Bulletins de l'Ilec

La carte du territoire - Numéro 454

01/02/2016

Les acteurs internationaux de la grande consommation sont nombreux à considérer les atouts du marché français pour y investir. Pour surmonter les freins traditionnels liés au marché du travail, à la fiscalité et à la complexité réglementaire, ou spécifiques, comme la faiblesse des marges, la qualité de l’accompagnement par les pouvoirs publics est cruciale. Entretien avec Caroline Leboucher, directrice générale déléguée de Business France

Vous dirigez depuis un an les activités de « Business France » visant à favoriser le « développement de l’emploi et des territoires au travers de l’accueil d’investisseurs étrangers ». Quels vous paraissent les freins majeurs des opérateurs internationaux à l’investissement en France ?

Caroline Leboucher : Avant d’évoquer ces freins, il me semble utile de rappeler quelques données et ce qui incite les investisseurs à s’intéresser à la France. Plus de vingt mille entreprises internationales sont déjà implantées en France, qui emploient plus de deux millions de salariés ; depuis quinze ans, la France est la première destination européenne pour les investissements étrangers dans l’industrie, d’après le baromètre de l’attractivité d’EY1. En 2014, nous avons recensé 1 014 projets d’investissement étrangers, créateurs de plus de vingt-six mille emplois, en hausse de 8 % par rapport à 2013, dont plus de quatre cents projets accompagnés par Business France et ses partenaires.

La France dispose de nombreux atouts : c’est un grand marché, situé au cœur du plus grand marché mondial, le marché européen, fort de cinq cents millions de consommateurs. Notre position géographique est également très favorable et fait de la France une excellente porte d’entrée pour une entreprise souhaitant se projeter non seulement en Europe, mais aussi au Moyen-Orient et en Afrique. Nous disposons d’infrastructures de transport et de communication remarquables, qui nous relient efficacement à l’ensemble de l’Europe et au monde. La qualité de la main-d’œuvre française est plébiscitée par les investisseurs internationaux, qu’il s’agisse de la grande qualité des chercheurs, des ingénieurs, des concepteurs et des manageurs français, ou plus généralement de la productivité et de l’engagement des salariés français à tous niveaux.

Enfin, la France fait partie du peloton de tête des économies innovantes, notamment dans le numérique, l’aéronautique ou le secteur pharmaceutique, grâce non seulement au talent de ses chercheurs, ingénieurs et concepteurs, mais aussi à ses pôles de compétitivité, à ses nombreuses jeunes pousses, ses groupes multinationaux numéros un dans leur domaine, qui sont autant de partenaires d’affaires potentiels.

Au-delà de ces atouts, il y a bien sûr des freins, en partie liés à un déficit d’image ou d’information, en partie liés à un environnement des affaires jugé moins favorable, sous tel ou tel aspect, que celui de certains de nos voisins européens.

Des améliorations sont particulièrement attendues des investisseurs internationaux sur trois points : le fonctionnement du marché du travail, le niveau de prélèvements obligatoires, la stabilité et la simplicité réglementaires. Cela, c’est ce que nous entendons quotidiennement, au contact des investisseurs internationaux – nous en voyons cinq mille chaque année en entretien bilatéral approfondi. C’est ce qu’ils disent aussi au gouvernement, notamment dans le cadre du Conseil stratégique de l’attractivité.

Les réformes menées par le gouvernement sur ces points sont très bien reçues par les investisseurs, comme allant dans le bon sens. Les investisseurs attendent toutefois du gouvernement qu’il poursuive, amplifie et accélère ces réformes. La question du rythme est essentielle. Par ailleurs, force est de constater qu’à l’international, malgré la mobilisation collective pour expliquer et faire connaître ces réformes, réduire le décalage entre perception, idées reçues et réalité demeure un enjeu. Business France est fortement mobilisée pour répondre à ces deux missions.

Y a-t-il des freins à l’investissement propres aux industries de consommation, alimentaires et autres ?

C. L : Là encore, ce qui frappe d’abord, c’est l’importance des investissements étrangers en France dans ces domaines : Shiseido, Nestlé, Mars, Coca-Cola, Barilla, Ferrero, Heineken, Kraft Foods, Mondelez, Ikea, par exemple, fabriquent en France.

Dans le seul champ de l’agro-alimentaire, nous avons recensé 320 projets d’investissement étrangers dans les huit dernières années (2007-2014), soit près de 7 % de l’ensemble des projets d’investissement de cette période.

Cette abondance s’explique par les atouts généraux que j’indiquais plus haut, et particulièrement la taille de notre marché et son rôle prescripteur. S’y ajoutent, concernant l’agro-alimentaire, des qualités spécifiques que sont le savoir-faire et la capacité d’innovation, les exigences de traçabilité et la sécurité alimentaire, l’importance de notre production agricole et donc l’abondance de matières premières et d’ingrédients, un vrai savoir-faire en matière de marketing et de gestion de marque, l’image de la France et sa réputation en matière de gastronomie.

Témoigne de façon emblématique de ces atouts le projet du producteur chinois de laits infantiles Synutra, qui a décidé en 2012 d’investir 100 millions d’euros avec la coopérative Sodiaal pour créer à Carhaix, en Bretagne, une usine dont les produits sont destinés au marché chinois.

Outre ceux déjà mentionnés, un frein spécifique est évoqué par certains de ces grands groupes : la faiblesse des marges en France, vue comme résultant notamment du poids de la grande distribution dans notre pays et du caractère très concurrentiel du marché français, qui n’en demeure pas moins incontournable.

Les sites industriels français sont-ils de plus en plus exposés à des risques d’arbitrages internationaux (concurrence entre un site français et un site étranger) au sein des groupes ?

C. L : Dans les secteurs où cela fait sens, la mise en concurrence entre différents pays au sein des multinationales est systématique. Donc tous les sites industriels d’un groupe, y compris ceux de son pays d’origine, sont confrontés à cette logique d’optimisation des investissements. Pas de spécificité française a priori. Le rôle de Business France est d’aider les responsables des filiales françaises de groupes étrangers à valoriser au mieux les atouts de l’offre française auprès des dirigeants de leur groupe et à construire des solutions compétitives, en lien avec les acteurs territoriaux.

Quels sont les meilleurs atouts des sites français ? Les facteurs qui les affaiblissent ?

C. L : Il est difficile de répondre de façon globale. Il y a bien sûr tous les atouts et les freins déjà mentionnés, mais chaque cas est particulier, et tout dépend du secteur. Dans nombre de cas, les responsables des filiales françaises peuvent mettre en avant d’excellentes performances opérationnelles, une productivité et une organisation optimisée qui peuvent compenser certains coûts unitaires plus élevés.

Quoi qu’il en soit, la mobilisation des pouvoirs publics, tant localement qu’au niveau national, en réponse aux besoins de l’entreprise, est un atout supplémentaire très important pour une filiale d’entreprise étrangère confrontée à une mise en concurrence avec des filiales du même groupe installées dans d’autres pays. C’est parfois le facteur affectif, la qualité de l’écoute et de l’accompagnement dans la résolution des difficultés, qui peuvent faire la différence.

R&D, communication, emploi… : quelles sont les variables d’ajustement des filiales de groupes internationaux, en période de pression sur les marges, pour maintenir leur attrait en interne ?

C. L : De façon générale, nombre de patrons de filiales françaises de multinationales mettent en avant l’excellence opérationnelle de leurs sites de production : productivité, qualité, innovation, et les progrès continus en la matière. La pression sur les marges, qui est générale, pousse à innover, à améliorer processus industriels et organisation. Dans un certain nombre de groupes, c’est d’ailleurs en France que peuvent être trouvés les sites les plus performants. Y compris en matière environnementale. En ce qui concerne les activités de R&D, les talents français sont reconnus, tout comme est reconnue comme un clair avantage la capacité à nouer des partenariats public-privé en France, avec des laboratoires publics d’excellence.

Si à ces atouts on ajoute le différentiel de coût entre un ingénieur français et un ingénieur américain de la Silicon Valley, à l’avantage de la France, et les dispositifs incitatifs comme le crédit d’impôt recherche, la France est très compétitive, et un nombre croissant d’entreprises y développent leurs activités de R&D, notamment dans le numérique. Microsoft, Intel, Facebook, Cisco, pour ne citer qu’elles, l’ont bien compris et développent leurs activités de R&D en France.

Pourquoi l’État a-t-il abandonné le programme « Marque France » destiné à défendre tant l’attractivité du territoire que le dynamisme à l’exportation ? N’en espérait-il pas spécialement d’effets bénéfiques pour l’emploi ?

C. L : Les travaux conduits sur la « marque France » ont nourri la réflexion sur la façon de valoriser les atouts de notre pays à l’international. La campagne de communication que le gouvernement a lancée en octobre dernier en a clairement bénéficié. Intitulée « Créative France », c’est une campagne de « nation branding », car la créativité est bien une caractéristique forte du tempérament national et identifiée comme telle à l’international. Il a donc été judicieux, de la part des pouvoirs publics, de s’appuyer sur cet atout pour déployer l’image de la France et bousculer les idées reçues.

Cette campagne a été annoncée par le président de la République lors du Conseil stratégique de l’attractivité tenu en juin 2015, et elle a été lancée officiellement par le Premier ministre en octobre à Tokyo, à l’occasion de l’inauguration de l’année Innovation France-Japon. Elle sera menée pendant dix-huit mois et visera particulièrement une dizaine de pays, dont les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Japon, la Chine, l’Inde, le Brésil ou les Émirats arabes unis.

Et cette campagne défend non seulement l’attractivité du territoire, mais aussi le dynamisme des entreprises françaises à l’exportation, leur savoir-faire dans tous les domaines, de la jeune pousse de rupture à la pépite innovante ou au grand groupe numéro un de son domaine.

Du reste, il ne saurait en être autrement : les entreprises françaises les plus performantes sont sans doute parmi les plus beaux atouts de la France et ses meilleurs ambassadeurs. C’est tout le sens de la création de Business France et de la réunion, dans une agence unique, de trois métiers qui se nourrissent mutuellement : promotion de l’image de la France, attraction des investissements internationaux, développement des exportations françaises.

1. http://is.gd/IVtWhU (NDLR).

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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