Bulletins de l'Ilec

Le train et le bureaucrate - Numéro 454

01/02/2016

La qualité des infrastructures profite aux filiales françaises des grands groupes sur le marché français, dans les PGC particulièrement, mais elle n’est pas sans travers ni exception. Comme le cadre réglementaire ou le fret ferroviaire. Entretien avec Claude Bodeau, associé chargé des activités ressources humaines et management chez Kurt Salmon

Quels sont aujourd’hui les critères majeurs susceptibles d’encourager ou de dissuader une décision d’investissement en France, pour un grand groupe mondialisé ?

Claude Bodeau : Le premier critère est le niveau des infrastructures, leur qualité et leur accessibilité selon les besoins des entreprises, l’accessibilité pouvant être portuaire, aéroportuaire, ferroviaire, par rapport au périmètre que l’on souhaite desservir. La France, en ce domaine, est jusqu’aujourd’hui bien placée, hormis dans le transport ferroviaire des marchandises et le fluvial.

Le deuxième critère est la clarté des éléments juridiques, particulièrement le droit de propriété, lors de la signature d’un bail ou de l’achat d’un terrain. Le niveau de transparence, donc de corruption ou bakchich, joue également, et parallèlement la simplicité ou la complexité administrative.

Les coûts, dont celui de la main-d’œuvre, peuvent également interférer. Contrairement aux idées reçues, la France n’est pas mal placée à cet égard, si l’on tient compte du temps de travail effectif. Malgré les trente-cinq heures, les congés, les jours fériés et les ponts, la productivité des salariés français, ouvriers et cadres, est bonne. Dans la mesure où les entreprises concernées par une décision d’investissement en France sont majoritairement de culture anglo-saxonne, elles s’interrogent sur le coût d’un départ de France. Ici, nous sommes mal placés, en raison des coûts sociaux et de la complexité administrative.

Autre critère important : la stabilité fiscale et économique, des règles durables et claires. La France se distingue par ses aides et ses subventions, comme le crédit d’impôt recherche, qui a un rôle attractif important, ou les allégements de charges dits Fillon pour les entreprises à bas salaires. Enfin, la stabilité politique et la sécurité entrent également en ligne de compte. Aujourd’hui, les attentats pourraient avoir un rôle répulsif.

Et qu’en est-il en particulier des décisions d’investissement dans le secteur des produits de grande consommation ?

C. B. : Les critères portent plus particulièrement sur les niveaux des infrastructures et l’importance des services connexes aux métiers de la grande consommation.

Tous ces critères sont-ils pondérés différemment selon qu’un groupe est d’origine française (un « champion national ») ou étrangère ?

C. B. : Oui, car les visions diffèrent. Un groupe français, déjà introduit en France, sera très demandeur pour supprimer tous les facteurs bloquants qui le pénalisent dans sa vie courante : les coûts, les règles sociales, le poids des syndicats… Un groupe international va plutôt se fonder sur les premiers critères, dont celui des infrastructures.

Dans le magazine LSA du 12 novembre 2015, Christophe Bonduelle indiquait : « C’est la rentabilité à l’international qui finance nos usines en France. » Cas isolé ou de plus en plus fréquent chez les groupes français ?

C. B. : Certains groupes, comme Renault, Peugeot ou Arcelor, semblent le penser, au dire de leurs PDG. Ce problème doit se poser plutôt dans l’industrie lourde, mais je n’en ai pas d’autre écho dans l’univers agro-alimentaire.

L’évolution actuelle du coût de la main-d’œuvre (tous emplois) est-elle favorable à l’emploi direct dans les industries de grande consommation ?

C. B. : Quarante pour cent des emplois aux États-Unis ne sont plus des emplois salariés, et cette tendance s’observe maintenant en Europe, particulièrement en Grande-Bretagne. En France, le taux varie entre 17 et 20 %. Le coût de la main-d’œuvre n’est pas le seul déterminant, même s’il peut conduire à externaliser. Beaucoup de gens ne veulent plus travailler dans une relation contractuelle de type CDI.

Les entreprises industrielles continuent-elles à externaliser ? Ce mouvement a-t-il atteint un palier, ou y aurait-il plutôt un retour de balancier (réinternalisations rendues nécessaires par le besoin d’innovation ou autre) dans certains secteurs ?

C. B. : On observe ce mouvement depuis deux ou trois ans, cela concerne par exemple les ressources humaines, où le service de la paie est réinternalisé, en raison des difficultés de traitement rencontrées en externe, ou le service des abonnements, qui souffre d’une déshumanisation.

La réintégration est privilégiée quand le service client est menacé, quand le coût ne correspond pas au service attendu par les salariés ou par les clients. Sur le plan de l’innovation… on ne pourra pas continuer à avoir des caisses automatiques sans présence humaine, pour conseiller les chalands par exemple.

Propos recueillis par J. W.-A.

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