Bulletins de l'Ilec

Sinon tout faire, tout dire - Numéro 449

01/05/2015

Aux engagements sociaux et environnementaux doivent aujourd’hui s’ajouter des engagements économiques, propres à donner aux entreprises une plus grande respectabilité dans leur zone d’implantation. Entretien avec Élisabeth Laville, fondatrice de l’agence Utopies

Une entreprise doit-elle attendre d’être à cent pour cent sans reproche quant à ses externalités négatives pour communiquer sur une action « RSE » ?

Élisabeth Laville : Bien sûr que non, sinon le marché publicitaire serait bien silencieux sur le sujet ! Je pense au contraire qu’il y a des formes de communication pour lesquelles il est vertueux de prendre un engagement public (après tout, si votre engagement n’est pas public, nul ne sait que vous êtes engagé) : c’est le cas quand l’entreprise veut s’engager à s’améliorer de manière ambitieuse. Je pense à ce qu’avait fait Total, il y a quelques années, en disant à ses clients : « Vous ne viendrez plus chez nous par hasard », avec une campagne assortie d’engagements précis sur la qualité de service dans ses stations. C’est aussi le cas quand l’entreprise prend date, en affichant un objectif précis mais de long terme, comme Leclerc avec son objectif « zéro prospectus » en 2020. La communication prend alors tout son sens, car l’entreprise s’y oblige à honorer les ambitions qu’elle a affichées.

Enfin, c’est également vrai quand l’entreprise rend des comptes sur sa performance et les résultats obtenus. Je pense à ce qu’avait fait la SNCF sur sa qualité de service et sur la ponctualité, gare par gare, il y a quelques années, ou encore à ce qu’a fait Innocent en annonçant d’abord que son emballage était en bioplastique, puis en revenant au plastique recyclé – l’essentiel étant de conserver un ton factuel et humble, sans tenter de masquer avec la bonne performance sur certains sujets une performance médiocre sur d’autres, et en inscrivant cela dans un engagement global de progrès (voir le slogan de l’enseigne de restaurants Cojean : « On n’est pas parfait mais on y travaille »).

Le souci de leur « responsabilité » conduit-il les entreprises à modifier leur style de communication ?

E. L. : Oui, dans une certaine mesure : les visuels suggestifs et gratuits, les affirmations sans preuves ou floues, de même que les termes vagues (comme « écologiques » ou « respectueux de la planète »), non appuyés sur un label externe, tendent à se raréfier, et c’est tant mieux.

Le marketing de la peur est-il légitime et source de performance commerciale ?

E. L. Je ne le crois pas, même s’il faut reconnaître que la rhétorique dominante sur les questions de développement durable est assez catastrophiste. Pas forcément en publicité ou en marketing, mais dans le discours des médias, des leaders d’opinion, dès qu’on aborde les véritables enjeux. La communauté du développement durable a échoué à bâtir une image désirable de l’avenir qu’elle propose, la nouvelle frontière de toute une génération, qui donne envie de changer de mode de consommation et de mode de vie, quitte à faire quelques efforts en route parce que le jeu en vaut la chandelle.

Le marketing d’une approche qui ne consiste pas qu’à minimiser les impacts négatifs mais à avoir des impacts positifs nets, dans lesquels les consommateurs ne sont pas seulement informés mais aussi engagés et acteurs, reste à inventer. C’est un beau défi, à forte utilité sociale, pour les médias, les publicitaires et les marketeurs ; c’est d’ailleurs le sujet d’une étude que nous allons publier, dans le cadre de Mescoursespourlaplanete.com, en septembre prochain, avec le soutien de Prodimarques, de l’Ademe et d’Ikea.

Selon l’Observatoire des enjeux RSE1, les Français estiment que les sujets majeurs de la responsabilité des entreprises touchent au social… Est-ce que ce sont les domaines où les entreprises déploient leurs actions le plus volontiers ?

E. L. : Oui, mais si l’on regarde bien l’étude que vous citez, les enjeux qui font l’objet des plus fortes attentes et d’une performance médiocre des entreprises concernent en réalité le volet économique, ou socio-économique, du développement durable ; avec par exemple le maintien ou l’augmentation des effectifs dans l’entreprise, le partage équitable de la valeur créée (entre les parties prenantes), et le fait de favoriser la vie locale là où l’entreprise est implantée.

Un autre sujet qui ressort assez fortement dans les attentes des cadres est la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale. Je crois que c’est assez révélateur : les entreprises ont historiquement communiqué sur leurs engagements sociaux ou environnementaux, mais pas sur leur responsabilité économique.

La raison : on pensait que ce volet n’avait pas besoin d’être développé ou travaillé, dans les entreprises. On s’aperçoit que c’est l’inverse : la responsabilité économique est celle qui donne à l’entreprise la plus grande empreinte sur un territoire d’implantation (par la création ou le maintien d’emplois, le paiement des salaires, le choix de fournisseurs locaux, le soutien à l’économie locale et le paiement des impôts, qui contribuent à assurer le développement du territoire et de l’entreprise). L’optimisation des impacts positifs dans ce champ-là est balbutiante, en termes de RSE, mais très prometteur.

1. www.institutrse.com/images/observatoire_des_enjeux_RSE_2015_Etude_VF3.pdf

Propos recueillis par J. W.-A.

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