Bulletins de l'Ilec

Question de fierté - Numéro 431

01/11/2012

Plus que le « consommer », le « produire en France » doit devenir un objectif prioritaire des politiques publiques, par la labellisation, les exigences réglementaires de qualité ou l’encadrement des marchés publics. Et la volonté de réduire notre complexe d’infériorité. Entretien avec Robert Rochefort, cofondateur de l’Obsoco, député européen

Vous avez publié l’hiver dernier Produire en France, c‘est possible1. Quelle est la principale mesure que vous préconisez ? Robert Rochefort : Lors de la publication de ce livre, il n’y avait pas de priorité plus grande que de relancer le « produire en France ». Un pays ne peut exporter avec succès si, sur son marché intérieur, ses consommateurs ne sont pas fiers des produits qu’il fabrique. On a tendance à opposer la production nationale à la production extérieure, le chauvinisme d’un côté, le libéralisme de l’autre. La réalité est tout autre. Les pays fortement exportateurs et ceux qui n’ont pas de balance commerciale déficitaire, quel que soit leur degré de développement, sont tous fiers de ce qu’ils fabriquent. L’Allemagne est régulièrement citée pour sa compétitivité et la fierté de son peuple, fondées en particulier sur la qualité de ses marques automobiles. Les Allemands sont convaincus qu’ils fabriquent les meilleures voitures au monde et le prouvent par leurs exportations. Le constat est identique au Japon, en Corée du Sud et même aux Etats-Unis (leur « proudly made in America »), voire en Chine. Le mal français est un mal de dénigrement de ce que nous fabriquons, en dehors de quelques produits dans l’univers du luxe. Nous cultivons à la fois un complexe d’infériorité et un complexe de supériorité vis-à-vis des autres grandes puissances. Ce sont les deux faces d’un même mal. Le « produire en France » est prioritaire. Aussi ne doit-on pas en faire une disposition parmi d’autres mais la clé de voûte de notre capacité à redevenir exportateurs et à redonner aux Français une certaine fierté. « Produire en France » ne signifie pas qu’il ne faut acheter que ce qui est fabriqué en France. Conjurons l’intégrisme, engageons chaque consommateur français à consacrer entre 5 et 10 % de ses achats à des produits fabriqués en France. Appuyons-nous sur la démonstration pour convaincre. Matignon a présenté un « pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi » comprenant 35 décisions, dont certaines sont reprises du rapport Gallois. Une « marque France » va être lancée pour promouvoir ce qui est fabriqué en France. Que signifie « fabriqué en France » ? Cela concerne-t-il tous les stades de fabrication, de l’amont, à l’aval ? R. R. : Je m’étonne du silence autour de cette mesure, alors que toutes les autres ont été commentées. Excepté les industriels de la grande consommation qui y sont attentifs, les autres acteurs tardent à réagir. Le gouvernement a communiqué sur un mode mineur sur cette mesure majeure. Il n’y a qu’une façon de concevoir de manière pertinente le label « Fabriqué en France », en se rapportant à la proportion de la valeur ajoutée en France. Faire valoir la seule dernière transformation n’a aucun sens. Le calcul de la valeur ajoutée n’est pas difficile, évitons les comptes de boulons et allons à l’essentiel. Il serait souhaitable d’attribuer deux labels, l’un pour les produits dont on indiquerait qu’ils sont « majoritairement fabriqués en France » dès que la valeur ajoutée dépasse 50 % , et l’autre pour ceux « fabriqués en France » dans une proportion d’au moins 75 voire 80 % . Viser les 100 % nous conduirait à un intégrisme économique stupide. Ces deux labels ne se substitueraient pas aux autres labels, comme ceux attribués aux produits alimentaires. Que deviendrait le label Origine France garantie ? R. R.. : Il revient au gouvernement de répondre à cette question. Ce label, qui ressemble à celui que je propose, est ambigu. Ce n’est pas tant l’origine qui importe que le lieu de production. C’est un label plutôt destiné à l’exportation, là où la mention « origine française » présente un avantage concurrentiel. Pour autant, la réflexion engagée par Yves Jégo est intéressante, et l’association avec le Bureau Veritas, pertinente. On voit de plus en plus de produits, surtout alimentaires, arborer un drapeau français ; cela répond-il à une attente vraiment en expansion ? R. R.. : Oui, dans nos grandes surfaces se multiplient les produits sur lesquels figure « produit en France », « fabriqué en France », comme dernièrement notre Vache qui rit. La dernière voiture concept de Peugeot porte discrètement un drapeau français sur le pare-brise. Depuis qu’avec François Bayrou nous avons lancé, au cours de l’élection présidentielle, le thème du « produire en France », le marché se l’est approprié. L’attente des consommateurs existe, fondée sur trois raisons. La première est le désir de retrouver des ancrages, des racines, à l’heure où la mondialisation rend les choses anonymes. La quête des produits de terroir, engagée au début des années 1990, n’est plus folklorique, le territoire se substituant au terroir. Deuxième raison : la production locale ou nationale devient un signe de qualité. Si cela est parfois contestable, un produit local pouvant être de mauvaise qualité et un produit importé, de qualité, la proximité du lieu de fabrication, en particulier dans le domaine alimentaire, rassure les consommateurs. Troisième raison, les citoyens commencent à comprendre que leurs achats peuvent avoir une incidence sur l’emploi, selon le lieu de fabrication ; acheter des produits « made in China » ne crée des emplois en France que chez les importateurs et les commerçants. En dehors des produits alimentaires, est-ce qu’on peut encore consommer français ? Et à quel prix ? R. R. : Oui, et je remplace le mot « consommer » par « produire français ». Il faut se convaincre qu’il n’y a pas de territoire interdit. Certes, il nous serait difficile de fabriquer un avion entièrement français, mais si l’on s’en tient aux produits grand public, il est possible de fabriquer français. Depuis quelque temps renaissent des productions locales, grâce à des TPE. Hier, on jugeait cela impossible. Il faut miser sur le haut de gamme, comme avec ces montres de nouveau fabriquées en France, à Besançon, ville longtemps sinistrée. La marque de prêt-à-porter Smuggler, récompensée par le label OGF, fabrique des vêtements en France depuis bientôt trente ans. La mécanisation et la miniaturisation des procédés n’imposent plus de lancer la fabrication dans de grandes usines. L’automatisation n’est pas l’ennemi, elle génère des métiers dérivés, par exemple dans la maintenance des machines. Un emploi industriel a un effet de levier sur trois voire quatre emplois dérivés. Un soutien doit venir, sinon de l’Etat, des collectivités locales au niveau des bassins d’emplois. La promotion du « fabriqué en France » ne conduit-elle pas à considérer qu’« acheter français » ne concerne que la consommation de biens (agricoles ou manufacturés), oubliant toutes les activités de services très exposées aux délocalisations ? R. R. : Le combat contre la délocalisation doit également concerner les services. Dans le « fabriqué en France », ce n’est pas tant le prix qui compte que le rapport qualité-prix, et dans le domaine des services la qualité est majeure. Ici, la France n’est pas des mieux placées, car si nos produits industriels sont de qualité, il n’en va pas de même des services qui leur sont associés, par exemple dans le secteur automobile. Les pouvoirs publics doivent prendre des décisions stratégiques, comme l’augmentation de la durée de vie obligatoire des produits dans l’électroménager, qui éliminerait du marché les produits bas de gamme qui finissent par coûter plus cher aux consommateurs, obligés de les racheter plus souvent. Autre mesure, pour les centres d’appel : mentionner d’où vient le conseil. Le service n’est pas le même selon l’endroit et la formation. Comme dans l’industrie, une certification serait pertinente. Favoriser le « fabriqué en France » n’est-il pas contraire à la libre circulation des marchandises au sens du droit communautaire qui réglemente le marquage de l’origine géographique des produits ? R. R.. : C’est une question délicate. Je regrette que l’Europe ait une position très critique à l’égard du « produit dans tel pays », alors qu’elle favorise les productions régionales. Et que dans le domaine alimentaire elle impose, dans un souci de protection des consommateurs, le marquage codé de l’origine des produits. On peut vendre du hareng provenant de Lituanie sous la marque Belle France. L’Europe ne cesse de signer des accords de libre-échange, mais elle ignore la réciprocité, l’adoption de mesures de symétrie. Elle veut faire jouer le principe de la concurrence pour défendre le marché intérieur et empêche la création de groupes mondiaux puissants, obligeant par exemple Alstom et Siemens à se concurrencer sur le marché européen et à partir seuls sur le marché mondial. Jamais Airbus ne serait né dans un tel contexte. Si l’objectif est la préservation et le développement de l’emploi, n’est-il pas plus pertinent de produire et vendre français à l’exportation, que de consommer français en France ? R. R.. : C’est la question habituelle des économistes de l’idéologie dominante, qui raisonnent sur le plan macro-économique, obsédés par la théorie des avantages comparatifs de Ricardo. C’est oublier que la consommation ne peut être analysée sous le seul angle économique, en oubliant les aspects psychologiques et sociologiques. C’est également ignorer que la concurrence pure et parfaite n’existe pas. On ne vend bien à l’extérieur que lorsqu’on est fort chez soi, sur son marché national. Si l’on se polarise sur la vente à l’étranger, on risque d’externaliser, de délocaliser les centres de recherche-développement, et très vite on ne produit plus en France. Le secteur public est un gros consommateur, mais en vertu du principe d’égalité (droit communautaire) aucune forme de préférence nationale ne peut figurer dans les marchés publics. Faut-il changer cela ? R. R. : Oui, mais cela ne peut pas se faire avec des mesures protectionnistes. Il n’est pas interdit de faire preuve d’intelligence quand on lance des appels d’offres. Je donne dans mon livre l’exemple de pavés achetés en Chine par la ville de Toulouse, sous prétexte qu’ils étaient livrés dans le délai imparti ! Y avait-il urgence au point de délaisser la production locale, qui n’était pas en mesure de répondre dans le temps souhaité ? Totale absurdité. Aujourd’hui, plus de 50 % des pavés achetés proviennent de Chine. On peut introduire, dans les appels d’offres, des critères de développement durable, qui ne sont en rien des mesures protectionnistes, et ne pas se focaliser uniquement sur le prix ou le délai. La centralisation des marchés publics, souvent imposée aux administrations, a pour conséquence d’évincer les PME, qui ne peuvent répondre à l’échelon national alors qu’elles pourraient le faire sur le plan local. Et cela se fait au profit de grands groupes, souvent internationaux, qui n’hésitent pas à recourir aux importations. Il faut mettre fin à la consolidation des marchés publics. Au reste, n’oublions pas que la règle d’adjudication est celle du « mieux-disant » et non du « moins-disant ». Le mieux-disant peut être un peu plus cher, s’il l’emporte selon des critères qualitatifs. Mais les élus locaux ont peur de procédures contentieuses de la part d’entrepreneurs moins-disants. L’Etat devrait élaborer des critères objectifs du mieux-disant. Les entreprises françaises ont-elles souvent à cœur de recourir à des entreprises françaises pour leur consommation intermédiaire ? R. R. : C’est là aussi un sujet important. Des codes de conduite devraient fixer des règles de partenariat de longue durée entre les grands groupes et leurs fournisseurs. La réponse est du côté du label qui intègre l’ensemble de la valeur ajoutée et non la dernière ouvraison. Toute consommation intermédiaire acquise auprès d’entreprise étrangère dégrade d’autant le label « fabriqué en France ». Faut-il systématiser voire favoriser les marques collectives de type « Pavillon France » (pêche fraîche) ? R. R. : Oui, il faut les encourager, aussi bien les marques collectives par métiers que les marques régionales. Ce qui est bon au niveau local l’est au niveau régional et national. Faudrait-il que les pouvoirs publics mènent une campagne officielle sur le thème « acheter français » ? R. R. : Non. Les pouvoirs publics doivent expliquer. Ils ne doivent pas faire de propagande. 1. Odile Jacob, 2012.

Propos reccueillis par J. W.-A.

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