Bulletins de l'Ilec

La contractualisation, entente gagnante - Numéro 430

01/10/2012

Univers singulier quoique majeur pour l’économie, l’agroalimentaire est en marge du monde industriel. Et fragilisé par la myopie des aides ou des doctrines de concurrence. Entretien avec Marc Le Fur, député UMP des Cotes-d’Armor, président du groupe agroalimentaire à l’Assemblée nationale

Au regard de sa place sur le marché mondial y a-t-il vraiment panne de compétitivité de l’IAA française ? Marc Le Fur : Rappelons la place très importante de l’agroalimentaire dans l’économie française: près de 500 000 emplois la placent au deuxième rang en tant qu’employeur, et en termes de chiffre d’affaires ses 157 milliards la situent au premier rang des secteurs industriels. La première des spécificités de ce secteur est sa grande dispersion sur l’ensemble du territoire, qui lui donne un rôle important sur le plan de l’emploi dans beaucoup de régions. Après avoir connu une apogée au début des années 2000, l’agroalimentaire est confronté à des difficultés majeures. Premier exportateur mondial de produits alimentaires transformés jusqu’en 2004, la France a régressé au quatrième rang. L’excédent commercial des vins, spiritueux et produits laitiers masque des faiblesses structurelles ailleurs. Soumis à une concurrence internationale plus forte aujourd’hui qu’hier, l’agroalimentaire n’a pas les concurrents auxquels on pense traditionnellement. On a ainsi longtemps craint l’Espagne, puis les pays d’Europe centrale et orientale, qui se sont révélés plus acheteurs que vendeurs et le demeurent. Si la menace brésilienne existe, elle est néanmoins contrôlée, car le Brésil consacre de plus en plus de terres à la production énergétique, plutôt qu’à la production animale. La vraie menace, qu’aucun expert n’a décelée, vient d’Allemagne, où le coût du travail dans l’agroalimentaire, particulièrement dans l’abattage, est plus faible de 10 à 15 % , en raison de l’absence de smic, du recours à l’intérim et à la main d’œuvre de l’Europe de l’Est. Ainsi, de la viande française passe par l’Allemagne avant de nous revenir ! Cette concurrence est d’autant plus redoutable dans des secteurs à marge étroite. Si nous avons de gros bataillons, nous avons de faibles marges. Il revient au gouvernement de faire des propositions sur le coût du travail. La loi de juillet dernier a malheureusement supprimé les allégements que nous avions proposés en contrepartie de l’augmentation de la TVA, qui a l’immense mérite de porter également sur les produits importés. Rappelons néanmoins l’impact positif de la suppression de la taxe professionnelle. Quel est le bilan, pour les IAA, de l’aide à la réindustrialisation conduite dans la foulée des états généraux de l’industrie ? L’apparition du terme « agroalimentaire » dans l’intitulé d’un ministère est-il un signe positif de prise en considération de la dimension industrielle du secteur alimentaire, et de préoccupation pour sa compétitivité ? M. Le F. : Dans le monde de l’industrie, la place de l’agroalimentaire est toujours singulière. Aussi doit-on saluer le fait que le terme « agroalimentaire » apparaisse enfin, en bonne logique, dans le ministère de l’Agriculture, puisque une grande partie de son activité consiste à transformer des matières premières agricoles. Elle est tout à fait légitime quand on s’intéresse à la première transformation, elle l’est moins dans la deuxième transformation. Pour autant, le monde agroalimentaire se sent un peu oublié, exclu, du monde industriel en général. Une singularité du monde agroalimentaire est d’être partagé entre deux structures, capitaliste et coopérative. Autre singularité : ses produits visibles ont bien sûr des prix affichés publiquement et la grande distribution pèse incontestablement sur ses marges. Si les grandes marques sont épargnées, ce ne sont pas elles qui font l’emploi. Les marques de distributeurs ont leur rôle qui permet de maintenir un tissu de PME, même si certaines dirigent davantage leur offre aujourd’hui vers la restauration hors foyer pour réduire leur trop grande dépendance vis-à-vis des enseignes de la grande distribution. Le marché domestique offre-t-il de nouveaux leviers de croissance (offre « locavore », produits régionaux, bio…) ? M. Le F. : S’il faut tenir compte de la segmentation du marché, ce serait une erreur que de vouloir limiter l’ambition agroalimentaire française à des produits de niche. Méfions-nous de la diversification dont les victimes seraient les pionniers de cette diversification, n’abandonnons pas le marché de tous les jours. La doctrine de l’Autorité de la concurrence en matière de concentration est-elle susceptible de dissuader les regroupements dont certaines filières des IAA auraient besoin ? M. Le F. : Nos grands groupes considérés comme des fleurons sont, sur le plan international, de taille moyenne. Il serait pertinent de favoriser tous les systèmes de rapprochement, particulièrement à l’amont, comme viennent de le faire les fournisseurs de Lactalis. par exemple. Au reste, la loi a évolué dans le bon sens, même si parfois on risque de franchir la ligne jaune fixée par l’Autorité de la concurrence ou par le droit européen. On ne peut gérer les situations de crise sans recourir aux ententes au sein de la filière ou de la branche. L’Autorité de la concurrence a montré du doigt certains producteurs laitiers ; pour autant, il faut poser la question de fond, celle en particulier de la puissance à l’exportation. L’obligation de contractualisation avec l’amont agricole introduite par la LMAP est donc une bonne chose. Normes environnementales et sanitaires qui sont des rehausseurs de qualité, donc de montée en gamme, sont-ils opérants face à la concurrence des produits importés du grand large ? M. Le F. : Prenons garde à la sédimentation des normes environnementales et sanitaires. Pour être légitimes, elles doivent être stables et globalement appliquées sur l’ensemble du territoire européen. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Que faire face à l’explosion des coûts des matières premières ? M. Le F. : L’explosion est particulièrement celle du coût des matières premières végétales, sur lequel la France a peu de prise. Cela affecte bien sûr le coût de l’alimentation et les producteurs de matières premières animales (porc, volaille…). Or le système d’aide européen est vicié, car les primes favorisent davantage les producteurs de matières végétales qui bénéficient également de prix favorables, au détriment des éleveurs qui ont des prix plus serrés et des primes plus faibles. L’argent, en Europe, existe. Il suffit de l’allouer avec plus de pertinence à ceux qui en ont le plus besoin, et c’est d’ailleurs l’objet de la réforme de la PAC. Dans quels secteurs la France doit-elle et peut-elle regagner sa souveraineté alimentaire ? M. Le F. : Le risque est que des terres jadis consacrées à la production animale le soient au végétal et aux producteurs de céréales. Nous risquons de perdre notre élevage. Le concours d’Oseo profite-t-il à l’ensemble du secteur des IAA ? M. Le F. : Il est regrettable que la Caisse des dépôts, qui intervient de plus en plus dans l’économie, n’agisse pas en faveur de l’agroalimentaire, pour l’aider à créer de vrais champions. Et le secteur souffre de la faible présence de capitaux risqueurs. L’industrie agroalimentaire a parfois une mauvaise image… M. Le F. : C’est le reflet d’une réalité passée, car les conditions de travail ont bien évolué dans les usines. Les emplois de bagnards ont disparu. Pour autant, il reste un sujet majeur : les troubles musculosquelettiques. Les TMS sont la première maladie professionnelle en France, mais on n’en parle pas car on n’en meurt pas. Il n’y a pas d’« effet amiante ». Or les postes les plus exposés sont également ceux qui bénéficient de primes élevées ! Aussi ai-je pris l’initiative d’un projet régional, dans une région exposée aux TMS, du fait de l’importance qu’y occupe l’agroalimentaire (où le travail s’effectue à une température froide qui favorise ce type de troubles).

Propos recueillis par J. W.-A.

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