Bulletins de l'Ilec

Du geste au réflexe - Numéro 440

01/12/2013

Lutter contre le gaspillage des produits alimentaires passe par le bon usage de leur contenant, l’emballage, mais aussi par des efforts et des politiques adaptés en matière de tri. Entretien avec Eric Brac de la Perrière, directeur général d’Eco-Emballages

Le gouvernement entend réduire le gaspillage alimentaire de moitié d’ici à 2025 (soit parvenir à 70 kilos par an et par personne1. Au vu des tendances sur vingt ans (l’âge d’Eco-Emballages), est-ce selon-vous réalisable ?

Eric Brac de la Perrière : C’est un cap ambitieux que veut fixer le gouvernement dans la durée, pour faire évoluer les pratiques des consommateurs. Il faut mobiliser les acteurs. L’exemple du geste de tri des consommateurs sur leurs emballages est éclairant : en vingt ans, nous avons atteint un taux de 67 % de recyclage (chiffre 2012). Le geste de tri est aujourd’hui bien ancré, il est devenu le premier geste environnemental des Français. C’est un succès et un progrès vers un comportement plus civique. Sur ce socle, les consommateurs peuvent aussi développer un réflexe de tri, pour ne pas gaspiller les emballages et a fortiori les produits qu’ils protègent.

Zéro gâchis domestique nécessite-t-il de parvenir à zéro déchet ?

E. B. P. : Avec la réalité de notre consommation, parvenir à zéro déchet est une utopie. En revanche, nous devons nous diriger vers la réutilisation. Une société qui sait bien recycler est déjà engagée dans l’économie circulaire, qui tend à limiter au maximum le déchet ultime. Il faut rappeler que l’impact environnemental du produit jeté est beaucoup plus important que celui de l’emballage utilisé. L’emballage représente environ 10 % de l’impact, contre 90 % pour le produit lui-même (source CNE-Ania-FCD-Ademe). De plus, l’emballage remplit différentes fonctions, notamment la conservation, la protection, le transport des produits. Il a donc cette fonction cruciale de préserver le produit, soit 90 % de l’impact.

S’il n’est pas possible de parvenir à zéro déchet d’emballage, il est nécessaire de développer toutes les pistes limitant le gaspillage. Par exemple, l’emballage individuel permet de limiter le gaspillage d’aliments ou la perte de produits. Il est aussi un levier pour inciter le consommateur à réduire sa consommation par la réduction de la taille des portions.

La taxation modulée des ordures ménagères en fonction du volume et du tri des poubelles est-elle la réponse au gaspillage en bout de chaîne ?

E. B. P. : La tarification incitative est un levier économique pour responsabiliser davantage le consommateur, producteur de déchet. Sa mise en place va faire progresser le tri et augmenter le taux de recyclage des emballages ménagers. En parallèle, elle favorise la réduction des déchets. Elle n’est certes pas la réponse unique, mais elle contribue bien entendu à limiter le gaspillage en bout de chaîne.

Quel est l’impact du gaspillage alimentaire sur la performance de la collecte et du retraitement des déchets d’emballages (produits jetés non déballés…) ?

E. B. P. : Dans les tonnages traités dans les centres de tri, c’est anecdotique : autour de 1 % des causes de refus correspondent à des emballages souillés, mal vidés. Cependant, si le produit est gaspillé et jeté, c’est une double perte : le produit (90 % de l’impact), et aussi des emballages qui ne seront pas recyclés, donc de la matière perdue. Si un consommateur commet l’erreur de jeter son produit encore emballé dans le bac de tri, ce produit va en effet perturber davantage le tri ; toute erreur de tri fait baisser les performances et croître les coûts.

Comment séparer, des déchets d’emballages, les déchets organiques pour en faire des matières secondaires ?

E. B. P. : Chaque année, un Français produit 7 kilos de déchets alimentaires encore emballés. Quand les produits sont jetés dans leur emballage, ils ne peuvent pas être séparés en centre de tri, car le dispositif industriel actuel a été dimensionné pour traiter des emballages vides. Quand les emballages sont dans les ordures ménagères, ils sont trop souillés pour être récupérés. Il existe une dizaine d’expériences de tri sur ordures brutes en France, cela reste très limité et peu concluant. Les emballages peuvent au mieux être valorisés énergétiquement, mais ils ne peuvent pas servir de matière première secondaire. Ces expériences aboutissent au mieux à une réutilisation de la matière organique en compost.

Afin de passer de l’économie des déchets à l’économie des « matières premières secondaires », quelles seraient les voies les plus efficaces vers une amélioration du taux de recyclage des déchets d’emballages, entre autres déchets ménagers ?

E. B. P. : Nous recyclons aujourd’hui 67 % de nos emballages ménagers. C’est bien, mais nous pouvons encore progresser, notamment pour atteindre l’objectif de 75 % fixé par le Grenelle de l’environnement. Quels leviers d’actions pour faire progresser ce taux de recyclage ? Il faut tout d’abord améliorer le dispositif aval avec les collectivités locales, aller vers plus de performance dans les territoires et faire baisser les coûts. Il faut pour cela se concentrer sur les zones prioritaires que sont les milieux urbains denses, dans lesquels les performances de tri sont bien moins élevées que pour les zones rurales.

A titre d’exemple, on trie 80 % d’emballages en plus à la campagne qu’à la ville (54 kg par habitant vs. 30 kg, source Eco-Emballages). Il faut aussi poursuivre la sensibilisation des consommateurs : au plan national comme au niveau local, la communication d’Eco-Emballages doit être amplifiée et relayée par les marques, dont c’est l’intérêt. Notamment en communiquant les bonnes consignes de tri sur les emballages, par exemple avec l’information tri Point vert. Cela réduit les erreurs de tri et donc les coûts pour les entreprises contributrices du Point vert. Fin 2013, plus de douze milliards d’emballages sont porteurs de consignes de tri et cela progresse rapidement (environ 15 % des emballages porteurs, source Eco-Emballages).

Enfin, un autre levier, futur, serait de mettre tous les emballages plastiques dans le bac de tri. Aujourd’hui, seuls les bouteilles et flacons doivent être triés, ce qui nous prive d’une bonne moitié du gisement des emballages plastiques (pots de yaourts, barquettes, films...). Eco-Emballages arrive au terme d’une expérimentation d’envergure avec près de trois millions d’habitants. Nous définissons les conditions indispensables à l’extension du tri à tous les emballages en plastique, avec des coûts supportables pour les consommateurs et les entreprises. A terme, cela nous permettrait de gagner plusieurs points de recyclage supplémentaires.

1. Ministère de l’Ecologie, Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, juin 2013.

Propos reccueillis par J.W.-A.

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