Bulletins de l'Ilec

L’enjeu de l’empreinte emploi - Numéro 431

01/11/2012

Consommer français n’a de sens que si l’acte d’achat est associé à l’emploi et à la fabrication locale. Un objectif au cœur du label Origine France garantie. Entretien avec Yves Jégo, président de l’association Pro France, député de Seine-et-Marne

Lancé en mai 2011, le label Origine France garantie (OFG) créé par Pro France n’a encore été attribué qu’à un nombre limité de marques. Cela est-il dû à la sévérité des critères, ou au manque d’intérêt qu’il suscite parmi les entreprises ? Yves Jégo : Le label Origine France Garantie a été mis en place pour être différenciant, permettre aux entreprises qui ont maintenu ou relocalisé leur outil de production en France de le valoriser d’une manière qui soit indubitable et beaucoup plus efficace que les multiples allégations d’origine qu’on voit fleurir depuis des années. Les critères sont en effet stricts, la méthode de contrôle est rigoureuse. En un peu plus d’un an d’existence, près de cinq cents gammes de produits sont labellisées et autant sont en cours de labellisation. Cela représente des milliers de références commerciales. De l’aveu même de l’organisme certificateur, Veritas, c’est une progression très rapide, et même inédite pour une démarche volontaire. N’oublions pas que les labels les plus qualifiants et les plus recherchés aujourd’hui – label Rouge, label AB… – ont mis des années, parfois des décennies à s’imposer ! Les critères du label OGF semblent exigeants : « le lieu où le produit prend ses caractéristiques essentielles situé en France ; 50 % au moins du prix de revient unitaire acquis en France ». Mais comment décide-t-on des « caractéristiques essentielles » ? Et le prix de revient unitaire acquis en France inclut-il la nationalité du robot ? Y. G. : Les deux critères ne sont pas alternatifs mais cumulatifs. La notion de « caractéristiques essentielles » signifie que le produit devient ce qu’il est en France ; autrement dit, les seules opérations de finition ne suffisent pas. Cette notion générique inscrite dans le référentiel socle a été affinée, secteur par secteur, avec les fédérations professionnelles, afin de définir précisément ce qu’elle recouvre, à quelles parties des processus de production elle correspond. Quant au prix de revient unitaire, dont 50 à 100 % doit être généré en France, il s’agit du prix sortie d’usine du produit, incluant tous les coûts de fabrication, la main-d’œuvre, le cas échéant la R&D, mais aussi l’amortissement des machines. En revanche, les coûts liés au marketing et à la commercialisation ne sont pas pris en compte. Le label OFG, au vu du site www.mesachatsfrancais.fr, n’a-t-il pas l’inconvénient de l’hétéroclite ? Y. G. : A l’origine de cette initiative, il y a eu une mission parlementaire qui a permis d’auditionner des centaines d’acteurs privés, entreprises et fédérations professionnelles. Une grande partie a exprimé le besoin d’un label qui justement soit transversal, applicable à des produits divers, sur le marché intérieur ou à l’exportation, à des produits destinés aux entreprises ou aux consommateurs. La multiplication des démarches sectorielles contribue à la dilution de la « marque France » et à la difficulté pour chacune d’être reconnue. A l’inverse, c’est parce qu’OFG figurera sur les produits les plus divers que le consommateur le repérera et donnera tout son sens à cette initiative. Le fait qu’il repose sur une démarche volontaire, mobilisant des ressources, n’en freine-t-il pas l’essor parmi les PME ? Y. G. : S’agissant d’une valorisation des produits français, il ne peut s’agir que d’une démarche volontaire et privée. Le droit de la concurrence et la jurisprudence communautaires interdisaient tout autre choix. La labellisation de produits mobilise en effet des ressources, mais les entreprises qui s’engagent dans cette voie comprennent qu’il s’agit d’un investissement. Pour beaucoup, le retour a été immédiat, grâce au surcroît de notoriété, à la couverture médiatique, alors qu’une campagne de publicité aurait été nettement plus coûteuse pour des résultats moindres. Et pourquoi les grandes entreprises ne semblent-elles pas se bousculer pour l’avoir, même celles dont un concurrent l’a obtenu ? Peut-on avoir une idée de l’avantage concurrentiel qu’il représente ? Y. G. : La majeure partie des entreprises intéressées sont des PME. Parmi les grandes entreprises, il y a celles qui se reposent sur la force de leurs marques et qui estiment n’avoir pas besoin de ce type de démarche. Il y a aussi celles qui ont fait le choix d’une production partiellement ou totalement délocalisée, et dont les produits ne sont par conséquent pas éligibles. L’inclination à consommer français concerne-t-elle également toutes les gammes de produits, du plus modeste au luxe ? Y. G. : Les études réalisées ces dernières années sur le sujet montrent que le regain très fort d’intérêt pour la production locale, le « produire en France », concerne en effet toutes les gammes de produits, même si le niveau d’intérêt est plus fort pour certains achats – automobile, électroménager, certains produits alimentaires etc. – que pour d’autres. Consommer français se limite-t-il nécessairement à ce qui est produit en France ? Y. G. : Ce qui intéresse avant tout le consommateur sensible à ces questions, c’est de savoir quel peut être l’impact social de son achat, son « empreinte emploi ». Il a compris que des marques aux consonances très françaises, appuyées parfois sur une longue histoire industrielle en France, n’ont plus guère de français que le nom. Consommer français, voilà un slogan qui peut sonner creux s’il n’est pas associé à l’emploi et à la fabrication locale. Acheter une Toyota Yaris label Origine France garantie, est-ce plus consommer français qu’acheter une Peugeot slovaque ? Y. G. : Toyota a choisi de valoriser son ancrage territorial et la production en France de sa gamme Yaris, avec les milliers d’emplois directs et indirects qui y sont liés. Nous ne doutons pas que d’autres acteurs de la filière automobile s’engageront dans cette voie, dès lors que leurs produits seront éligibles, assemblage en France et plus de la moitié du coût de revient acquis en France. L’attitude « consommer français » est-elle un facteur de relocalisation alors qu’on ne recense qu’une trentaine de cas depuis 2009 (0,2 % du total des créations d’emplois et 1,2 % des créations d’emplois industriels) ? Y. G. : Je ne crois pas qu’il faille juger des effets positifs du débat sur le made in France à l’aune des relocalisations, ni faire de ces mesures la clef de voûte d’une politique de reconquête industrielle. Mais il ne faut pas davantage en sous-estimer l’importance pour des milliers d’entreprises qui communiquent sur leur choix de fabrication locale et en tirent un véritable avantage compétitif. L’évolution attendue du prix des transports de marchandises, et sa place dans leur prix final, est-elle de nature à favoriser ou à décourager le « consommer français » ? Y. G.. : C’est un facteur parmi d’autres, sans doute pas décisif, mais qui pèsera dans les stratégies industrielles des entreprises françaises dans les prochaines années. Les entreprises qui relocalisent ou qui, après réflexion, maintiennent leur production en France, citent assez souvent cet argument parmi ceux qui ont guidé leur choix. La difficulté du « consommer français » tient-elle principalement à l’impossibilité pour le consommateur de connaître l’origine de toutes les composantes d’un produit ? Y. G. : Je ne le crois pas. La difficulté principale, pour les consommateurs intéressés par l’origine et l’impact social des produits, c’est que l’Union européenne n’a pas établi d’obligations de marquage, à l’exception d’une liste limitée de produits, exclusivement alimentaires, à la différence des grands pays producteurs d’Asie ou des Etats-Unis, où la réglementation sur l’étiquetage est souvent beaucoup plus complète. Au nom de l’information des consommateurs, le ministre de la Consommation Benoît Hamon souhaite l’extension aux produits manufacturés des indications géographiques, qui ne sont obligatoires que sur les produits agricoles. Quels peuvent être les critères (périmètre géographique, procédés de fabrication, etc.) d’une telle obligation ? Est-il pensable qu’ils divergent de ceux qui ont abouti au label OFG ? Y. G. : Cette mesure faisait partie des dix recommandations formulées dans le rapport que j’ai remis en 2010 au président de la République. Je m’en réjouis donc et j’encourage le gouvernement à aller de l’avant sur ce sujet, notamment par des initiatives à l’échelon européen, puisque c’est là que le débat se joue vraiment. Il ne s’agirait d’ailleurs pas du tout d’une obligation, mais de la faculté pour des entreprises industrielles, liées à un espace géographique donné, de mettre en place de manière volontaire une indication géographique reconnue. Ce sujet est très consensuel en Europe et concerne des centaines de productions, de la dentelle de Calais au cristal de Bohème en passant par le verre de Murano. Cette démarche n’a rien à voir avec OFG, qui est un label national, alors qu’il s’agit là de protéger des savoir-faire locaux. Le secteur public est un gros consommateur, mais en vertu du principe d’égalité (droit communautaire) aucune forme de préférence nationale ne peut figurer dans les marchés publics. Faut-il changer cela ? Y. G. : Rien n’interdit à l’acheteur public de s’informer des conditions de fabrication et de l’origine des produits, même s’il ne peut pas, en effet, inscrire dans le cahier des charges une exigence d’origine française. Pro France prendra des initiatives prochainement sur ces sujets. Les actions sur le thème « achetez français » devraient-elles favoriser des secteurs de l’économie selon qu’ils paraissent plus ou moins porteurs d’avenir ? Y. G. : Notre expérience avec le label OFG montre que tous les secteurs de l’économie sont potentiellement concernés par le débat sur le made in France. Il n’y a pas lieu de le réduire à tel ou tel secteur. Pourquoi le consommateur aurait-il droit à la transparence dans quelques domaines et devrait-il se contenter de l’opacité ailleurs ?

Propos reccueillis par J. W.-A.

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