Bulletins de l'Ilec

Une question de professionnalisme - Numéro 447

30/03/2015

Alors que diverses contraintes tendent à contrarier chez les distributeurs la possibilité de se différencier par l’offre, la voie est étroite pour une négociation réussie avec leurs fournisseurs. Elle passe notamment par plus de précision sur les modalités de la mise en œuvre des accords, et d’engagement ultérieur dans le management par catégories. Entretien avec Yves Marin, senior manager au cabinet de conseil en management Kurt Salmon

Combien de fois depuis l’ordonnance de 1986 libérant les prix a-t-on entendu dire que la « hache de guerre » avait été « déterrée » puis « enterrée » ! La France est-elle un cas d’école sur le plan des relations industrie-commerce ?

Yves Marin : Les relations industrie-commerce sont traditionnellement conflictuelles en France, en grandes surfaces alimentaires. Pour autant, le dialogue entre les marques et Wal Mart ne l’est pas vraiment moins, ni celui entre les industriels de l’automobile et leurs équipementiers.

La politique d’assortiment des enseignes, combinant MDD et marques en vue du développement des catégories, fait-elle les frais de la guerre des prix ?

Y. M. : Elle est le fruit d’un arbitrage entre couverture de l’offre, avantage concurrentiel et négociations commerciales. Les composantes de l’arbitrage fluctuent selon les moments et les enseignes.

Bercy a gagné en 2012-2013 une série de procès intentés à la distribution en matière de pratiques restrictives de concurrence. Quel a été l’effet de ces décisions de justice ?

Y. M. :   Ces décisions ont permis aux enseignes d’affiner les bornes de leurs pratiques commerciales et d’en tirer les enseignements.

La sélection par le distributeur dans le portefeuille d’un fournisseur des seuls produits dont il peut comprimer le tarif ne signifie-t-elle pas un appauvrissement de l’offre ?

Y. M. : Cela relève de l’arbitrage. La réduction de l’offre n’est pas toujours corrélée à une baisse des ventes, du fait notamment des reports d’achats décidés par les consommateurs en points de vente.

La guerre des prix et le comportement mimétique des distributeurs français révèlent-ils chez eux une difficulté à se différencier (par l’offre, le service…) plus grande que chez leurs homologues étrangers ?

Y. M. : Partout sur la planète, les grandes surfaces alimentaires ont du mal à se différencier. Cela provient, pour les produits marketés, d’une offre qui se mondialise, portée par des marques fortes, et d’une prédominance logique de la chaîne logistique dans la structure de coût, au détriment de l’adaptation de l’offre.

Le « brief de déflation » signifié aux fournisseurs à l’abord des négociations annuelles, avant que la discussion ait pu s’engager sur la base des CGV, est-il de nature à dégrader la confiance et les projets collaboratifs ultérieurs ?

Y. M. : La relation marchande a une voie étroite pour s’exprimer, sous l’empire de contraintes économiques fortes ; d’où la nécessité chez les fournisseurs d’un professionnalisme accru des comptes clés [responsables commerciaux du fournisseur attachés à une enseigne] et des category managers [spécialistes de la gestion par catégorie de produits, en relation avec l’enseigne].

Les grands groupes de l’industrie et le commerce devraient-ils instituer un responsable des conflits dans les relations verticales, qui soit indépendant de processus de négociation commerciale ?

Y. M. : Ce sont généralement les directions générales et les category managers qui jouent le rôle de modérateurs, hors négociations commerciales.

Comment rendre intéressantes pour les deux parties des pratiques telles que la formalisation des discussions, les conventions d’assortiment, les conventions de renégociation en cours d’exercice, ou les modalités d’adaptation à un changement logistique ?

Y. M. : Les modalités de mise en œuvre des accords commerciaux doivent monter en puissance dans le champ des négociations, et plus de fermeté semble nécessaire, autant sur les sommes accordées que sur la précision des contreparties.

Laisser le chiffre d’affaires d’un produit se dégrader pour être en position d’exiger un prix de cession inférieur, ce sont des choses qui arrivent ?

Y. M. : Non, c’est du registre du fantasme, ou de l’exception.

Les demandes de garantie de durée de vie des produits, leur DLC ou DDM (« date de durabilité minimale », ex-DLUO) sont-elles des sujets de friction majeurs ?

Y. M. : Elles le sont à la marge ; le point ne me paraît pas central dans les négociations commerciales ; il l’est toutefois dans la structure de prix de revient industriel (et donc pour le tarif).

La course aux volumes pour compenser des tarifs et des prix de vente aux consommateurs sous pression produit-elle du gaspillage ?

Y. M. : Je n’ai pas le sentiment que ce sujet soit déterminant.

 

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard.

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