Bulletins de l'Ilec

Choix éclairé - Numéro 444

01/08/2014

Pour le mouvement consumériste européen, l’information ne peut manquer d’infléchir les pratiques des consommateurs. Au premier chef pour l’alimentation, où l’information nutritionnelle et son encadrement seraient à revoir. Entretien avec Monique Goyens, directrice générale du BEUC (Bureau européen des unions de consommateurs)

Y a-t-il partout dans l’UE chez les consommateurs une même soif d’information sur ce qu’ils consomment comme biens et services  ? Le marché européen est-il à cet égard unique  ?

Monique Goyens  : L’unité du marché européen est forte, car l’absence de barrières douanières permet une libre circulation des marchandises. Que vous habitiez en France, en Espagne ou au Danemark, vous pouvez acheter le même ordinateur, par exemple. Cela ne veut pas dire qu’en matière d’information le degré de curiosité est le même partout. Pour l’alimentation, chaque pays a ses traditions, sa relation à ce qu’il mange. On observe cependant une tendance générale à travers l’UE  : le consommateur a de plus en plus envie de savoir d’où viennent ses aliments, comment ils ont été produits et ce qu’ils contiennent. Les récents scandales alimentaires, cas de fraude ou de manquements à la sécurité sanitaire, y sont en partie pour quelque chose.

Quels sont les priorités et les travaux en cours du BEUC dans le domaine de l’information des consommateurs  ?

M. G. : Il y a des efforts à faire dans le domaine des logos, auxquels nous sommes confrontés dès que nous achetons un produit dans l’UE. Certains nous mettent en garde contre des risques pour notre santé, d’autres sont à visée purement informative. Il est parfois difficile de s’y retrouver. Beaucoup de personnes confondent le Point Vert et le logo de recyclage par exemple. Nous avons publié récemment une brochure, en partenariat avec l’Association des industries de marque (AIM), expliquant comment rendre ces logos plus compréhensibles1. Nous espérons que les responsables politiques entendront notre appel et aideront les consommateurs à s’y retrouver dans la jungle des logos sur le marché européen.

Dans le domaine alimentaire, nous allons mener campagne pour un étiquetage obligatoire de l’origine de la viande utilisée dans les produits transformés et les plats préparés. La mention de l’origine va devenir obligatoire en avril 2015 sur les viandes fraîches de porc, de volaille, de mouton et de chèvre comme elle l’est déjà pour le bœuf, mais rien n’est prévu quand ces viandes sont utilisées comme ingrédients. Or la confiance des consommateurs est au plus bas depuis les scandales qui ont secoué l’industrie agroalimentaire. Pour rétablir cette confiance, il est nécessaire de rendre la chaîne alimentaire plus transparente, en indiquant les pays de naissance, d’élevage et d’abattage de l’animal dont la viande se trouve, par exemple, dans une sauce bolognaise. Avant même le scandale de la viande de cheval, 90 % des consommateurs européens souhaitaient connaître l’origine de leur viande, d’après une enquête du BEUC. C’est pourquoi nous tentons de convaincre les décideurs européens d’obliger l’industrie à étiqueter l’origine de la viande sur les plats préparés. Mais face au lobby industriel, nous sommes David contre Goliath. L’industrie perçoit cette information comme une contrainte, alors que pour nous tout le monde a quelque chose à y gagner.

Qu’attendez-vous de la mise en œuvre à la fin de l’année du règlement Inco (UE 1169/2011), qui vise à « améliorer l’information consommateur et protéger sa santé » en mettant à sa disposition les « caractéristiques essentielles de la denrée » ?

M. G. : Outre l’indication de l’origine, ce règlement devrait permettre aux consommateurs d’en savoir plus sur ce que contiennent leurs aliments. Ils trouveront sur tous les produits préemballés les teneurs en calories, graisses, sucres, sel, etc. Cette information nutritionnelle devra être exprimée pour 100 grammes. Il sera donc facile de comparer deux paquets de chips, par exemple, alors que si vous vous fondez sur les portions indiquées par le fabricant, qui peuvent varier de 30 à 45 grammes d’un paquet à l’autre, la comparaison n’est pas évidente. Pouvoir comparer deux produits de même type est primordial pour un choix nutritionnel éclairé. L’Europe connaît un taux d’obésité record, avec un enfant sur trois en surpoids ou obèse. Cela dit, fournir l’information est une chose, la rendre accessible et facile à comprendre en est une autre. C’est pourquoi nous appelons de nos vœux la présentation de l’information nutritionnelle sous la forme de feux tricolores, comme on en voit déjà dans les linéaires britanniques. Cette signalisation se comprend en un clin d’œil et permet par exemple aux consommateurs d’évaluer si tel ou tel paquet de céréales a une teneur faible, modérée ou élevée en sucres, et de l’acheter en connaissance de cause.

La mise à disposition systématique, en ligne, de cette information alimentaire (article 14 du règlement) va-t-elle simplifier l’information des consommateurs, même lorsqu’ils n’achètent pas en ligne  ?

M. G. : Ces nouvelles règles vont aider le consommateur à faire un choix éclairé, qu’il se trouve au supermarché ou derrière son écran. Il est indispensable qu’il dispose de toutes les informations essentielles concernant un produit alimentaire au moment de l’achat, qu’il ait lieu en magasin ou en ligne. Il s’agit évidemment du prix, mais aussi de la liste des ingrédients, de la déclaration nutritionnelle ou des instructions d’emploi. Mais la mise à disposition de l’information sur Internet et les smartphones ne doit pas remplacer sa présence sur les emballages.

Le fait que selon le règlement cette information soit de la responsabilité de « l’exploitant » qui commercialise vous paraît-il garantir assez qu’elle sera tenue pour suffisante  ?

M. G. : Il est normal que la responsabilité de fournir une information honnête et complète incombe aux industriels et aux distributeurs. Cela n’exclut pas le besoin de contrôles par les autorités, comme de récents cas de fraude l’ont montré. Il est préoccupant que, dans le contexte de crise économique actuel, on assiste à un désengagement des autorités se traduisant par des coupes dans les effectifs des services sanitaires. Au Royaume-Uni, les contrôles portant sur l’exactitude des étiquettes alimentaires ont diminué de 16,2 % entre 2012 et 2013.

La multiplication des canaux permet-elle une répartition opportune de l’information, ou est-ce une complication qui égare les consommateurs  ?

M. G. : Selon nous, la place de prédilection de l’information essentielle au consommateur pour un choix éclairé doit demeurer l’emballage. Les autres canaux (sites internet, smartphones, réseaux sociaux, etc.) peuvent jouer un rôle complémentaire, par exemple pour expliquer en détail l’histoire d’un produit ou son mode de production. Mais surinformer peut parfois désinformer. Le marché unique offre aux consommateurs une myriade de choix, mais il regorge de produits alléguant des mérites exagérés, voire faux. Dans le secteur alimentaire, je pense aux allégations sanitaires comme « réduit le cholestérol » ou « améliore la flore intestinale », pour n’en citer que deux. Ces allégations, sur des produits gras ou sucrés, peuvent masquer la véritable qualité nutritive d’un produit et sont plutôt un moyen de gonfler les ventes. Il est temps que les fabricants fassent passer les consommateurs avant leur tiroir-caisse et affichent en priorité les informations utiles.

1. Les « principes communs pour l’information des consommateurs », qui inspirent ce document, ont été adoptés par l’AIM et le BEUC en juin 2010 – disponibles en traduction française sur www.ilec.asso.fr.

Propos recueillis par J. W.-A.

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