Bulletins de l'Ilec

Des plans et des bilans - Numéro 432

01/12/2012

Définis par les pouvoirs publics en 2009, les circuits courts de la distribution alimentaire ont mobilisé depuis un grand luxe d’outils de soutien et de mesure, à l’échelon de l’Etat ou des collectivités locales. S’ils commencent à être mieux cernés, ainsi que les obstacles à leur essor, leur grande diversité interdit les évaluations univoques. Entretien avec Yuna Chiffoleau, Inra, chef de file du groupe « Agriculture et alimentation » du Réseau rural français (2009-2011)

Après les recommandations du Grenelle de l’environnement (2007, groupe 4 « production et consommation durable »), celles des Assises de l’agriculture (janvier 2009) puis du plan « Renforcer le lien entre agriculteurs et consommateurs – pour développer les circuits courts » (juin 2009) et les mesures introduites dans la LMAP (juillet 2010), les circuits courts ont fait l’objet de politiques publiques ces dernières années. Quelle est l’importance des mesures prises, et quel bilan ? Yuna Chiffoleau : Les mesures relèvent principalement d’incitations, puisqu’il y a peu de moyens associés, en termes financiers mais aussi de contrôle. Elles ont néanmoins le mérite de renforcer ou d’encourager des actions autour des circuits courts, à différentes échelles. L’année 2009 a marqué un tournant avec la mise en place, par le ministère de l’Agriculture, d’un groupe de travail qui a contribué à définir les circuits courts comme formes de vente avec zéro ou un intermédiaire entre producteur et consommateur, et à formaliser un plan d’action pour soutenir leur développement (« plan Barnier »)1. Cette définition a l’intérêt d’ouvrir le champ d’action aux intermédiaires économiques tels que les artisans, les restaurateurs, les détaillants, souvent oubliés dans les approches qui réduisent les circuits courts à la vente directe et aux formes militantes. Parce que la vente directe est parfois jugée trop fruste, elle encourage certains à aller plus loin, en cherchant à valoriser des circuits courts et de proximité géographique. Existe-t-il un outil adapté permettant de mesurer le périmètre et l’évolution des circuits courts? Y. C. : Le groupe de travail du ministère de l’Agriculture a fait émerger le manque de connaissances sur les circuits courts comme un des principaux freins à leur développement. Deux outils ont été mobilisés pour répondre à ce besoin : des questions relatives aux circuits courts ont été intégrées dans le recensement agricole de 2010 et le groupe « Agriculture et alimentation » du Réseau rural français, chargé de capitaliser les initiatives territoriales autour de ces circuits, a vu sa mission renforcée. Toutefois, des données manquent toujours au niveau des intermédiaires et des consommateurs. Deux projets de recherche-développement, financés par les fonds Casdar (comptes d’affectation spéciale pour le développement agricole) et dans lesquels nous sommes partenaires, viennent d’être lancés pour combler ce manque. Quelle est la retombée la plus manifeste des circuits courts : une meilleure « captation de valeur au bénéfice de la production », l’impact environnemental (transport, biodiversité…), ou l’emploi rural ? Y. C. : La réponse ne peut être unique, les circuits courts représentant aujourd’hui une vingtaine de modalités de vente différentes. Les analyses, encore partielles et donc à considérer avec précaution, confirment l’intérêt pour les producteurs en termes de diversification des débouchés et de maîtrise des prix. Elles montrent aussi le rôle clé de ces circuits en matière de maintien ou de création d’emplois agricoles et ruraux, même si l’on manque de données chiffrées, notamment parce qu’il est difficile de quantifier ce qui se serait passé sans circuits courts. L’impact environnemental reste un sujet controversé, qui appelle à mobiliser d’autres indicateurs que la seule empreinte carbone liée aux transports. Les enjeux relèvent davantage du maintien de la biodiversité et des paysages, mais aussi de l’écologisation des pratiques agricoles. Toutefois, les impacts les plus manifestes sont sans doute à trouver dans la dimension sociale, même s’il ne s’agit pas de l’idéaliser : reconnaissance du métier d’agriculteur, lien social, nouvelles collaborations ou encore éducation des consommateurs forment le capital symbolique de ces circuits, un capital qui précisément renforce la dimension économique. Le problème est que tous les circuits courts ne jouent pas le jeu de cette dimension sociale tout en profitant pourtant de ce capital symbolique qui suscite la confiance et l’intérêt des consommateurs. La formation des agriculteurs (à la vente, à la connaissance de la réglementation et de la normalisation…) est-elle à la hauteur ? Y. C. : La vente en circuits courts suppose en effet de combiner plusieurs types de compétences ou même de métiers. Le manque de formations adaptées est un frein qui est apparu au groupe de travail mis en place par le ministère. Ce thème forme un des quatre axes du plan Barnier. Il fait aussi l’objet d’un projet Casdar coordonné par la Fédération nationale des centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (FNCivam)2. On observe néanmoins que les agriculteurs mutualisent leurs compétences au sein de collectifs, ce qui contraste avec l’idée qu’ont certains que les circuits courts seraient des démarches individualistes. Mais le problème ne se situe pas qu’au niveau des agriculteurs : les bouchers n’apprennent plus à acheter en vif lors de leur formation, les consommateurs connaissent peu les produits locaux et saisonniers, ou ils ne savent pas les cuisiner. Il faut envisager de nouvelles formations tout au long de la chaîne. L’accès au foncier a-t-il été facilité en milieu périurbain ? Y. C. : Certaines agglomérations ou villes ont en effet cherché à maintenir des terres agricoles et à faciliter l’installation, dans la perspective de renforcer les circuits courts, par exemple avec des projets d’« îlots alimentaires » destinés à approvisionner les cantines scolaires. Des outils tels que les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (Paen) ou zones agricoles protégées (ZAP) peuvent appuyer les démarches, à condition qu’il y ait une volonté politique. Parallèlement, des citoyens se mobilisent pour acheter des terres agricoles et les louer à des porteurs de projets agricoles, avec l’appui notamment de l’association Terres de liens3, dans la perspective de créer une Amap par exemple. Toutefois, ces initiatives ne doivent pas faire oublier que l’artificialisation des terres et la spéculation foncière restent dominantes en milieu périurbain. Les agriculteurs intéressés par la vente directe disposent-ils aujourd’hui de référentiels technico-économiques ? Y. C. : En 2009, le ministère a chargé l’Inra d’élaborer un référentiel technico-économique pour les exploitations en circuits courts. Notre unité Inra SAD UMR Innovation a été choisie pour cette mission, au vu de nos travaux sur les circuits courts menés depuis quelques années. Nous avons travaillé avec des partenaires d’AgroSupDijon et analysé deux filières, maraîchage et produits laitiers fromages à base de lait de vache, à l’échelle de trois régions. Il s’agissait de produire une méthode à l’intention des organisations professionnelles agricoles et instituts techniques, dont c’est le métier, pour qu’ils l’appliquent à différentes filières et régions. Ce travail fait l’objet d’un projet Casdar national coordonné par le Centre d’études et de ressources sur la diversification (CERD) situé en Bourgogne. Les résultats devraient être diffusés fin 2013. Il reste que ce sont surtout les banquiers, frileux face à des projets qui sont encore considérés comme atypiques, qu’il s’agit de rassurer avec de telles données. Les collectivités locales ont-elles joué le jeu (plans régionaux ; aide à la mutualisation des points de vente, etc.) ? Y. C. : Les collectivités ne sont pas en reste, en effet. On l’a vu au niveau du foncier. Plus largement, rares sont les collectivités aujourd’hui qui ne veulent pas introduire des produits locaux, si possibles biologiques, dans leurs cantines scolaires, d’ailleurs souvent sans connaître la réalité et les contraintes du monde agricole. Les plans régionaux de l’offre alimentaire offrent un cadre stimulant pour les initiatives, mais la connexion avec les politiques et les dynamiques agricoles reste faible, de la même façon qu’à l’échelle nationale. Les collectivités ont pourtant les moyens d’aller beaucoup plus loin, en partenariat avec les opérateurs locaux. Nous travaillons par exemple sur l’introduction de circuits courts dans l’aide alimentaire, en partenariat avec le Marché d’intérêt national de Montpellier, entreprise publique locale, les Restos du cœur et la Draaf Languedoc-Roussillon. Dans le même temps, nous observons, et accompagnons dans certains cas, des démarches de mise en œuvre d’une « gouvernance alimentaire territoriale » où l’enjeu est de favoriser une gestion collégiale du lien agriculture-alimentation-territoire, avec les différentes parties prenantes, publiques et privées, à travers parfois de nouveaux modes d’organisation, comme les société coopératives d’intérêt collectif (Scic). Ce sont des exemples intéressants, dans la perspective d’une « démocratie alimentaire » déjà en vogue dans les pays anglo-saxons, à l’heure où d’autres collectivités, par contre, laissent foisonner des initiatives non coordonnées et déjà concurrentes, ou bien contribuent au développement de circuits de proximité qui ne changent rien aux rapports des forces et ne répondent pas aux enjeux des circuits courts, notamment du point de vue social. 1.http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/100809-lettreCircuitsCourts.pdf 2.www.civam.org. 2. www.terredeliens.org.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.