Bulletins de l'Ilec

Une affaire d’âge mais l’affaire de tous - Numéro 440

01/12/2013

La lutte contre le gaspillage n’est pas soluble dans l’injonction aveugle. L’accompagnement et l’éducation doivent primer, et viser les plus concernés. Entretien avec Elizabeth Pastore-Reiss, directrice d’Ethicity, conseil en développement et marketing durable

Chez les consommateurs, qui gaspille le plus et où ? Les plus gros consommateurs sont-ils les plus gaspilleurs ?

Elizabeth Pastore-Reiss : Les plus gros consommateurs ne sont pas obligatoirement les plus gaspilleurs. D’après notre étude2, ceux qui jettent le plus sont les jeunes : ils représentent 19,5 % de ceux qui jettent « systématiquement ou régulièrement » leurs fruits et légumes (indice 174), 18,9 % de ceux qui jettent systématiquement ou régulièrement les produits périmés, (indice 169). Les 25-34 ans représentent 17,6 % de ceux qui jettent systématiquement ou régulièrement leurs fruits et légumes (indice 142), 15,7 % de ceux qui jettent systématiquement ou régulièrement les produits périmés (indice 126). Les étudiants seraient aussi un peu plus gaspilleurs : 15,7 % de ceux qui jettent systématiquement ou régulièrement leurs fruits et légumes (indice 174) et 15,7 % de ceux qui jettent systématiquement ou régulièrement leurs produits périmés. Le comportement est aussi plus gaspilleur chez les retraités des catégories socioprofessionnelles supérieures : 16,9 % de ceux qui jettent systématiquement ou régulièrement leurs produits périmés (indice 112). Et aussi parmi les personnes les plus aisées : 21,5 % de ceux qui jettent systématiquement ou régulièrement leurs produits périmés (indice 134).

D’après vos études, ce sont les plus pauvres qui jettent le plus ? Comment l’expliquer ?

E. P.-R.: Dans les deux pratiques de jeter les fruits et légumes qui n’ont plus l’air suffisamment frais et de jeter les produits qui ont dépassé la date de péremption, la population française à faible revenu est sur-représentée, selon ses propres déclarations. « Je jette les fruits et légumes qui n’ont plus l’air suffisamment frais » : 1, 9 % des Français disent jeter systématiquement, et 4,3 % régulièrement (total 6,2 % ). Chez les Français à faibles revenus : systématiquement 4 % d’entre eux, et régulièrement 3 % (total 7 % )… « Je jette les produits qui ont dépassé la date de péremption » : 3,2 % des Français disent jeter systématiquement, et 6,2 % le faire régulièrement (total 9,4 %). Chez les Français à faibles revenus : systématiquement 5,7 % et régulièrement 4,7 % (total 10,4 % ). Comme pour les jeunes, l’éducation à la consommation responsable et à l’économie ménagère est un enjeu primordial. Ces consommateurs gèrent moins bien leur budget et se nourrissent moins bien. Comme le souligne Martin Hirsch dans son dernier livre, dont c’est le titre, « cela devient cher d’être pauvre »3.

Quels sont les autres critères différenciant les comportements (génération, habitat, sexe…) ?

E. P.-R. : L’âge est un critère : 20,3 % des 15-24 ans disent ne pas jeter alors qu’ils sont 42 % chez les 65 ans et plus, mais les autres critères ne sont pas différenciants.

La mauvaise gestion du réfrigérateur est-elle la principale cause du gaspillage des consommateurs ?

E. P.-R. : La principale, non, mais une de causes, oui. Les réfrigérateurs « intelligents » qui préviennent du niveau des stocks et les nouvelles applications permettront de gérer les dates de péremption et de prévenir les consommateurs. Méfions-nous de la taille gigantesque des frigos pas plus chers que les petits et qui poussent à la constitution de stocks !

Le discours et le ton publicitaire ne poussent-ils pas à surconsommer donc à gaspiller ?

E. P.-R. : Il serait pertinent de passer du discours du « plus » et du « beaucoup pour le même prix » apparaissant souvent comme malin, au « mieux » et au « juste achat » en fonction des besoins. Les promotions et les animations du style « lots de trois pour le prix de deux » ou « grands formats » sont pernicieuses. Il est urgent d’imaginer de nouvelles formes de promotion, surtout pour les produits frais, comme le « buy one, get one free » en Angleterre : pour récupérer son produit, le client revient la semaine suivante avec son ticket, cela permet de mieux gérer la consommation, au regard de la date limite de consommation du produit. C’est actuellement en test chez Auchan. Ajoutons le site Zéro Gâchis qui indique les grandes surfaces proposant des réductions sur les produits bientôt périmés. Certains hypermarchés en font des rayons spéciaux.

Peut-on tenir le même discours antigaspi à tous les consommateurs ?

E. P.-R. : Ce n’est pas qu’une question de discours, mais d’accompagnement, comme l’attestent beaucoup d’initiatives locales. Il ne faut surtout pas ajouter de nouvelles injonctions du type « attention, ne pas faire cela ! », mais plutôt aider à prendre conscience, revaloriser le produit, éduquer à cuisiner, notamment les restes. De 2012 à 2013, à la question sur la pratique « Je jette régulièrement les fruits et légumes qui n’ont plus l’air suffisamment frais », la part des Français répondant « oui » a diminué, de 10,7 à 4,3 %, soit une baisse de 60 % . Baisse également significative, de 41%, à la question « Je jette les produits qui ont dépassé la date de péremption » : le oui est descendu de 10, 6 à 6,2 % .

1. www.greenflex.com/fr/qui-sommes-nous/notre-equipe.html et www.blog-ethicity.net.
2. Les Français à faibles revenus et la consommation durable, octobre 2012, www.blog-ethicity.net/share/File/BOP%20-%20Youphil%202012/etude-consommation-durable-et-precarite.pdf.
3. Stock, octobre 2013.

Propos recueillis par J. W.-A.

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