Bulletins de l'Ilec

Banques alimentaires ou quand les dépôts font les dons - Numéro 439

01/11/2013

Maillon depuis trente ans de la chaîne antigaspillage, les Banques alimentaires militent pour interdire de jeter des aliments encore consommables. Entretien avec Joël Duc, responsable du service hygiène, sécurité des aliments et développement durable des Banques alimentaires

Les magasins sont-ils de mieux en mieux organisés en vue de la collecte pour le don ?

Joël Duc : L’organisation de la collecte des dons en GMS doit en principe répondre au Guide du don alimentaire 2013 Ania-FCD-FNSEA-Solaal (Solidarité des producteurs agricoles et des filières alimentaires). Ce guide privé fixe les modalités en termes de sécurité des aliments (hygiène, chaîne du froid) et de tri des produits (délais de consommation, aspect…). Ces éléments sont repris lors de la signature de conventions entre les Banques alimentaires et les magasins. Cela étant, les pratiques et l’organisation actuelle dépendent des moyens mis en œuvre par chaque magasin. Le constat peut être différent et très variable d’un site à un autre. Nous souhaitons que ce guide soit largement distribué sur le terrain pour reprendre, au cas par cas, l’organisation de cette collecte journalière.

Que récupérez-vous le long de la chaîne logistique ?

J. D. : Depuis trente ans, les Banques Alimentaires ont fondé leurs actions sur la lutte contre le gaspillage alimentaire. Nous sommes amenés à collecter des dons tout au long de la chaîne alimentaire. Ainsi 57 000 tonnes de denrées ont été sauvées en 2013 entre les producteurs, industriels, grandes surfaces et de manière plus marginale la restauration collective. Les produits récoltés couvrent l’ensemble des denrées de ces activités, des fruits et légumes aux produits carnés, les produits laitiers, les produits secs, conserves ou produits surgelés. Ces familles de produits sont enregistrées, pour viser à se rapprocher d’une répartition correspondant à l’équilibre alimentaire et ainsi diriger nos prospections.

Si la chaîne d’approvisionnement était complètement optimisée, resterait-il quelque chose aux Banques alimentaires ?

J. D. : Il convient de préciser que le don n’est pas un objectif de fabrication, il doit intervenir comme mesure de prévention du gaspillage alimentaire en amont du traitement du gaspillage qu’est le déchet alimentaire. On peut analyser les causes de rebut et y remédier, ou les minimiser, en allant à un gaspillage alimentaire évitable (erreurs de fabrication par exemple). Les causes difficilement évitables concernent cependant les nombreux aléas liés au commerce. La mévente dans son ensemble (aléas climatiques, choix du consommateur, évolution des produits, délais de vente…) vaut pour les rebuts de toute la chaîne alimentaire. Ainsi le calage entre approvisionnement et besoins des consommateurs ne pourra, en particulier pour les produits frais, être mathématique. Par ailleurs, des causes peuvent naître du mode même de production, avec par exemple des légumes non récoltés dans leur intégralité.

Les Banques alimentaires contribuent-elles à la création de filières de récupération et de transformation des invendus ?

J. D. : Le don est un des moyens de lutte contre le gaspillage alimentaire pour l’ensemble de la chaîne, de la production à la distribution. L’organisation des dons constitue effectivement une filière de récupération des invendus à laquelle les Banques alimentaires contribuent activement. Cependant, il convient de souligner que cette filière doit son existence, principalement, aux mesures de défiscalisation liées aux dons. Les limites à la récupération de l’ensemble des aliments consommables sont bien réelles : coûts logistiques, limitation de la défiscalisation, taille critique des petits magasins, craintes quant à la responsabilité des denrées, investissements en matériel et en locaux, sont des freins à l’exhaustivité de cette filière.

Demandez-vous l’instauration d’interdictions de jeter les invendus dans certaines catégories de produits ?

J. D. : Nous souhaitons effectivement porter ce thème fort de l’interdiction de jeter les aliments encore consommables. Nous nous sommes exprimés dans le cadre de groupes de travail pour la préparation du «  Pacte de lutte contre le gaspillage alimentaire » afin de faire entendre cette voix. Si une des mesures mentionne que cette lutte contre le gaspillage alimentaire est indiquée comme axe d’action spécifique et sera suivi comme tel dans le plan national de prévention des déchets, aucune mention ne fait référence à l’interdiction de jeter des aliments encore consommables. Ainsi nous arrivons au paradoxe d’une obligation de valoriser les biodéchets sans avoir l’obligation de ne pas jeter les aliments.

Quelles mesures permettraient de faciliter le don alimentaire ?

J. D. : Les mesures et engagements annoncés dans le pacte vont dans un sens positif pour favoriser les dons : défiscalisation, meilleure connaissance du cadre réglementaire et législatif et de la responsabilité lors d’un don, axe dans le plan de prévention des déchets, indicateur dans la responsabilité sociale des entreprises, bourse aux dons, engagements des distributeurs, industriels, producteurs. Nous nous réjouissons d’avoir été entendus. Quelques points sont restés en suspens, tels le souhait de réserver le taux de défiscalisation aux produits alimentaires, la modification des règles relatives aux produits à grande durée de vie… Le point clé reste cependant cette notion d’obligation de ne pas détruire des aliments consommables, qui serait à encadrer.

Un ramassage des produits alimentaires superflus chez les particuliers est-il envisageable (coût et impact écologique de la tournée) ?

J. D. : Un projet a été étudié avec l’agglomération de Tours pour une éventuelle collecte auprès des particuliers. Vous évoquez effectivement l’un des freins. D’autres concernent les conditions de conservation des denrées, principalement la chaîne du froid et la durée de vie des produits. Les voies de la lutte contre le gaspillage au niveau des consommateurs paraissent la sensibilisation et l’éducation à une meilleure gestion des aliments.

Les Banques alimentaires jettent-elles beaucoup ?

J. D. : Les Banques alimentaires sont amenées à s’approvisionner en produits en fin de vie au travers la collecte des grands magasins. Ces produits étant destinés à des consommateurs, ils nécessitent une qualité identique à celle de tout produit du circuit commercial. En complément du respect de la législation (élimination des produits à DLC dépassée, des interdits à la ramasse, enregistrement et traçabilité), un tri rigoureux est donc indispensable avant la distribution aux associations. Ainsi les emballages percés, souillés, les fruits et légumes défraîchis, par exemple, seront éliminés. Ce tri, selon la préparation préalable du magasin et la possibilité de l’équipe de collecte de trier dans le magasin, pourra amener à des quantités de déchets très variables, à gérer par la Banque alimentaire. Ces quantités sont beaucoup plus réduites quand il s’agit de dons des industries agroalimentaires.

Propos reccueillis par J. W.-A.

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