industries agroalimentaires françaises par rapport à leurs concurrentes européennes.

Propos recueillis par J. W.-A.

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