Bulletins de l'Ilec

Filière neuve pour services innovants - Numéro 437

01/08/2013

Formation de qualité et contexte réglementaire déminé, les entreprises de services en biotechs n’auraient-elle plus rien à attendre des politiques publiques ? Reste à unifier certaines règles de cession de droits de brevets, ou d’éligibilité au CIR. Sans parler de favoriser l’esprit d’entreprise, l’accès au capital et les bonnes pratiques commerciales… Entretien avec Claude-Alain Cudennec, délégué général de l’Afssi1

Quelle est la singularité de l’Afssi ?

Claude-Alain Cudennec : L’Association française des sociétés de services et d’innovation pour les sciences de la vie a déposé ses statuts en septembre 2012. Sa création répond à une lacune ancienne dans la représentation des sociétés technologiques de nature entrepreneuriale.

France Biotech regroupe des entreprises développant des projets et des produits le plus rapidement possible, avec le concours des investisseurs en capital-risque ; ces entreprises ont un cycle de vie particulier, car elles sont capitalisées fortement dès leur création et destinées au développement des produits très spécifiques qu’elles portent. Les entreprises membres de l’Afssi s’inscrivent, elles, dans la durée des projets et dans une perspective de croissance.

Une autre association, avec laquelle nous entretenons de très bonnes relations, l’Afcro, fédère les sociétés prestataires de services en recherche clinique et épidémiologique. Il s’agit d’entités qui ont pour but de répondre à des besoins des grands comptes pour des travaux qu’ils ne peuvent pas réaliser en interne. Ils réalisent, comme des sous-traitants, à la demande, des activités de R&D standardisées. Les entreprises de l’Afssi sont dans une situation plus complexe, puisqu’elles travaillent en prestations de recherche. Elles participent fortement à l’innovation, car à chaque travail confié par un grand compte, elles adaptent, innovent, créent des solutions qui viennent abonder l’effort de R&D des grands comptes. Elles sont dans une relation de partenariat plus que de sous-traitance.

Dans les sciences du vivant, les temps de développement diffèrent sensiblement, de la pharmacie, où cela peut durer douze ans, à la cosmétologie, où le temps se réduit à trois-quatre ans. Il y a donc une grande diversité entre les prestations et leur concrétisation. Les entreprises des sciences du vivant constituent une filière, puisque les unes et les autres contribuent à accumuler des connaissances complémentaires. L’Afssi en regroupe 80 (sur 320 entreprises de services innovants dans les sciences de la vie en France).

Il y a quatre ans, la DGCIS se félicitait que la France soit devenue un « nouvel eldorado » pour les biotechs. Expression de mise ?

C.-A. C. : Non, les domaines d’activité dans lesquels nous travaillons partagent un contexte très difficile, très compétitif au niveau mondial, qui exige énergie, anticipation et constance. Il n’y a nul filon de diamant, nulle pépite, mais seulement le fruit de beaucoup de travail.

Dans quel secteur les entreprises technologiques orientées vers les sciences de la vie vous paraissent-elles en France les plus dynamiques (environnement, agronomie, santé, cosmétique…) ?

C.-A. C. : Si par dynamisme on parle de volume d’activité, la pharmacie demeure un donneur d’ordres très important, malgré la réduction des profits due à l’augmentation des charges, à la baisse des prix, au renchérissement des charges de recherche-développement. Les marges y demeurent importantes, mais l’avenir des entreprises pharmaceutiques repose sur l’innovation. Si l’on entend par dynamisme la rapidité du développement et l’inventivité, la cosmétologie offre des développements intéressants pour les investisseurs. L’agronomie a connu de forts développements, mais depuis l’affaire des OGM les mesures stupides d’un point de vue scientifique qui ont été prises dans ce secteur ont causé un mal considérable au potentiel français et à l’innovation. Il n’y a plus de débouché de créativité en France dans le domaine agronomique.

Quels atouts a la France dans la chaîne de valeur des sciences du vivant ?

C.-A. C. : La France possède une recherche publique de bonne qualité dans les sciences du vivant, tant par la diversité, la compétence, que par le nombre et la qualité. Les universités ont un potentiel réel. Les dotations dans les quatre dernières années, particulièrement dans les investissements d’avenir des plans de relance, ont comblé le retard en termes d’équipement et de programme qu’avaient pris les universités, l’Inserm, le CNRS, le CEA, etc. Ces organismes ont pu recevoir des dotations en matériel très moderne et sophistiqué pour recouvrer la compétitivité nécessaire. Les sciences du vivant sont un domaine d’excellence en France et la formation y est de très bonne qualité. Nos atouts sont donc réels.

Y a-t-il des enjeux de propriété intellectuelle qui ont handicapé les entreprises de service et d’innovation françaises ?

C.-A. C. : Il y a eu des contraintes liées aux brevets et à la propriété intellectuelle qui ont été handicapantes ; elles sont en train d’être supprimées. Du point de vue réglementaire, le coût des brevets, surtout européen avec le multilinguisme, a longtemps été un frein. Le brevet européen est enfin acquis. Demeure le problème du partage de la propriété intellectuelle entre les grands organismes de recherche qui détiennent les brevets et le secteur industriel. Le positionnement des agences de valorisation de ces instituts est stupide. L’ensemble des organismes de recherche et des universités est subventionné par l’argent public. On pourrait donc imaginer que les règles de valorisation et de cession des droits de brevets soient automatiquement identiques, quel que soit l’organisme concerné. Il n’en n’est rien, car tous les organismes ont leur propre politique. Nous attendons beaucoup de la création, il y a dix-huit mois, des sociétés d’accélération de transfert de technologies (SATT), entités régionales chargées de réunir et de concilier les exigences de chacun.

Quelle est la place du capital-risque dans vos entreprises ?

C A. C. : Le capital-risque pur ne correspond pas à la nature de nos adhérents ni à leur modèle économique. Le besoin de nos entreprises se situe plus dans le capital-développement. Les sociétés concernées par le capital-risque se trouvent dans France Biotech. Néanmoins, nous avons en France de gros soucis de capitalisation, car nous sommes à la fois des entreprises de service avec des objectifs de pérennité, des entreprises de croissance, et des sociétés innovantes qui remettent chaque fois en question les conditions de leur succès. Aujourd’hui, le banquier a peur de l’innovation. Aussi nous travaillons de manière intensive avec Oseo, devenu BPI-France. Nous lançons une alerte, car nous sommes dans la même situation que celle des autres PME en France.

Les obstacles que rencontrent les entreprises technologiques, notamment celles de biotech, sont-ils plus souvent liés à des problèmes réglementaires, fiscaux, ou aux relations avec des donneurs d’ordres ?

C.-A. C. : Les problèmes réglementaires ont été en grande partie réglés. Sur le plan fiscal, nous avons des soucis, notamment en ce qui concerne le crédit impôt recherche, au demeurant une excellente chose. Nos entreprises y ont droit statutairement, car elles doivent, par leur R&D, être éligibles au CIR à hauteur d’au moins 50 % de leur chiffre d’affaires pour adhérer à l’Afssi. Soulignons ce que la situation peut avoir d’inexplicable : quand un donneur d’ordre fait réaliser une étude innovante, éligible au titre du CIR, sur une plate-forme universitaire ou académique, il a un taux de couverture de 60 % au titre du CIR sur ses travaux ; en revanche, s’il fait réaliser ces mêmes études par une entreprise privée, le taux chute à 30 %. Une action est en cours pour égaliser ce taux.

Le statut de Jeune Entreprise innovante et le CIR répondent-ils, dans les sciences du vivant, au lancinant problème français de PME incapables de grandir ?

C.-A. C. : Le CIR est un levier extraordinaire et salué hors de France, qui l’a institué il y a vint-cinq ans. Son adaptation sous le précédent gouvernement a été déterminante dans ses effets sur le développement des entreprises technologiques innovantes. La plupart des entreprises créées ces dernières années ont bénéficié du statut de Jeune Entreprise innovante, permettant l’amorçage nécessaire de la croissance. Mais la durée de vie de ce statut est limitée, aussi faut-il être prudent et ne pas soutenir des entreprises qui n’ont pas de projet au-delà de la durée de vie des mesures de lancement. Le taux d’échec est élevé. Le CIR est une avancée majeure et elle doit être conservée.

Qu’attendre, en faveur des chercheurs-entrepreneurs, des orientations actuelles en matière de « politique de transfert » de la recherche vers l’économie ?

C.-A. C. : Nous sommes bien placés, car nous sommes sollicités par BPI-France pour constituer la représentation de la filière des entreprises dans les sciences du vivant, l’organisation et l’animation de toute son activité économique…

Les offres d’emplois en biotechs, nanotechs, numérique, sont-elles bien satisfaites, ou les entreprises sont-elles conduites à se délocaliser faute de main-d’œuvre qualifiée en France ?

C.-A. C. : Le niveau des universités et des structures académiques est, en France, excellent ; il peut y avoir des bassins d’emplois moins bien fournis, mais globalement les compétences existent. Aussi, il serait incompréhensible que la France ne soit pas un creuset d’innovation et de services innovants.

Y a-t-il exode des cerveaux ou des projets ?

C.-A. C. : Oui, en raison des difficultés rencontrées dans la capitalisation des entreprises et de la faiblesse chronique de la culture entrepreneuriale à l’Université. Le gisement des compétences est trop grand ! Si les conditions économiques étaient réunies en France, alors oui, notre pays pourrait devenir un eldorado !

S’il vous n’aviez qu’une mesure à recommander, que devrait faire l’Etat pour soutenir les entreprises technologiques ?

C.-A. C. : Favoriser leur capitalisation, l’accès au capital pour se développer et assainir les relations avec les grands comptes, particulièrement sur le plan commercial.

L’Afssi se voit-elle comme un acteur de la « Convergence » ?

C.-A. C. : Oui, du fait de la diversité des métiers de nos entreprises adhérentes. Nous souhaitons chasser en meute les opportunités d’affaires, au travers de consortiums adaptés et fonctionnels, avec l’innovation de chacun en guise d’argument, contrairement aux entreprises de services multinationales. Nous entendons être l’interlocuteur des donneurs d’ordres, des décideurs publics pour former des alliances.

1. « L’Afssi vise à regrouper tous les secteurs de la biotechnologie, chimie, environnement, cosmétologie, agroalimentaire, bioinformatique, et inclut le diagnostic et les essais cliniques. L’Afssi entend devenir le porte-parole des entreprises innovantes investissant plus de 25 % de leur CA en développement technologique. Elles poursuivent un modèle économique mixte “services-risk cosharing”. Elles sont animées d’une démarche entrepreneuriale pragmatique » (www.afssi.fr).

Propos reccueillis par J. W.-A.

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