Bulletins de l'Ilec

Humaniser l’expérience d’achat - Numéro 443

01/06/2014

Les seniors ont pour leur approvisionnement quotidien des attentes auxquelles ne répondent pas toujours les évolutions du commerce. Entretien avec Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce, fondateur de Frank Rosenthal Conseils

Quels sont les enjeux du vieillissement de la population pour la distribution ?

Frank Rosenthal : Plus d’un tiers de la population française a dépassé les 50 ans et ils pourraient bien représenter la moitié de la population française en 2030. Pour la distribution, les enjeux sont énormes. Ce qui paraît prépondérant, ce n’est pas les clichés sur la largeur des allées ou des bancs au long du parcours client. C’est la relation client et le besoin d’humanisation en magasin. Avoir du personnel visible et disponible est un excellent moyen de traiter la cible senior, même s’l ne leur est pas spécialement affecté. Cependant, la distribution alimentaire n’en fait pas une priorité. À sa décharge il faut dire qu’elle croule déjà sous les contraintes légales, juridiques et fiscales, et que la bataille sur les prix est intensive et les marges tendues.

La distribution spécialisée avance plus vite sur le sujet, notamment sur les services. Ce qui émerge pour le moment, ce sont des projets locaux, par exemple U Express à Bagnoles-de-l’Orne, en Basse-Normandie, qui propose une épicerie à l’intérieur même d’une maison de retraite, avec des produits de première nécessité et des créneaux d’ouverture certes limités. Voilà un distributeur qui s’adapte ; il va jusqu’à proposer aux résidents de tenir l’épicerie. Je crois plus à ces projets ancrés dans le tissu local qu’à des rayons spécifiques. Imaginez des supermarchés avec des rayons « made in France », « bio » « seniors »… Cela paraît peu réaliste. Un magasin doit être homogène et pas composé d’une multitude de ghettos. La lisibilité de l’offre et le parcours client sont deux attentes majeures de tous.

Le vieillissement des consommateurs affecte-t-il beaucoup l’assortiment et l’affectation du linéaire ?

F. R : Les industriels de l’agroalimentaire font des efforts sur l’emballage, notamment la lisibilité des arguments santé, non spécifiques aux seniors mais qui les touchent prioritairement. Une partie de l’offre s’oriente sur de petits conditionnements qui correspondent bien aux foyers avec une ou deux personnes, des seniors mais pas seulement, car d’une manière générale cela tient compte des évolutions socio-démographiques et de la part croissante des foyers monoparentaux. Pour autant, l’assortiment et les linéaires évoluent plus en fonction des marques, des MDD et de l’innovation, de l’impact prix en général, qu’en fonction du vieillissement de la population, critère qui arrive en fin de liste. Les linéaires sont peu influencés par ce critère et en décalage avec le poids grandissant des seniors dans la consommation. Un des moyens les plus simples de bien s’adresser à eux est de proposer des promotions à des horaires spécifiques. Les drugstores américains Walgreens ou Rite Aid ont dans cet esprit instauré des rendez-vous récurrents. Rite Aid a même un programme de fidélité qui s’adresse aux plus de 65 ans.

La proportion des seniors a-t-elle un effet sur le parc de magasins et la distribution des PGC ?

F. R. : Sans doute en zone urbaine, avec le développement de la proximité. Mais cela ne répond pas aux seuls seniors, mais à tous les habitants du centre-ville. Sur la consommation, il y a des effets régionaux et des indices qui varient fortement d’une région à l’autre, mais le climat, la culture et les habitudes, le niveau de revenus, sont au moins aussi importants que les tranches d’âges sous cet aspect.

Le poids combiné du vieillissement, du commerce en ligne et de l’attachement des seniors aux marques doit-il incliner celles-ci à développer des plateformes commerciales propres ?

F. R. : Plus une marque est forte, plus elle s’adresse à tous, tout le temps sur tous les canaux. Les marques ne doivent ni abandonner ou oublier cette cible des seniors, ni créer des sites spécifiques. Les seniors sont sensibles à une expérience d’achat simple et positive, mais ils ne sont pas les seuls !

Les « silvers surfers », une cible en or à privilégier par le e-commerce ?

F. R. : D’une manière générale, c’est une cible en or pour tout le commerce. Le e-commerce dispose néanmoins d’atouts spécifiques : nul besoin de se déplacer, livraison à domicile, quantité d’informations apportée à des consommateurs qui étudient encore plus les achats qu’ils projettent, ne serait-ce que parce qu’ils disposent du temps pour le faire !

Le e-commerce fait-il les efforts d’adaptation nécessaire à son développement auprès des seniors, pour demain viser jusqu’aux « seniors plus » aujourd’hui non connectés ? Ou mise-t-il surtout, à terme, sur un effet générationnel ?

F. R. : Les deux. L’attrait générationnel existe forcément, puisque dorénavant toutes les classes d’âges sont équipées d’Internet et que la croissance du e-commerce ne se fera pratiquement plus par le recrutement de nouveaux internautes. Toutefois, le e-commerce doit travailler à améliorer l’« expérience d’achat ». C’est ce que fait Amazon en donnant la plus grande traçabilité possible à la livraison. Savoir le créneau précis de livraison, c’est pour les actifs s’assurer de récupérer leurs produits ; pour les seniors, c’est avant tout pour se rassurer.

Nielsen parle de l’« attrait avéré du e-commerce alimentaire » auprès des seniors1(en reconnaissant une surpondération de cet attrait due au fait que son enquête a été menée en ligne) : la distribution croit-elle vraiment au e-commerce dans les PGC auprès des seniors ?

F. R. : La distribution croit au drive plus qu’au e-commerce. En quelques années, le drive a réussi une percée spectaculaire que le e-commerce n’a jamais réussi à faire en France dans l’alimentaire. La question revient donc à l’attractivité du drive auprès des seniors. Quand on sait que la première motivation de fréquentation d’un drive est le gain de temps, on peut avoir des doutes sur cet aspect pour eux. Ajoutons que les habitudes de fréquentation des magasins physiques sont solidement ancrées parmi ces générations. Enfin, l’humanisation que recherchent beaucoup de seniors ne passe pas par le drive.

1. Enquête mondiale sur la distribution, les industriels et les seniors, Nielsen, mars 2014 : http://qwt.co/gbc1ua.

Propos recueillis par J. W.-A.

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