Bulletins de l'Ilec

Intérêt à agir et normes d’experts - Numéro 452

01/10/2015

Pour beaucoup d’entreprises, les moyens de formaliser des objectifs d’impact climatique réduit sont encore d’une disponibilité et d’un maniement difficiles. Mais la volonté est là. Entretien avec Laurie Chesne, auditrice conseil en RSE, Vigeo, agence d’analyse et de notation des organisations

Le « réflexe climat » progresse-t-il dans les cultures d’entreprise ? Dans les petites comme dans les grandes ?

Laurie Chesne : De manière générale, le questionnement relatif aux enjeux climatiques progresse dans les entreprises, aujourd’hui en majorité sensibilisées au sujet. Cependant, la prise en compte de ces enjeux dans les stratégies de croissance et les processus de gestion reste limitée, notamment dans les entreprises de petite taille. Nous observons souvent le recours à des « démarches climat » de type bilan carbone ; mais il manque à ces approches des objectifs de réduction précis dans le cadre de plans d’action opérationnels orientés vers le progrès des procédés et de l’organisation. En ce qui concerne les grandes entreprises, le réflexe est plus affirmé, notamment sur le suivi des émissions de GES, du fait des informations exigées au titre du bilan social depuis la « loi Grenelle », et des attentes croissantes des investisseurs et des donneurs d’ordre. En revanche, la gestion de l’énergie, directement liée aux enjeux climatiques, constitue une préoccupation des entreprises quelle que soit leur taille, par souci de performance économique et d’efficacité.

Y a-t-il déjà dans le secteur des PGC beaucoup d’innovations bas carbone qui se sont avérées créatrices de valeur financière ?

L. C. : Ce que nous observons, grâce à notre base de données couvrant plus de trois mille entreprises cotées dans le monde, c’est en premier lieu la généralisation des engagements sur ce thème, au niveau international, y compris dans les pays émergents. Il est né, assurément, une économie de la transition énergétique. Si presque toutes les entreprises en parlent, cela ne signifie pas qu’elles sont toutes très engagées, au point de rénover leur modèle économique pour le refonder sur des processus sans carbone, mais ce qui devient une évidence, c’est que les méthodes d’écoconception ont un impact sur l’accès au financement – avec par exemple le montage d’émissions obligataires « vertes » –, mais aussi sur les ventes, les revenus et les marges. Ce sont des investissements rentables.

Quelle peut être l’étendue (en familles et secteurs) d’un étiquetage carbone des produits (selon une enquête de l’UFC le seul étiquetage énergétique est inexistant ou défaillant pour plus de la moitié des appareils électroménagers) ?

L. C. : L’étiquetage carbone est aujourd’hui soit une démarche volontaire menée à titre expérimental, soit en place au travers de l’étiquetage énergétique obligatoire (électroménager, ampoules, logement…). Des familles essentielles et quotidiennes de la grande consommation, telles que le textile ou l’alimentaire, restent peu concernées. Il faut non seulement s’interroger sur l’étendue de cet étiquetage, mais aussi sur l’efficacité de ces dispositifs en matière de bénéfices pour le climat. En effet, les processus de contrôle et de revue des dispositifs d’une part, la prise en compte du cycle de vie complet du produit dans le temps et dans des conditions normées d’autre part, constituent deux enjeux majeurs de la portée de l’étiquetage sur le consommateur final. L’Union européenne travaille sur un projet d’écoétiquette communautaire multicritère, incluant l’indicateur carbone. Des appels à projets ont été lancés en mai 2013 et en janvier 2014, pour déterminer des référentiels communs, des modalités de vérification et de communication au consommateur. Des initiatives plus anciennes sont engagées dans d’autres pays : en Angleterre, Carbon Trust a travaillé avec des industriels du textile, de l’agroalimentaire et des détergents pour mettre au point un label CO2 en mars 2007 (« PAS 2050, plus de 27 000 empreintes carbone mesurées). Pour une entreprise, choisir d’intégrer dans la valeur ajoutée un prix du carbone plus satisfaisant que l’actuel (voisin de 8 €), comme le font certaines, qu’est-ce que cela signifie en pratique ?

L. C. : Ces expériences restent très limitées, peu connues et non évaluées. Quel serait l’intérêt pour le secteur PGC de la « méthode Kering », visant à « identifier et traduire en valeur monétaire les impacts environnementaux de leurs activités », proposée en libre accès par ses inventeurs ? L. C. : L’impact environnemental a un prix qui est à la fois économique, social et sociétal au sens large, que le marché est incapable de traduire dans un prix d’équilibre mesurable en termes monétaires. Nous préférons les démarches visant à amortir les prélèvements sur la nature telles qu’elles sont définies par l’école de Jacques Richard, professeur de gestion à Dauphine. Vigeo est attaché à l’évaluation, stratégique et managériale, des engagements pris en faveur de la réduction des impacts environnementaux.

Quels secteurs répondent le plus à la norme internationale ISO 14001 (sur les systèmes de management environnemental, 1996 révisée 2004) ? Cette norme est-elle à la hauteur de l’enjeu climatique ? Et la norme ISO 14064-1:2006 sur la « quantification et la rédaction de rapports sur les émissions de gaz à effet de serre » ?

L. C. : La norme ISO 14001 est particulièrement répandue dans les secteurs industriels et dans les commodités (eau, déchets, énergie). Les activités de service y ont peu recours. Elle est orientée sur la mise en place et le déploiement de processus efficaces, permettant de structurer les pratiques de gestion de l’environnement. En revanche, elle trouve ses limites devant l’enjeu climatique. Elle ne fixe pas directement d’objectifs de réduction. Ainsi, une entité certifiée peut suivre des objectifs peu ambitieux. Il est de la responsabilité de chaque entreprise de définir des objectifs de réduction pour répondre correctement à ses propres enjeux. La norme ISO 14001 ne vise pas spécifiquement les enjeux climatiques, mais l’ensemble des questions environnementales. La norme ISO 50001, relative à la gestion de l’énergie, touche davantage les enjeux climatiques associés. Quant à la norme ISO 14064, elle constitue un bon standard en matière de démarche carbone, pour ce qui concerne la quantification et la déclaration des émissions de GES. Elle définit des principes et des exigences, et la norme ISO 140069 qui lui est associée regroupe les directives d’application qui la concernent. En revanche, ISO 14064 trouve également ses limites devant l’enjeu climatique. Elle ne vise pas les principes et les directives relatives à la gestion des émissions de GES, au-delà de leur quantification. Elle reste une norme d’experts, peu connue, donc peu utilisée par les entreprises.

Les entreprises éligibles au bilan carbone depuis la loi Grenelle (plus de 500 salariés) ont-elles toutes respecté cette obligation ?

L. C. : Toutes n’ont pas encore mis en œuvre cette obligation. Mais il est trop tôt pour se prononcer sur ce sujet.

Comment sont connus les impacts associés à l’activité des entreprises, PME, TPE, qui ne sont pas soumises à l’obligation d’un rapport environnemental ?

L. C. : De manière globale, l’information sur les impacts environnementaux associés à l’activité d’une entreprise non soumise à l’obligation de rapport social reste à la discrétion de l’entreprise. Selon les secteurs, les parties prenantes plus ou moins sensibles à ces sujets poussent les entreprises à renforcer la déclaration d’informations environnementales, notamment les donneurs d’ordres, de plus en plus soucieux d’intégrer des critères environnementaux dans leur chaîne d’approvisionnement.

À quelles conditions un produit peut-il être réputé avoir une « empreinte positive » sur l’environnement ?

L. C. : On peut parler d’empreinte positive lorsque des bénéfices environnementaux générés par le produit par rapport à une référence (situation existante ou scénario de référence en cas d’innovation) sont avérés (identifiés, évalués, mesurés, stables dans le temps). La description de la situation existante ou du scénario de référence constitue un élément central de l’évaluation, qui constituera la base de l’évaluation des effets. Il convient également de considérer l’ensemble des enjeux environnementaux, selon une approche multicritère, et l’ensemble des étapes du cycle de vie du produit, afin d’évaluer ces effets de manière exhaustive, et d’éviter tout transfert d’impact et de pollution d’une étape à l’autre du cycle de vie. L’électricité d’origine nucléaire, positive d’un point de vue empreinte carbone, illustre parfaitement la nécessité de cette prise en compte multicritère des enjeux environnementaux. Le recours à des matières biosourcées pour la fabrication de matières plastiques, lui, illustre le risque de transfert d’impact entre le climat et les ressources en eau nécessaires à la production agricole.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.