Bulletins de l'Ilec

Risque d’image, risque majeur - Numéro 445

01/11/2014

Structurer, coordonner, responsabiliser, dans l’entreprise mais aussi en dehors, pour en protéger le cœur : le prix est parfo Entretien avec Blandine Cordier-Palasse, vice-présidente du Cercle de la compliance, associée du Cabinet BCP Executive Search

Lorsqu’on parle programmes de conformité, faut-il penser d’abord conformité aux lois ? Aux normes sociales ? Aux valeurs que s’est données l’entreprise ?

Blandine Cordier-Palasse : Les trois, bien sûr. Nous préférons au mot « conformité » celui de « compliance » car la conformité porte sur le respect des lois, de la réglementation, des normes nationales, internationales, professionnelles. La compliance couvre un champ plus large dans le respect des valeurs, l’intégrité et un esprit éthique insufflés par les dirigeants. Avec une acception très opérationnelle et transversale, elle permet d’assurer l’efficience des processus de l’organisation, une meilleure protection des investissements. Responsabiliser les hommes, donner du sens à leur action, les informer des risques auxquels ils sont exposés dans leurs fonctions leur permet de comprendre pourquoi et comment agir, plutôt que d’empiler des processus qui, non assimilés, peuvent devenir contre-productifs. La conformité de l’entreprise en est le résultat.

Outre la concurrence, quels sont en pratique les domaines d’élection significatifs des programmes de conformité, en France aujourd’hui ?

B. C. P. : Le programme doit être corrélé et adapté au management des risques en fonction des paramètres de l’entreprise : ses enjeux, ses marchés, sa culture, son historique et les risques. Une étude portant sur la cartographie des risques récemment réalisée par le Cercle Montesquieu montre que le périmètre est très vaste et concerne aussi bien la lutte contre la corruption, les conflits d’intérêts, la lutte contre la fraude, les actions antitrust, les procédures d’alerte, les délits d’initiés et les problèmes de confidentialité, les données privatives et la protection des données, la gouvernance, le whistleblowing ou alerte éthique, la RSE et le respect des droits de l’homme, la sécurité des personnes et des biens, la responsabilité des dirigeants, la protection de l’environnement, la protection de la clientèle et tout ce qui peut porter atteinte à l’image, à la réputation. Aujourd’hui, les entreprises sous-estiment l’importance de tous ces enjeux, considérant que ce sont des contraintes et de l’ordre du réglementaire. Or cela dépasse largement les seuls programmes de conformité.

Dans la grande consommation, quelle proportion d’entreprises a des programmes de conformité ?

B. C. P. : Il n’existe pas à ma connaissance d’étude sur ce sujet. L’Ilec serait légitime pour lancer une étude auprès de ses adhérents.

Quels critères influencent la propension à avoir des programmes de conformité (taille, CA, structure du capital…) ?

B. C. P. : Le critère premier est la responsabilité. Dès lors que les dirigeants prennent conscience que la compliance est un élément du management du risque global de l’entreprise, ils ne peuvent qu’être incités à la mettre en œuvre. Un programme pourra être décliné progressivement et prioritairement selon les problématiques essentielles auxquelles est exposé le groupe, que ce soit la prévention de la corruption ou l’antitrust. Un tel programme conduit l’entreprise et ses parties prenantes à mieux structurer l’ensemble de l’organisation, à donner du sens à l’action de tous, à les responsabiliser, et de façon générale à protéger les dirigeants et l’entreprise de la mise en jeu de leur responsabilité civile et pénale et du risque d’image et de réputation.

Que représentent ces programmes en termes de budget ?

B. C. P. : C’est variable. Certaines entreprises mettent en place des programmes lourds et coûteux. D’autres parviennent, avec un budget limité, à sensibiliser au mieux les acteurs de l’entreprise. Le montant du budget n’est pas nécessairement synonyme de qualité du programme. L’essentiel repose sur la sensibilisation de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, afin de modifier et de sécuriser les comportements en les responsabilisant dans leur action. Il s’agit non seulement de mettre en place les programmes de compliance, mais aussi de les faire vivre.

Le retour sur investissement de ces programmes est-il mesurable ? Doit-il l’être (incommensurabilité des crises qu’ils ont peut-être prévenues…) ?

B. C. P. : Oui, il est mesurable et pas seulement en chiffres. Il l’est aussi sur le plan de la qualité, de la responsabilisation, des comportements. La mesure est compliquée mais elle est possible. Quand on met en place un programme, on se rend vite compte des dérives, volontaires ou involontaires. Dans le domaine de la corruption, on peut réduire de manière drastique les commissions, en particulier commerciales, qui parfois sont très élevées. Cela permet de sécuriser les opérations, de lutter contre les rackets, et de limiter les montants des commissions.

De plus la non-compliance peut entraîner des sanctions judiciaires ou administratives, des pertes financières, une atteinte à l’image ou à la réputation – un des actifs immatériels les plus importants –, à la mise en cause de la responsabilité civile et pénale de l’entreprise et des dirigeants. Les amendes infligées par les autorités nationales et internationales ont un coût financier, direct et indirect, et des coûts extra-financiers.

En droit de la concurrence, les programmes de conformité ont pour « gendarme » l’Autorité de la concurrence. Et dans les autres domaines ?

B. C. P. : En ce qui concerne les données personnelles, c’est la Cnil qui intervient en tant que régulateur pour la France, et ses équivalents ailleurs en Europe. Mais il n’y a pas d’harmonisation entre la France et l’Europe. L’Autorité des marchés financiers joue le rôle de régulateur pour les conflits d’intérêts, les délits d’initiés et les questions de gouvernance, pour les groupes cotés. En ce qui concerne la corruption, il n’y a pas en France d’autorité comme il en existe aux États-Unis.

Comment conjuguer l’exigence d’une démarche de compliance partagée par tous avec la tendance à l’externalisation des tâches ?

B. C. P. : De plus en plus, les entreprises qui ont un programme de compliance demandent à leurs sous-traitants de s’engager également en la matière. Les programmes de conformité tendent-ils à se substituer à ce qui était du domaine des règlements intérieurs ? B. C. P. : Non, car c’est complémentaire. Le règlement intérieur, comme la charte éthique, est une des pièces du programme de compliance, plus large, qui, lui, concerne aussi bien l’externe que l’interne de l’entreprise.

La démarche de compliance comporte-t-elle un risque spécifique de bureaucratisation ?

B. C. P. : Oui, si elle consiste à mettre en place des procédures complexes de validation pour tous les types d’opérations. on, si elle s’entoure d’une sensibilisation importante des salariés et permet de structurer des comportements responsables. Trop de procédures tue la procédure. La contrainte non comprise freine l’adhésion.

La démarche de compliance est-elle plus ou moins aisée selon le type de gouvernance de l’entreprise, familiale ou non ?

B. C. P. : Oui et non. Oui, car les entreprises à gouvernance familiale peuvent plus facilement inculquer une démarche de responsabilité. Une entreprise familiale n’a pas les mêmes obligations sur le plan de la rentabilité à court terme que des fonds d’investissement. Pour autant, tout dépend des managers et du dirigeant, de leur exemplarité.

Les programmes de conformité visent-ils essentiellement à tarir le risque juridique, ou peuvent-ils être décrits comme des outils de la RSE ? La gestion du risque de réputation tend-elle à supplanter celle du risque juridique ?

B. C. P. : Ils ne tarissent pas que le risque juridique. Le risque d’image ou de réputation, le risque financier, ne sont pas des risques juridiques. La compliance dépasse le juridique. La gestion du risque d’image ou de réputation sous-tend tous les autres risques. Un problème de compliance entraîne un risque d’image et de réputation qui peut compromettre la valeur, voire la pérennité de l’entreprise.

L’exigence de compliance peut-elle être un frein à la croissance de jeunes entreprises ?

B. C. P. : Non, au contraire. C’est un atout pour elles. La Banque mondiale refuse d’accorder des prêts aux entreprises qui n’ont pas de programmes de compliance. C’est un atout vis-à-vis des concurrents, car l’entreprise garantit sa sécurité et sa pérennité. Il faut toutefois être réaliste. La compliance, dans ce cas-là, sera surtout un état d’esprit, et l’exemplarité des dirigeants sera fondamentale pour inculquer cet esprit d’éthique et de respect des valeurs fondamentales auprès du management et des salariés. La sensibilisation ne sera pas le fait de budgets importants mais d’un leitmotiv du management. La compliance n’est pas une option.

De quels types de critiques la démarche de compliance fait-elle l’objet ? Et de qui ?

B. C. P. : Certaines entreprises considèrent la compliance comme une contrainte les empêchant de faire du business avec une vision de court terme. N’ayant pas conscience des risques associés à la non-compliance, elles peuvent être tentées dans un premier temps de résister à la mise en place de tels programmes. Toutefois, l’objectif de performance et de pérennité de l’entreprise peut transformer cette résistance en un atout et une opportunité. Avoir un compliance officer très opérationnel et très business partner permettra de mettre en place un programme efficace et d’accompagner ce changement de culture d’entreprise.

Propos recueillis par J. W.-A.

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