Bulletins de l'Ilec

Un levier de croissance sous-exploité - Numéro 430

01/10/2012

Les exportations agroalimentaires françaises reprennent de la vigueur. Mais elles ne sont portées que par quelques secteurs, alors que la concurrence internationale se renforce. Pour l’affronter, elles doivent faire l’objet d’un choix politique et managérial. Par Benoît Jullien, fondateur d’ICAAL – information et communication agroalimentaires

Après un sérieux repli en 2009, la balance commerciale agricole et agroalimentaire française s’est rétablie en 2010, pour poursuivre sa progression en 2011. En baisse à 5,2 milliards d’euros il y a trois ans, l’excédent s’élevait à 7,9 milliards l’année suivante et à 11,5 milliards l’an dernier. Si les produits agricoles bruts sont en bonne partie tirés par la hausse des prix des céréales, cet excédent est à 60 % le fait des produits agroalimentaires transformés, dont les exportations ont dépassé 40,7 milliards en 2011, en hausse de 12,3 % , tandis que les importations progressaient de 10,4 % , à 33,8 milliards. Sur les six premiers mois de 2012, la tendance se confirme, voire s’améliore : exportations à + 7,3 % , importations à + 2,5 % , donnant un solde à + 36,8 % . Il est donc probable que l’agroalimentaire français dépassera, en 2012, son record de l’année 2008, quand son excédent commercial atteignait 8 milliards d’euros. Pour positifs qu’ils soient, ces résultats masquent des performances contrastées. En effet, les boissons – alcoolisées surtout – représentent 30 % de nos exportations, et les produits laitiers 15,5 % . Avec certains produits d’épicerie, ce sont les seuls postes excédentaires de notre balance agroalimentaire : ils dégagent à eux seuls presque 12 milliards d’euros. Mais la France n’est pas, ou plus, autosuffisante en viandes et volailles, en produits de la mer, en fruits et légumes transformés, en biscuits et en pâtes. Ces secteurs cumulent une perte supérieure à 5 milliards. Et au premier semestre 2012, l’écart se creuse entre bons et mauvais élèves : les excédents gonflent, les déficits se creusent (allant même jusqu’à doubler pour les filières viandes). Nécessité d’investir contrariée parmi les PME La position de la France dans le commerce international a régressé. Elle disputait encore la première place agroalimentaire aux Etats-Unis au début des années 2000 ; elle a depuis rétrogradé à la quatrième, devancée par les Pays-Bas et l’Allemagne. Désormais, le Brésil la talonne, suivi par d’autres dont la Chine. C’est bien sûr une suite logique du développement des échanges internationaux, qui ne peut éternellement profiter aux mêmes. Les marchés occidentaux doivent se satisfaire d’une évolution à peine positive, alors que la croissance alimentaire mondiale peut être évaluée entre 5 et 7 % suivant les années et les sources. D’ailleurs, les exportations françaises vers les pays hors UE ont augmenté de 14,5 % au premier semestre 2012, alors que celles vers l’Union européenne progressaient de seulement 3,7 %  ; or nos voisins accaparent encore près des deux tiers de nos ventes extérieures. Suivant les statistiques, les exportations représentent entre 20 et 25 % du chiffre d’affaires des industries agroalimentaires françaises, mais cette proportion est tirée par la forte activité internationale de quelques grands groupes ou sociétés spécialisées dans des secteurs par essence exportateurs. La plupart des entreprises illustrent une réalité toute différente. Les PME agroalimentaires de taille moyenne exportent peu, entre 5 et 15 % de leurs ventes, certaines même moins. Ces acteurs sont trop accaparés par le maintien de leur présence sur le marché intérieur en grande distribution, qui est bien sûr un impératif stratégique. Mais comme ils n’en retirent souvent que de faibles marges, ils ne parviennent pas à dégager les ressources nécessaires pour développer des courants d’affaires en dehors de l’Hexagone. Cet effort requerrait d’allouer des budgets et des moyens humains, ce que la plupart de ces industriels ne sont pas – ou ne croient pas être – en mesure de faire. Limites des solutions existantes On évoque souvent la mutualisation des moyens pour pallier cette carence ; c’est notamment une solution préconisée par l’Ania. De fait, quelques GIE (groupements d’intérêt économique) ont été créés, dans l’industrie des fromages ou de la bière par exemple, pour aborder les marchés extérieurs, ou du moins une zone géographique donnée. Mais les entreprises françaises se montrent souvent réticentes à ces solutions, qui nécessitent soit de s’allier avec des concurrents sur le marché français, soit de se rapprocher d’opérateurs d’autres secteurs dont la culture peut différer sensiblement de la leur. Plus généralement, une consolidation de l’agroalimentaire national pourrait préluder à ces initiatives. Mais les acteurs français sont farouchement attachés à leur indépendance. (Sauf quand les circonstances les obligent à l’abandonner, et, dans ce cas, rarement dans des conditions optimales.) Enfin, il existe des dispositifs publics ou parapublics de soutien aux exportations, au-delà des apports d’Ubifrance, qui tente notamment de développer le volontariat international en entreprise (« VIE »), ou de Sopexa, dont la délégation de service public a été renouvelée. Pour l’heure, quelles que soient les bonnes intentions qui les ont motivées, le moins qu’on puisse dire est que les sommes qui y sont destinées restent très en deçà des enjeux. En outre, la réglementation internationale ne les encourage pas et l’état des finances publiques semble les interdire. Une autre solution serait de favoriser des collaborations à l’international entre grands groupes et PME, mais elle est pour l’heure peu convaincante. Un temps, la grande distribution, de par ses implantations hors de France, s’est présentée comme une aide au développement des entreprises industrielles sur ces marchés. Mais cette option se concrétise assez inégalement, ne serait-ce que parce que les enseignes veillent surtout à se fondre dans les pays d’accueil, voire à s’y identifier, plutôt qu’à y faire la promotion des produits made in France. Voies de la compétitivité pour la « qualité France » Reste la question de la compétitivité en prix. En matière de commerce international agroalimentaire, elle se poserait surtout pour nos importations. Il est clair que certains pays concurrents profitent de leurs avantages pour mieux investir des linéaires français focalisés sur les prix. A contrario, il ne semble pas que la compétitivité moindre ou, dit autrement, le prix élevé des productions françaises soit leur premier handicap à l’exportation, sinon, pourquoi vendrions-nous tant de vins ou de fromages ? Ils ne se distinguent d’abord pas, tant s’en faut, par leur positionnement économique. Est-ce à dire que l’image de la France suffit à séduire les consommateurs étrangers ? Difficile d’éviter une réponse de Normand. La réputation gastronomique de la France et la qualité de ses produits alimentaires ne font pas débat ; elles constituent un argument commercial qui fonctionne, comme on peut le constater en visitant des points de vente hors de nos frontières. Mais elles ne sauraient exempter les exportateurs des pratiques dans lesquelles certains de leurs concurrents se montrent souvent plus efficaces : adaptation aux contraintes locales (recettes, conditionnement…) et pragmatisme dans la négociation, entre autres. La « qualité France » ne doit pas être perçue par les acheteurs étrangers comme une manifestation d’arrogance. Elle est un atout et non un passe-droit. Hors inflation, la croissance du chiffre d’affaires des IAA françaises provient essentiellement des exportations. Ce fait macroéconomique explique l’état de santé disparate des entreprises du secteur, en grande partie fonction de leur degré d’ouverture à l’international (outre la recherche de valeur ajoutée par l’innovation et le développement de débouchés commerciaux alternatifs). C’est un potentiel de croissance qu’elles ne peuvent plus se permettre de négliger. 1. ICAAL publiera en novembre prochain une triple étude sur les « leviers de croissance de l’industrie agroalimentaire » portant sur l’exportation, les produits alimentaires intermédiaires (PAI) et l’innovation.

Benoît Jullien

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