Bulletins de l'Ilec

Un “droit au discernement” menacé par la guerre des prix - Numéro 446

01/02/2015

Des négociations auprès des grands clients qui ne s’éternisent pas et des accords plus pérennes, évolutifs et collaboratifs : les PME de la Feef se félicitent d’avoir souvent les premières, et rêvent des seconds. Mais la concentration du commerce est porteuse de conflictualité. Entretien avec Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et des entrepreneurs de France (Feef)

Quelles sont les sources de différends ou litiges les plus fréquentes entre les fournisseurs que vous représentez et leurs clients distributeurs ?

Dominique Amirault : D’une façon générale, la Feef entend privilégier le dialogue, la concertation, car elle part du principe que les gens sont faits pour s’entendre. Notre démarche, collaborative, participe de la mentalité anglo-saxonne. On ne peut pas et on ne doit pas se fâcher avec un client. Pour autant, les axes d’amélioration que nous souhaitons parcourir ; ils portent en premier lieu sur la prise en compte de la volatilité des matières premières, puis, et cela peut en découler, sur l’augmentation des tarifs. Troisième point : les appels d’offres intempestifs en MDD. Et enfin, les litiges dus à des déductions sur facture : nos entreprises sont confrontées un problème d’interlocuteurs et d’incertitude sur la nature des solutions ; à qui s’adresser pour les trouver ?

Les demandes de garantie de durée de vie des produits, leur DLC ou DDM (« date de durabilité minimale » ex-DLUO) sont-elles des sujets de friction majeurs ?

D. A. : C’est une exigence grandissante de la grande distribution d’avoir une durée de vie minimale mais, pour nous, cela ne constitue pas un problème majeur. L’évolution de la législation vous paraît-elle favoriser plus ou moins la conflictualité, ou celle-ci serait-elle, en France, plutôt culturelle et peu déterminée par des considérations de droit ? D. A. : Elle est d’origine culturelle, c’est une spécificité française, liée à notre tradition. La conflictualité progresse à mesure que la grande distribution se concentre. Elle se traduit, en particulier, par une remise en cause des accords annuels, alors qu’à l’étranger les acteurs travaillent dans le cadre d’une relation pérenne, avec pour objectif de développer ensemble leurs activités. De surcroît, l’intervention du législateur rend le formalisme compliqué, surtout pour les PME qui n’ont pas en interne tous les services dont disposent les grands groupes pour y répondre. C’est un handicap majeur.

Quels sont les domaines où la démarche collaborative est la plus féconde entre industrie et commerce ?

D. A. : En premier lieu les accords pluriannuels et les accords tripartites (producteur-transformateur-distributeur), qui réunissent tous les acteurs : tout le monde est dans le même bateau. Ensuite, une approche dans la durée. Troisième domaine : le codéveloppement de produits. Un quatrième est la mutualisation logistique. Et il y a la démarche catégorielle, elle aussi créatrice de valeur.

Les accords ou plans PME que la Feef a signés avec de grandes enseignes font-ils aussi fonction de codes de conduite, garantissant vos adhérents contre de mauvaises pratiques dans la relation industrie-commerce ?

D. A. : Attention, ces codes de conduite ne garantissent rien. Nos accords sont un cadre général qui permet de fixer les grandes lignes, et de bien afficher une volonté de travailler ensemble. Ces grands principes fondent une confiance réciproque, ils indiquent la voie à suivre. Il revient à chacun d’en tirer profit, dans le respect du cadre établi.

Les bonnes pratiques des enseignes sont-elles réservées aux PME ? Une différentiation positive de certains fournisseurs par une enseigne doit-elle se fonder sur la seule taille de ceux-ci, le fait qu’il s’agit de PME ?

D. A. : Non, mais il est vrai que les grands groupes sont mieux armés. Quand on est petit, mieux vaut agir dans un cadre collectif. Les PME ne se définissent pas contre les grands groupes, elles se définissent de façon positive par rapport à ce qu’elles sont, à leurs spécificités. Les règles que nous nous fixons ne sont pas dirigées contre les autres ; elles sont simplement l’expression d’un droit au discernement, compte tenu des spécificités des PME.

Signer des accords commerciaux « avant le 31 décembre de l’année précédente au lieu du 1er mars » est présenté dans les accords de la Feef avec la FCD ou avec des enseignes comme une pratique vertueuse. En termes de courant d’affaires, quel avantage réel cela représente-t-il pour les entreprises de la Feef ?

D. A. : La PME a une structure légère qui a besoin d’un costume sur mesure. L’avantage de signer plus tôt simplifie la vie et permet à la PME de se concentrer plus rapidement sur le développement du commerce avec le client.

Ces accords sont-ils de nature à compenser pour nombre de PME l’inconvénient de MDD ou de marques devenues moins attractives en prix par rapport aux grandes marques ?

D. A. : Le verbe « compenser » n’est pas juste. L’enjeu du commerce, c’est la croissance de la catégorie et la fidélisation du client. C’est ensuite la différenciation des enseignes par leur offre. Mais cela ne se compense pas.

Êtes-vous partisan de la formalisation du processus de négociation commerciale ?

D. A. : Si elle n’est pas compliquée, pourquoi pas. Il faut, bien sûr, un minimum de formalisation. Mais le formalisme actuel devient lourd et disqualifiant.

Et des conventions d’assortiment, des conventions de renégociation en cours d’exercice ?

D. A. : L’assortiment est le levier majeur du développement du chiffre d’affaires. Il faut donc, en conséquence, le formaliser pour clarifier les choses. La renégociation en cours d’année est nécessaire, en particulier pour les matières premières. Du formalisme, oui, de la souplesse, surtout !

Les différends récurrents dans les relations industrie-commerce pourraient-ils s’atténuer par le recours à une forme de médiation ?

D. A. : Toute forme de médiation est utile pour trouver des solutions. On peut distinguer deux types de médiateurs : interne et externe. Dans le cadre de nos accords, nous avons prévu la désignation d’un médiateur interne. Doit-on aller jusqu’au médiateur externe ? Oui, dans les cas extrêmes.

La politique d’assortiment des enseignes, combinant MDD et marques en vue du développement des catégories, fait-elle les frais de la guerre des prix ?

D. A. : Je dirais plutôt que la guerre des prix exacerbe la péréquation des marges et elle perturbe, pour le consommateur, le juste prix. La politique d’assortiment subit donc la guerre des prix, destructrice de valeur.

Les marques (hors MDD) des PME profitent-elles vraiment, en part de marché valeur, de la situation de pression sur les prix des marques de grands groupes qui prévaut depuis deux ans ?

D. A. : Oui, malgré tout. Les distributeurs ont besoin de se différencier par leur offre avec des marques challengers ou des marques de PME. D’après Nielsen, les ventes en grandes surfaces (hyper et supermarchés) des TPE, PME et ETI ont progressé en valeur de plus de 4 %, au lieu de 1 % pour les grands groupes, au cours de l’année 2014. Reste que l’écart entre les prix de vente consommateur des PME et des grandes marques s’est accru, ce qui pose problème.

Dans certains magasins les consommateurs peuvent voir des affichettes signalant un produit déréférencé pour cause de hausse tarifaire : n’est-ce pas à eux de juger si un article est trop cher ?

D. A. : Oui, il appartient aux consommateurs de juger, et non à l’enseigne. Quand on n’est plus capable de créer de la valeur, on recherche des boucs émissaires, ici le fournisseur.

La guerre des prix entre enseignes est-elle en soi porteuse de mauvaises pratiques ?

D. A. : La guerre des prix engendre un comportement court-termiste, elle est destructrice de valeur sur toute la chaîne et donc porteuse de mauvaises pratiques. La création de valeur se construit sur la longue durée.

Propos recueillis par J. W.-A.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.