Bulletins de l'Ilec

Examinateur en demande de pratiques - Numéro 446

01/02/2015

Sur le manquement au formalisme des échanges, le « brief de déflation » des enseignes à leurs fournisseurs, l’absence d’engagement ou de contrepartie, la Commission d’examen des pratiques commerciales a vocation à être saisie. Mais elle ne l’est pas assez, en dépit du large périmètre d’acteurs aptes à l’actionner. Entretien avec Razzy Hammadi, président de la CEPC

Quel effet attendre, sur le climat des affaires, du nouveau pouvoir d’injonction de l’administration en matière de pratiques commerciales ? Et de ses nouveaux pouvoirs de sanction et de leur éventuelle publicité ?

Razzy Hammadi : Le législateur a souhaité, dans le cadre de l’adoption de la loi relative à la consommation du 17 mars 2014, renforcer le rôle de l’administration en lui conférant de nouveaux pouvoirs d’injonction et de sanction en matière de pratiques commerciales. En pratique, les sanctions civiles et pénales, prévues notamment en matière de délais de paiement et de formalisme contractuel, ne permettaient pas d’aboutir à une sanction rapide et efficace des infractions ou manquements constatés.

Ces nouveaux pouvoirs devraient permettre de favoriser une meilleure application de la loi et de mettre rapidement un frein aux pratiques abusives découlant d’un rapport des forces déséquilibré entre les partenaires commerciaux. Je pense en particulier au non-respect des délais de paiement, considéré par tous comme un fléau pour la trésorerie des entreprises victimes de ces retards.

Les mauvaises pratiques deviennent-elles plus difficiles à détecter ?

R. H. : La DGCCRF dispose, selon moi, des moyens pour détecter les mauvaises pratiques. En revanche, le temps peut sembler parfois long entre cette détection et la sanction de la pratique, en particulier en cas d’assignation par le ministre de l’Économie. Mais les professionnels ne doivent pas hésiter non plus à signaler les pratiques qui leur semblent abusives. De ce point de vue, la CEPC a un rôle fort à jouer. Elle a ainsi mis en évidence1, à l’occasion de plusieurs demandes d’avis, des pratiques susceptibles d’être abusives, dans la réservation hôtelière, l’aéronautique ou l’automobile (avis 2013-03, non publié, sur deux clauses contractuelles dans l’aéronautique, entraînant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ; avis 2013-10 sur les relations commerciales des hôteliers avec les sites de réservation hôtelière ; avis 2014-06 relatif sur les conditions générales d’achat d’un constructeur français d’automobiles).

Ces saisines sont à encourager, car elles permettent, au-delà de l’analyse des clauses de contrats particuliers, de tracer le cadre des pratiques commerciales loyales et transparentes. Or fixer les bonnes pratiques est une mission fondamentale de la CEPC.

Faut-il voir une mauvaise pratique dans le « brief de déflation » signifié aux fournisseurs à l’abord des négociations annuelles, avant que la discussion ait pu s’engager sur la base des CGV ?

R. H. : La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a renforcé la place des conditions générales de vente des fournisseurs, en les qualifiant désormais de « socle unique » de la négociation commerciale. Toute pratique visant à contourner l’application de l’article L. 441-6 alinéa 7 du Code de commerce doit être sanctionnée.

La CEPC a eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur la place des conditions générales de vente dans les négociations (avis du 22 décembre 2008 et réponses de la DGCCRF ; avis n° 2009-06 relatif à la mise en œuvre de la loi de modernisation de l’économie)2. Elle a été saisie encore très récemment de cette question, et rendra prochainement deux avis sur le sujet. Enfin, en cas de saisine sur le « brief de déflation », elle se prononcerait naturellement sur cette pratique.

Et dans le recours systématique par les enseignes à des comparateurs de prix visant les seules grandes marques ?

R. H. : La CEPC n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur ce sujet, mais cette question pourrait faire l’objet d’une saisine ou d’une étude de sa part. À titre personnel, mon avis n’est pas tranché sur la question. Certes, les comparateurs de prix ont pour objet de dynamiser la concurrence et de bénéficier au consommateur, mais qu’en est-il de l’impartialité du comparateur, du respect de la législation en matière de pratiques commerciales trompeuses ?

Par ailleurs, j’entends ici ou là que ces comparateurs peuvent avoir pour effet d’attiser la guerre des prix, notamment sur les produits emblématiques des grandes marques. Au final, l’innovation et l’investissement des fabricants pourraient être compromis.

Mentionner une « dynamisation » ou un « développement des affaires », sans plus d’engagement, en contrepartie d’une remise s’apparente-t-il à une mauvaise pratique ?

R. H. : La CEPC a traité dans divers avis la question de l’exigence de contreparties à l’obtention de remises, sous peine de sanctions au titre des pratiques abusives prévues à l’article L. 442-6 du Code de commerce (déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, obtention d’un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu).

Dans l’avis sur les relations commerciales des hôteliers avec les sites de réservation, elle a ainsi considéré que « les contrats conclus entre les OTA [centrales de réservation en ligne] et les hôteliers comportent de nombreuses stipulations qui, soit envisagées isolément, soit par leur jeu cumulé, apparaissent contraires à l’article L. 442-6-I », n’étant « pas assorties d’un avantage de même nature ou d’une contrepartie suffisante ».

Dans l’avis relatif aux conditions d’achat d’un constructeur d’automobiles, elle a estimé que ces conditions contenaient « des stipulations conférant au constructeur un pouvoir unilatéral », en droit « pas nécessairement illicites », mais « susceptibles de révéler un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties lorsque le pouvoir unilatéral est réservé à un contractant et laissé à sa discrétion ». Et elle a noté que certaines stipulations paraissaient « à l’origine d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, parce qu’elles [imposaient] à un contractant une obligation défavorable, sans réciprocité, ni contrepartie véritable ou justification objective ».

Et refuser un formalisme des échanges permettant qu’ils soient vérifiables par les deux parties ?

R. H. : Cette question mérite d’être posée, et j’invite tout professionnel qui serait confronté à ce type de pratiques à saisir la Commission afin qu’elle se prononce.

La CEPC pourrait donc avoir à se prononcer bientôt sur certaines de ces pratiques ?

R. H. : Bien sûr, la CEPC a vocation à se prononcer sur ce type de pratiques. C’est le rôle qui lui a été assigné par le législateur dans la loi relative aux nouvelles régulations économiques de 2001, rôle confirmé et étendu par la suite. Sa saisine est particulièrement large : ministres, président de l’Autorité de la concurrence, toute personne morale (organisations professionnelles ou syndicales), associations de consommateurs agréées, chambres consulaires ou d’agriculture, médiateur des relations commerciales agricoles, ainsi que tout producteur, fournisseur ou revendeur s’estimant lésé par une pratique commerciale. Elle peut aussi être consultée par les juridictions et se saisir d’office.

J’attends un afflux de saisines non seulement des professionnels concernés par ces pratiques, mais également des membres de la CEPC (organisations professionnelles, ministre de l’Agriculture ou de l’Économie). Je suis d’ailleurs surpris de la faiblesse de ces dernières demandes, alors que de nombreuses questions se posent. La CEPC doit être davantage sollicitée, afin de pouvoir remplir pleinement sa mission pédagogique et définir, caractériser les bonnes pratiques commerciales.

Quel bilan faites-vous du rôle que joue aujourd’hui la CEPC ; est-il satisfaisant au regard des enjeux commerciaux du moment ?

R. H. : En tant qu’instrument de droit souple, la CEPC a montré toute son utilité. Ses avis sont repris par les professionnels, qu’ils soient distributeurs, grossistes ou fournisseurs, producteurs, ainsi que par les juridictions. Cependant, elle est encore trop méconnue, et son action reste insuffisante. Je compte sur la mobilisation de l’ensemble des membres pour faire connaître le rôle et l’activité de la commission, mais aussi pour proposer des saisines.

Je constate avec beaucoup de regret une frilosité des membres pour saisir la commission ou pour proposer des auto-saisines, alors qu’ils s’adressent à d’autres instances. Par ailleurs, j’ai sollicité le ministre de l’Économie pour qu’il procède à une modification de l’article D. 440-8 du Code de commerce, de façon à favoriser la publication des avis3.

Cette institution ne devrait-elle pas être, à vos yeux, relancée, réorganisée dans son mode de fonctionnement, pour être plus en phase avec la réalité des marchés ?

R. H. : Je crois que la CEPC bénéficie de tous les atouts pour répondre aux interrogations des professionnels sur les pratiques existantes sur les marchés. Elle dispose non seulement de la compétence économique et juridique de ses rapporteurs (professeurs d’université, avocats), mais aussi de l’avis éclairé de ses membres professionnels (distributeurs, grossistes et fournisseurs, fabricants). Enfin, elle est utilement éclairée par ses membres représentant les administrations (DGCCRF, DGPAAT, DGE). La DGCCRF peut ainsi faire remonter les pratiques qu’elle constate sur le terrain, grâce à ses équipes d’enquête.

Cette diversité de compétences, de connaissances, de sensibilités, lui permet d’éclairer utilement les professionnels sur le sens de la réglementation et de dégager in fine les bonnes pratiques commerciales. La commission a été conçue dès l’origine comme une instance de conciliation entre des partenaires commerciaux aux intérêts divergents. Pour renforcer cet esprit de discussion, d’ouverture et de conciliation, le choix a été fait en pratique d’adopter les avis à l’unanimité. Cette règle présente naturellement des contraintes, certains sujets étant loin de faire consensus entre les membres. Cependant, elle assure une diffusion optimale des avis auprès des adhérents des organisations professionnelles représentées au sein de la commission.

1. http://qwt.co/5vsmi2.
2. Ibidem.
3. Article D. 440-8, modifié par le décret n° 2015-91 du 28 janvier 2015, art. 1 : « La commission d’examen des pratiques commerciales peut décider de publier les avis qu’elle adopte » (http://qwt.co/k386th).

Propos receuillis par J. W.-A.

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