Bulletins de l'Ilec

Du bon usage du patriotisme économique - Numéro 431

01/11/2012

Produire français pour consommer français, aussi bien dans l’Hexagone qu’à l’étranger, deux objectifs du Pacte de compétitivité et une ambition : la réputation de la « marque France » fondée sur sa singularité. Entretien avec Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

Consommer français se limite-t-il nécessairement à ce qui est produit en France ? Arnaud Montebourg : « Consommer français » est un message qui s’adresse autant aux consommateurs hexagonaux et aux marchés internationaux. Acheter français, c’est d’abord une forme de patriotisme du quotidien. Les consommateurs sont de plus en plus soucieux de la défense d’une France au travail, d’une France de producteurs. Ils savent qu’un pays qui ne produit plus est un pays qui se met dans la main de ceux qui produisent. Les produits fabriqués en France sont pour les consommateurs une forme de soutien à l’emploi et à l’industrie française, synonyme de qualité, mais aussi l’assurance du respect des normes sociales et environnementales. Acheter français, c’est aussi le message qu’on souhaite adresser au monde, en travaillant sur la marque France, le soutien à l’exportation et la promotion de l’excellence française dans tous les domaines. Nous voulons dire aux clients de nos industries que la qualité n’est pas qu’allemande, l’innovation qu’américaine, la technologie que japonaise. L’attitude « consommer français » est-elle un facteur de relocalisation, alors qu’on ne recense qu’une trentaine de cas depuis 2009 (0,2 % du total des créations d’emplois et 1,2 % des créations d’emplois industriels) ? A. M : A travers le « made in France », il y a aussi le soutien à toutes les entreprises qui sont restées en France, quand tant d’autres prenaient la route des pays low cost, et a fortiori à celles qui ont fait le chemin inverse. Elles sont la démonstration qu’il est possible de produire dans notre pays, et que les intérêts des producteurs et des consommateurs ne sont pas opposés. Nous envoyons un message à ceux qui entreprennent, innovent, inventent, créent des emplois, prennent des risques : l’Etat sera à leur côté pour soutenir leurs projets. C’est le sens de la Banque publique d’investissement ou du Pacte de compétitivité que le gouvernement a adopté. Les consommateurs, aussi, seront à leur côté dans une responsabilité partagée. Je pense que le « consommer français » pèse plus qu’hier dans les arbitrages d’investissement et je prends le pari que nous assisterons à de nouvelles relocalisations d’activités ou, pour le moins, à une réflexion moins unilatérale sur l’investissement productif en France. Les délocalisations aveugles vont céder la place à des logiques de cotraitance et il y aura des relocalisations. Si l’objectif est la préservation et le développement de l’emploi, n’est-il pas plus pertinent de produire et vendre français à l’exportation, que de consommer français en France ? A. M : L’un ne peut aller sans l’autre ; difficile de vendre français à l’exportation sans produire en France ! Je pense qu’il est plus facile d’exporter quand on a un marché domestique et qu’on vend dans le pays où l’on produit. Je suis toujours effaré de voir certaines de nos entreprises, des PME innovantes souvent, conquérir des marchés à l’international et avoir tant de peine à s’imposer dans leur propre pays ! Le redressement productif, c’est aussi le redressement de notre balance commerciale, l’aide à l’export est une priorité du gouvernement. Favoriser le « fabriqué en France » n’est-il pas contraire à la libre circulation des marchandises au sens du droit communautaire qui réglemente le marquage de l’origine géographique des produits ? A. M : L’Union européenne s’est toujours attachée à défendre le consommateur. Aujourd’hui, c’est lui qui demande de la clarté sur l’origine des produits et leur traçabilité sociale et environnementale. La multiplication des signes de qualité et labels géographiques ou environnementaux en sont le témoignage. Les initiatives qui se multiplient sont privées, l’Etat se contente de les encourager dans le cadre de la réglementation européenne. Le marquage d’origine n’a rien d’antinomique avec la libre circulation, il permet seulement au consommateur de faire des arbitrages. Le secteur public est un gros consommateur, mais en vertu du principe d’égalité (droit communautaire) aucune forme de préférence nationale ne peut figurer dans les marchés publics. Faut-il changer cela ? A. M : Les acheteurs publics agissent dans le cadre des lois et règlements en vigueur. Il peut évoluer. La France soutient la révision de la directive « marchés publics » et souhaite disposer d’armes pour lutter plus efficacement contre le dumping social et environnemental. Nous souhaitons protéger nos entreprises de la mondialisation déloyale. Nous avons soutenu le principe de réciprocité, qui reste minoritaire au sein de l’Union européenne. C’est regrettable, car les marchés publics européens représentent 17 % du PIB de l’Union. Ils sont trop ouverts à la concurrence internationale sans réciprocité en Chine, aux Etats-Unis ou au Japon. Nous persévérerons. La commande publique, qui est sous la responsabilité du ministre de l’Economie et des Finances, doit être selon moi à l’intersection des politiques de soutien aux PME, à l’innovation, à l’insertion, à l’environnement. Il existe des latitudes importantes dans le code des marchés publics et la jurisprudence communautaire. C’est aussi cela, aider nos entreprises. L’origine française serait, dans l’esprit des consommateurs, de plus en plus associée à la notion de qualité (52 % en 2010 contre 33 % en 1997, selon TNS Sofres). Faut-il en conclure que le lancinant problème du « niveau de gamme » des produits français est désormais derrière nous ? A. M : Ce qui est bon marché coûte cher, dit l’adage. Les Français ont compris que la qualité est gage de durabilité. Ils sont prêts à payer un peu plus cher un produit fabriqué en France, car ils savent qu’ils en auront pour leur argent : c’est vrai en particulier du textile. Cela ne veut pas dire que notre industrie ne soit pas devant la nécessité de monter en gamme pour gagner en compétitivité sur les marchés internationaux. Notre pacte de compétitivité est tourné vers le soutien à l’innovation et à la montée en gamme, vers la compétitivité hors prix autant que vers la compétitivité prix. Quand les marques automobiles allemandes affichent leur nationalité (« Das Auto », « Deutsche Kalität »…), les françaises qui recourent à l’anglais ne découragent-elles pas la préférence dont elles peuvent faire l’objet et l’essor d’une image de qualité associée à la France ? A. M : Les industriels allemands ont l’intelligence de miser sur leurs points forts et d’en faire une stratégie marketing. Les industriels français ne savent pas toujours parler d’eux mêmes, de la France, de ce qu’elle incarne comme valeurs et comme qualités aux yeux du monde. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre en chantier le dossier de la marque France. Le but est une stratégie partagée destinée à améliorer l’attrait de notre territoire, la notoriété de nos produits agricoles et manufacturés, la qualité de nos services, l’image de notre industrie, notre capacité d’innovation, bref, la réputation et le dynamisme de notre économie. La marque France peut être un outil partagé de compétitivité pour nos entreprises, en particulier à l’export, mais jusqu’à présent elle n’est pas pensée ni promue en tant que telle. Il est possible de la gérer pour en tirer le meilleur bénéfice, en travaillant ses marqueurs identitaires, son image, ses atouts, puis les valeurs et les messages qu’on souhaite véhiculer. La promotion du « fabriqué en France » ne conduit-elle pas à considérer qu’« acheter français » ne concerne que la consommation de biens (agricoles ou manufacturés), oubliant toutes les activités de services très exposées aux délocalisations ? A. M : Non, je crois que ce qui est en jeu concerne tous les secteurs, y compris celui des services. C’est aussi vrai de la localisation des centres d’appel que du tourisme médical. L’important est de savoir où est produite la valeur ajoutée, où sont les emplois. Pourquoi la commission des Affaires économiques à l’Assemblée a-t-elle rejeté la proposition de loi Le Fur instaurant une obligation d’informer sur la localisation des centres d’appel ? A. M : Elle l’a rejetée, car cette mesure était une entrave à la libre prestation de service et à la liberté d’établissement. C’était aussi et surtout une atteinte au principe de non-discrimination selon la nationalité ou la résidence, prévu par le droit communautaire. Cette proposition de loi posait également le problème de l’application de la législation de notre pays à une entreprise installée à l’étranger. Le gouvernement publiera, dès 2013, les lignes directrices sur les conditions de mutualisation et d’itinérance permettant d’assurer au secteur un environnement réellement incitatif à l’investissement. C’est en revoyant le modèle économique que le gouvernement entend lutter contre la délocalisation des centres d’appel, et pas en stigmatisant les travailleurs à l’étranger. Le ministre de la Consommation souhaite l’extension aux produits manufacturés des indications géographiques, qui ne sont obligatoires que sur les produits agricoles. Quels peuvent être les critères (périmètre géographique, procédés de fabrication, etc.) d’une telle obligation ? Est-il pensable qu’ils divergent de ceux qui ont abouti au label Origine France garantie ? A. M : Quand on voit qu’il est possible de faire fabriquer des couteaux Laguiole en Chine sous cette appellation, et même de priver cette commune du droit d’usage de son nom, il y a de quoi être interloqué. Le cadre juridique communautaire ne fait pas obstacle à la création d’une IGP pour les produits manufacturés, il existe d’ailleurs un précédent en Hongrie. Je crois qu’il est utile de travailler à la fois sur le périmètre géographique et sur le savoir-faire, pour ne pas fragiliser certaines entreprises de renom. Le travail est en cours et devrait aboutir dans le cadre de la loi sur la consommation que prépare Benoît Hamon. L’objet de l’IGP est assez différent du label Origine France garantie, qui prend en compte la part française de la valeur ajoutée d’un produit. On pourrait dire que les IGP seront vraisemblablement aussi éligibles au label. Il faut considérer les deux comme complémentaires.

Propos recueillis par J. W.-A.

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