Bulletins de l'Ilec

Design pour tous - Numéro 443

01/06/2014

Le conditionnement des produits doit satisfaire des attentes de bon sens, indépendantes de l’âge des consommateurs potentiels. Entretien avec Gérard Caron, fondateur de l’agence de design Carré noir

Quels sont les enjeux du vieillissement pour les industriels de PGC en termes de conditionnements (portions, poids, fermeture d’emballages…) ?

Gérard Caron : Cela dépend de la tranche d’âge. La catégorie des seniors regroupe aussi bien des personnes actives, dynamiques et bien portantes que d’autres, dépendantes, alitées. Les besoins et attentes divergent, aussi est-il difficile pour les industriels de PGC de répondre de manière globale à des enjeux bien différenciés. Dans le cas des seniors dynamiques, ceux-ci ne souhaitent pas être catalogués ainsi. Dans le cas des personnes en dépendance, la présence de produits grand public peut les indisposer, elles souhaitent des produits conçus intentionnellement pour leur état physique et psychologique.

Si l’on s’en tient à la question de l’ouverture, cela concerne aussi bien les plus jeunes que les seniors. Au Japon, pays touché par le vieillissement depuis plus de trente ans, la question ne se pose pas, car tous les produits, quelle que soit la cible, s’ouvrent facilement. C’est une affaire de bon sens : pourquoi s’interroger sur l’aptitude de certains à ouvrir une boîte quand cela concerne tout le monde ? Pour tous les consommateurs, quel que soit leur âge, un emballage doit s’ouvrir sans effort. Certains conditionnements ne sont pas performants non parce qu’ils ne répondent pas aux contraintes des vieux, mais simplement parce qu’ils ne sont pas conçus avec bon sens pour tous.

Les produits sont-ils essayés en situation d’usage par des consommateurs âgés ?

G. C. : Oui, bien sûr, comme l’attestent les panels consommateurs. Pour autant, les responsables marketing, dans les entreprises, sont jeunes ; donc ils ne perçoivent pas les attentes des seniors si celles-ci existent. À la différence de la vue et de l’ouïe, il est un sens qu’on ne peut corriger, c’est celui de la manipulation. Les seniors sont moins agiles, aussi les emballages devraient-ils être plus ergonomiques, et utiles ainsi à tous !

Design universel ou spécifique : quelle tendance domine ?

G. C : Universel, bien sûr ! Pourquoi créer deux conditionnements quand un seul suffit s’il est conçu avec pertinence ? Il faut choisir le plus petit commun dénominateur pour satisfaire le plus grand nombre. Si le produit peut se distinguer dans ses ingrédients, plus ou moins salé, plus ou moins protéiné, le packaging, lui, doit demeurer unique. Le design sera bien sûr spécifique si le produit est destinée à une population handicapée, car il ne peut pas être universel. Pour autant, il doit répondre à des règles, elles, universelles : bien s’ouvrir, bien se refermer, être esthétique, pratique, valoriser qui l’utilise… Labelliser les services « silver économie » semble une voie retenue par les pouvoirs publics.

Serait-ce pertinent pour les produits ?

G. C. : Non ! Il ne faut pas créer de ghettos. Il revient à chacun de se reconnaître dans les produits proposés. Quand un industriel propose un jambon avec moins 25 % de sel, il s’adresse notamment aux seniors, mais il n’indique pas la cible sur son emballage car ce produit peut également concerner la jeune femme qui fait attention à sa ligne. Idem pour la margarine qui accompagne le consommateur dans la baisse de son cholestérol. Sur le plan de l’image, une personne dite senior mais dynamique n’entend pas être cataloguée comme vieille. Elle souhaite avoir une image positive d’elle-même, et non celle donnée par une marque mettant en scène des femmes ridées. L’Oréal met-il en scène Jane Fonda à son lever ? Elle est montrée idéalement.

Les publicités consacrées aux ascenseurs d’escalier ou aux funérailles ne montrent jamais de vieux. S’il existe un langage pour les jeunes, il n’en existe pas pour les vieux. Seul univers qui peut être labellisé : celui de la médicalisation et de l’hospitalisation, dans lesquels les seniors souhaitent être pris en charge, ont besoin d’être rassurés. Dans la vie courante, on se prend en charge.

Une étude Nielsen1 fait état de l’insatisfaction des consommateurs seniors quant à la lisibilité des emballages. Peuvent-ils être plus lisibles ? Plus identifiables en magasin et chez soi ?

G. C : Ils n’ont qu’à chausser leurs lunettes ! Beaucoup oublient de les porter quand ils font leurs courses. Quand on veut vivre dans l’univers dit public, il faut savoir s’y adapter. Les industriels ne peuvent pas grossir les caractères, les contraintes législatives sont telles que la place sur l’emballage est de plus en plus limitée.

Le vieillissement des consommateurs freine-t-il l’« innovation produit » (comme un écho à la plus grande aversion au risque des seniors) ?

G. C. : Oui, car les seniors aiment ce qui les rassure, leur évoque un certain âge d’or. Cela ne favorise pas l’innovation, des produits ou des conditionnements. Les gens, de manière générale, n’aiment pas être bousculés. Pourtant, le Japon ne cesse d’innover dans tous les secteurs. L’automobile propose des petites voitures pour les jeunes ou pour les seniors. Les médicaments sont vendus non pas dans des boîtes ou coques souvent difficiles à ouvrir mais à l’unité, dans des petits sachets correspondant à la consommation réelle.

En France, après moult études marketing, Renault a lancé la Twingo à l’intention des jeunes. Ce sont les seniors qui en ont été les principaux acheteurs. La Fiat 500 est plébiscitée par les jeunes, qui pourtant n’ont pas connu le modèle qu’on surnommait le « pot de yaourt ». Le vieillissement peut jouer un rôle positif dans l’innovation, en apportant un peu plus de bon sens, de simplicité, moins de superficialité. Chez les seniors, l’innovation doit correspondre à une véritable attente et ne pas s’apparenter à du gadget. Pour autant, les seniors sont malheureusement ignorés dans les réflexions marketing des entreprises. La sagesse des seniors n’est-elle pas de se poser les vraies questions ?

1. Enquête mondiale sur la distribution, les industriels et les seniors, Nielsen, mars 2014 : http://qwt.co/gbc1ua.

Propos recueillis par J. W.-A.

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