Bulletins de l'Ilec

Quantification en pointillé - Numéro 432

01/12/2012

Longtemps inconnus des statistiques du ministère de l’Agriculture, les circuits courts sont pas ignorés des chercheurs. Mais se dérobent en partie à l’analyse. Entretien avec Jean-Baptiste Traversac, ingénieur Inra

Quelle était la part des circuits courts il y a dix ans dans le commerce alimentaire, et quelle est-elle aujourd’hui ? Jean-Baptiste Traversac : Pour l’univers alimentaire, quelques chiffres fournissent un ordre de grandeur : 6 à 7 % pour l’Ademe, mais l’étude Produits fermiers du CERD évalue à 12,5 % la part des produits en circuit court dans le budget alimentaire des ménages français. Il reste difficile de répondre de façon rigoureuse, compte tenu de l’absence de dispositif de mesure ad hoc par l’Insee ou le Credoc. Les comparaisons menées entre les résultats des études Casdar (2007) et Inra (1989, 1994) montrent une évolution à la hausse de la proportion de consommateurs séduits par ce circuit. Cela ne signifie nullement que le volume d’affaires ait augmenté. Le phénomène inverse est plus probable, compte tenu de la diminution du nombre de producteurs commercialisant en circuit court. Néanmoins, rien n’exclut que les producteurs résilients aient compensé par des démarches commerciales plus actives les pertes de ceux partis en retraite. Y a-t-il un moyen de mesure fiable pour des ventes qui, par nature, échappent aux instituts de panel ? J.-B. T. : Les tentatives de mesure sont balbutiantes. Jusqu’ici, le ministère de l’Agriculture avait un intérêt plus qu’accessoire pour les circuits courts, ce qui explique l’absence de mesure du phénomène sur le versant production. Le recensement de l’agriculture organisé par le ministère commence à peine dans cette voie. Sa dernière édition comprend un volet détaillé des types de circuits de commercialisation courts. Compte tenu de la complexité du dispositif qui a été mis en place, ses résultats doivent être pris avec précaution. Ils fournissent de premiers repères qui devront faire l’objet d’analyses spécifiques avec des sondages ciblés sur cette question. Les approches quantitatives tiennent-elles compte de la diversité de ce qu’on appelle circuits courts (ferme, marchés, tournée, Amap, « drive fermier », restauration…) ? J.-B. T. : L’approche « recensement de l’agriculture » a tenu compte de la diversité des modèles de mise en marché avec un niveau de détail assez fin. L’écart de prix entre circuits courts et grande distribution évolue-t-il significativement ? J.-B. T. : La question des prix n’a pas été traitée à grande échelle et les travaux que nous avons conduits ne permettent pas de conclure à une différence entre les offres de circuits courts et la grande distribution. Pour tirer des conclusions, il faudrait une analyse rigoureuse comparant les offres de produits et de services, et les prix. Les études de cas que nous avons menées suggèrent que les consommateurs sont très sensibles aux prix, ce qui n’a rien de surprenant, et se réfèrent à l’offre de la grande distribution pour accepter de payer. Nos études réalisées à partir d’entretiens avec des producteurs montrent qu’ils sont conscients du phénomène. L’analyse de leurs procédures de détermination des prix souligne qu’ils fixent une fourchette proche de l’offre de la grande distribution, souvent en se donnant pour prix plafond le prix de détail en grandes surfaces et pour prix plancher le prix de gros. Ce modèle montre que la marge de manœuvre des producteurs engagés en circuits courts est bien étroite, si l’on fait l’hypothèse que rien ne justifie qu’ils soient plus performants, en termes commerciaux et logistiques, que des commerçants spécialisés. La question des prix et des marges n’a pas été tranchée. Elle est conditionnée à l’acquisition de données sur le sujet, travail en cours dans le cadre du projet conduit par l’Inra et la quasi-totalité des instituts techniques. Y a-t-il des réseaux « paysans » plus solides que d’autres ? J.-B. T. : La mutualisation d’actifs est un phénomène commun en agriculture. Le modèle des points de vente collectifs, très présent en Rhône-Alpes, fonctionne particulièrement bien. Il permet aux agriculteurs de s’adresser directement au consommateur avec une offre diverse et un temps contraint par individu relativement réduit. De ce fait, lorsque les producteurs parviennent à trouver les termes d’un accord régissant leurs participations respectives, ce modèle, comme celui des marchés paysans, est très intéressant. En dehors des systèmes reposant sur un engagement des consommateurs à acheter un panier avec prépaiement, la vente directe a-t-elle les moyens de fidéliser une clientèle au-delà de l’achat occasionnel ? J.-B. T. : Fondée sur des relations interpersonnelles, la vente directe permet de fidéliser une clientèle en utilisant les mêmes ressorts que dans les autres systèmes commerciaux. "La qualité des produits, mais aussi et surtout la qualité de l’accueil et des services associés sont des leviers de fidélité".Pour un agriculteur, artisan voué à plusieurs tâches, l’enjeu est souvent l’arbitrage entre les heures consacrées à l’activité commerciale et aux ateliers productifs. Les analyses que nous avons conduites sur les viticulteurs français montrent que la probabilité d’avoir une activité de commercialisation augmente lorsque le collectif de travail possède de la main-d’œuvre salariée ou familiale, à laquelle le producteur peut déléguer une partie de son emploi. La professionnalisation de l’activité commerciale reste pourtant assez fruste, handicapant lee développement des circuits courts. La France est-elle plus que d’autres en Europe une terre d’Amap ou de circuits « paysans » apparentés ? J.-B. T. : Aucun élément ne permet une comparaison avec les autres pays d’Europe. Attachés à leur indépendance d’entrepreneurs, les producteurs français ne sont pas spécialement attachés au modèle canonique d’Amap dans lequel les consommateurs détiennent une partie prépondérante des facteurs de production et prennent les décisions stratégiques. La présence d’Amap allégées, un collectif de consommateur centralisant des commandes, ne pèse que peu dans la trajectoire de l’agriculture française.

Propos reccueillis par J. W.-A.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.