Bulletins de l'Ilec

Proximité en grand - Numéro 432

01/12/2012

En matières de circuits courts, les formules sont diverses et, pour être alternatives, ne sont pas toutes contestataires. La distribution traditionnelle n’est pas en défaut d’initiatives. Entretien avec Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce

Peut-on parler d’un intérêt croissant des consommateurs pour les produits locaux ?

Frank Rosenthal : Une étude de Kantar World Panel en cumul annuel mobile, deuxième trimestre 2012 par rapport à la même période de l’année précédente, apporte des réponses : de 48 %, la proportion de ceux qui achètent des produits locaux s’est élevée à 52 % , soit la majorité. Les principaux critères d’achat sont la qualité de produits frais et sains, la confiance et le goût, le soutien à l’économie et à l’emploi local.

Le poids économique des circuits courts est-il aujourd’hui bien mesuré ?

F. R. : Il existe différentes sources. Le premier baromètre multicanal mené par Ipsos, en février 2012 pour le groupe CA Com, donne des indications précieuses : 17 % des Français fréquentent les marchés au moins une fois par semaine ; 3 % pratiquent les réseaux alternatifs ou vont directement chez les producteurs. C’est encore faible, mais si on regarde sur un mois, on arrive à respectivement 38 % pour les marchés et 9 % pour les réseaux alternatifs ou les producteurs. Et sur un an, à 56 et 20 %. Les expériences se multipliant, soit par internet, soit sur les lieux de production, soit près des habitations en zones urbaines, ces chiffres devraient progresser sensiblement dans les années à venir. Il est un autre point dont on parle peu : le développement du drive devrait bénéficier aux circuits courts. D’abord parce que ce nouveau circuit ne se prête pas à la vente de produits frais du marché, et appelle donc un complément, mais aussi et surtout parce qu’il amène ses adeptes (déjà 11 % de pénétration fin 2012) à repenser, partiellement ou entièrement, la localisation de leurs points d’achat.

Pour les grandes surfaces alimentaires, le critère implicite du « local » est-il la taille du fournisseur ?

F. R.: C’est évidemment un des paramètres, mais pas le plus important, car de grandes entreprises peuvent être implantées à proximité du magasin, et des PME qu’il référence sont à l’autre bout de la France. Le critère numéro un est vraiment la proximité. C’est ce qu’attendent prioritairement les clients et c’est ce qui permet de communiquer en magasin. Le local va beaucoup plus loin que la taille des fournisseurs ; par exemple, l’Hyper U des Arcs-sur-Argens, dans le Var, ne propose pas moins de quatre cents produits locaux. Les raisons de cet effort de référencement sont multiples : cela correspond à un ancrage local de l’associé U, Stéphane Benhamou ; cela répond à une volonté de proposer des produits de qualité aux clients et d’être un acteur économique local, avec de vraies responsabilités qui se traduisent en actes pour sa région. Une démarche qui colle bien à la signature de U, « le commerce qui profite à tous ».

Un observateur suspicieux serait-il fondé à voir dans les Alliances locales de Leclerc, ou autre partenariat similaire engagé par une enseigne, une niche premium dans les produits frais, à côté d’une part croissante de produits premiers prix importés (volaille du Brésil…) ?

F. R. : Les consommateurs ont une confiance limitée dans les enseignes, l’ObSoco de Philippe Moati l’a démontré ; beaucoup sont suspicieux, mais cela ne signifie pas qu’ils aient raison, je pense même qu’ils ont tort. Mais les premiers prix ne sont absolument pas plébiscités, ils progressent moins vite que les marques d’enseigne ou MDD, et surtout que les marques nationales. De plus, les enseignes ont des marges plus limitées, voire insignifiantes, sur ces produits, donc elles les exposent mal ; c’est le contraire des MDD, qui bénéficient des meilleures marges et souvent de la meilleure exposition. Au final, privilégier les produits locaux qui bénéficient de plus de demande a du sens, surtout au regard de premiers prix qui dégradent l’image qualité du magasin.

Comment une grande surface gère-t-elle les risques de rupture d’approvisionnement avec un petit producteur agricole ?

F. R. : De la même façon qu’avec les autres. Mais cela dépend avant tout de l’offre. Le produit fait à côté de chez soi crée indéniablement de l’attractivité. Quand on y ajoute une certaine qualité liée à une dimension « moins industrielle » et si le prix est compétitif (avec un coût de transport limité), le tout étant bien mis en scène et théâtralisé, le succès est au rendez-vous. Mais il faut tous ces paramètres. Et c’est alors qu’il y a risque de rupture. Soit le producteur réapprovisionne, s’il le peut, et la proximité géographique est un atout ; soit ses quantités sont limitées et, c’est la règle du commerce, premiers arrivés, premiers servis.

Comment mesurer le bénéfice environnemental des circuits courts ?

F. R. : Il est induit par la limitation du nombre de kilomètres parcourus associée aux produits locaux, mais aussi par les efforts que font de plus en plus de distributeurs pour privilégier les produits de saison et limiter les importations de Nouvelle-Zélande, par exemple, à plus de 20 000 km de la France. L’information doit être faite par les enseignes, mais cela ne peut pas se limiter au transport : les conditions de culture sont importantes. Le sujet est compliqué et peu d’enseignes en ont une approche mature.

Quelles initiatives intéressantes citeriez-vous à propos des circuits courts ?

F. R. : Le meilleur exemple serait l’enseigne américaine Whole Foods (« America’s Healthiest Grocery Store »). Whole Foods met en contact ses fournisseurs et ses clients, d’abord par des rencontres dans ses magasins, mais aussi par la possibilité pour les consommateurs de se rendre sur les lieux de production. Le travail ne se fait plus en coulisses, il faut associer le client, qui ne demande qu’à participer. Autre initiative, aux Etats-Unis, les food trucks sont devenus un phénomène. Le « camion qui fume » connaît un engouement à Paris. Delhaize, en Belgique, multiplie les visites et dégustations en magasins avec des producteurs locaux. A Londres, The People’s Supermarket est une coopérative, dont l’objectif est d’offrir un réseau alimentaire et une alternative d’achat, en connectant une communauté urbaine à la communauté agricole locale. Cela se traduit par un fort référencement de produits locaux, mais aussi par d’autres actions : les clients qui veulent donner quatre heures de leur temps par semaine pour aider le personnel reçoivent des réductions et des avantages spécifiques. Là aussi, le client devient acteur. Internet fait bien sûr écho au nouvel engouement pour les circuits courts. Citons La Ruche qui dit oui (www.laruchequiditoui.fr)1 ou Les Colis du boucher (http://lescolisduboucher.com)2. A Courbevoie, sur le marché, un commerçant a regroupé presque tous les autres pour proposer Clic Mon Marché (www.clicmonmarche.fr), un site qui permet de réserver des produits et de les retirer en cinq minutes chrono au marché du coin à l’heure choisie. C’est intéressant, parce que ce sont là des petits commerçants qui offrent plus de services tout en copiant les recettes à succès des grands distributeurs.

1. Points relais organisés chez des particuliers (fruits, légumes, jus, viande…), dont une centaine seraient opérationnels en France, et quatre fois autant « en construction » (Ndlr).
2. Livraison de viande en direct par des « éleveurs du Bourbonnais » (Allier), aidés de « familles centralisatrices » des commandes. Des livraisons à des points relais tous situés en région parisienne illustrent l’indifférence à la distance de certains « circuits courts » (Ndlr).

Propos recueillis par J. W.-A.

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