Bulletins de l'Ilec

Profession reporter (de conformité) - Numéro 445

01/11/2014

Bagage un peu encombrant pour un créateur d’entreprise, le contrôle de conformité concerne plutôt le perfectionnement d’organisations grandes et matures. Selon une dynamique de professionnalisation transverse, mais aussi de fonction-nalité non exempte de risque bureaucratique. Entretien avec Christophe Roquilly, professeur et doyen du corps professoral et de la recherche à l’Edhec Business School

Les programmes de compliance appellent-ils des compétences particulières, de nouveaux métiers, des formations ad hoc ?

Christophe Roquilly : La conception et le développement d’un dispositif de compliance au sein de l’entreprise sont nécessairement un projet collectif, qui exige une approche en mode collaboratif entre différentes fonctions. C’est une erreur de penser qu’un tel projet doit être confié à une équipe restreinte de spécialistes. Il nécessite des compétences multiples : juridiques, managériales, en communication et financières.

Pour autant, de nombreuses entreprises ont fait le choix – à juste titre – de confier ce pilotage à une fonction spéciale, chargée des procédés et garantes de l’efficacité du dispositif. Les métiers de la compliance se sont fortement développés dans les secteurs de la banque et de l’assurance, mais d’autres industries sont concernées. Il y a de vraies perspectives de carrière, et la fonction est tellement transversale que l’on peut y accéder en ayant débuté dans une autre fonction, puis en sortir pour partir vers une autre.

Tout compliance officer doit suivre des séminaires spécifiques, tant sur la substance de la conformité que sur son management, mais je doute qu’une formation longue spécialisée, de type master, soit appropriée. Il faut avant tout une excellente culture générale de l’entreprise.

Y a-t-il un effet générationnel dans la diffusion de la « culture compliance » ?

C. R. : C’est possible. La génération « globale » qui succède à la génération Y est selon moi plus attentive aux questions éthiques, demande plus de transparence, et a été bercée ar un certain nombre de scandales impliquant des entreprises (fraude, corruption, etc.). C’est aussi une génération qui est plus ouverte au travail collaboratif.

Les programmes de conformité sont-ils essentiellement des outils de gestion des risques, ou peuvent-ils être décrits comme des outils de la RSE ?

C. R. : Les deux, et de manière chronologique. Les dispositifs de compliance sont souvent utilisés, dans un premier temps, comme un outil de management et de réduction des risques, et ils doivent être articulés avec l’Enterprise Risk Management (ERM). Veiller à la conformité, c’est réduire les risques juridiques, financiers et réputationnels. Dans un second temps, l’entreprise doit aller au-delà, et se servir de sa gouvernance et de ses dispositifs de compliance comme d’un levier de durabilité, lui permettant d’aligner ses actions avec sa stratégie et ses valeurs. Par exemple, en matière de lutte anticorruption, l’objectif de compliance pousse à innover : afin de sortir, en tout cas dans certains pays, d’un jeu dont l’entreprise est nécessairement perdante à long terme.

Y a t-il un risque de dissuasion du goût du risque entrepreneurial au nom de la compliance ?

C. R. : Oui, si la compliance est appréhendée de manière bureaucratique et sans pédagogie. Elle peut alors être fortement inhibitrice. En revanche, si elle est intégrée à la vision d’un courant d’affaires qui permet de créer de la valeur tout en étant en phase avec des valeurs éthiques, elle peut s’avérer porteuse. Elle permet de mobiliser les équipes, de fixer des objectifs en termes à la fois de profitabilité et de valeur sociale. Mais, là encore, il est nécessaire de faire de la pédagogie auprès des entrepreneurs.

Est-ce qu’on peut attendre d’un porteur de projet ou créateur d’entreprise qu’il compte la compliance parmi ses priorités ?

C. R. : C’est vraiment une question de culture. S’il s’agit d’un porteur de projet, dans une logique intrapreuneuriale, dans une entreprise ayant développé une culture de la compliance, la réponse sera, je pense, affirmative. En revanche, un créateur d’entreprise est confronté à la nécessité immédiate de développer son activité et ses clients, souvent avec des moyens humains très limités. La compliance est en général loin de ses préoccupations immédiates, voire extérieure à son champ de vision.

Les programmes de conformité seraient-ils un symptôme d’une aversion au risque allant au-delà du monde de l’entreprise ? Et à cet égard l’esprit d’entreprise est-il plus valorisé en droit anglo-saxon, bien qu’il favorise la prévention, qu’en droit civil européen plutôt axé sur la répression ?

C. R. : Associer « compliance » et « symptôme » me gêne. La compliance ne doit pas être perçue comme le signe d’une maladie, mais comme la volonté d’avoir des entreprises qui ne détruisent de la valeur ni pour leurs actionnaires (ou associés), ni pour les parties prenantes, qu’il s’agisse des salariés, des clients, des fournisseurs, des partenaires, ou de la société en général. Je ne pense pas qu’il y ait une aversion grandissante pour le risque, bien au contraire, et l’actualité nous le démontre. Mais prendre le risque d’innover, d’investir, de porter des projets, ne signifie pas que l’on doit faire n’importe quoi, sans aucune valeur ni respect pour des normes saines de vie en commun.

Se soucier de la compliance, c’est être un acteur responsable de l’économie. Quant au fait que le droit « anglo-saxon » privilégie la prévention, ce n’est pas totalement exact. Il suffit de comparer le « comply or explain » en vigueur en Europe et le mode plus dur qui prévaut aux États-Unis.

L’exigence de programmes de conformité est-elle surtout le fait d’entreprises matures ou plus exposées aux risques de réputation ?

C. R. : Les entreprises matures sont plus sensibles et équipées en la matière, et il peut y avoir plusieurs raisons à cela. D’une part parce qu’elles ont vécu certaines crises ou ont été sanctionnées dans le passé, ce qui les a placées dans une certaine courbe d’apprentissage. On apprend plus de ses propres erreurs que de celles des autres. D’autre part, si elles sont cotées, qui plus est dans certains pays, elles ont certaines obligations en matière de contrôle des risques. Les entreprises ayant une forte présence internationale ont également des obligations plus prononcées dans le domaine de la lutte anticorruption. Enfin, la valeur réputationnelle est effectivement une donnée clé. Mais les entreprises de taille moins importante en subissent le contrecoup, dans la mesure où, si elles sont partenaires ou fournisseurs d’une grande entreprise, celle-ci va leur imposer ses propres exigences en matière de compliance, afin d’éviter le risque d’un effet domino.

Les écoles de commerce forment-elles des déontologues d’entreprise ?

C. R. : On ne peut pas former à proprement parler des « déontologues d’entreprise », des Heads of Compliance ou des « directeurs de l’éthique » en formation première. Comme je l’ai dit, ces fonctions exigent un certain niveau d’expérience, de bien connaître l’activité et d’avoir été confronté à certaines situations. En revanche, les écoles de commerce ou de management, par la formation pluridisciplinaire qu’elles proposent, les stages que font les étudiants, et leur proximité avec les entreprises, doivent apporter aux étudiants toutes les bases leur permettant d’être par la suite des acteurs impliqués et pertinents dans les dispositifs de conformité. C’est encore plus vrai si elles délivrent aussi une formation juridique et éthique solide. C’est le cas à l’Edhec.

Propos recueillis par J. W.-A.

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