Bulletins de l'Ilec

R&D et atout jeune - Numéro 455

01/03/2016

Entreprises attractives aux talents, territoire attractif à l’investissement. Pour Nestlé, les compétences se développent par métiers et par bassins d’emploi, au plus près des attentes de son troisième marché. Tour d’horizon de la politique emploi et formation du numéro un industriel de la grande consommation en France. Entretien avec Philippe Mathoulin, directeur des ressources humaines de Nestlé en France

Y a-t-il des besoins en emplois non satisfaits dans vos activités en France ?

Philippe Mathoulin : Il y a des besoins plus difficiles à satisfaire que d’autres, et pour de multiples raisons. La localisation des usines, lorsqu’elles sont éloignées des grandes métropoles, peut poser des problèmes pour certains types de postes, par exemple pour les ingénieurs, les responsables de fabrication et de production. Il nous revient de renforcer l’attractivité de l’entreprise, car les compétences existent sur le marché du travail.

Il peut arriver que certains bassins d’emplois soient plus pauvres que d’autres pour fournir des compétences particulières. Nous devons alors favoriser la mobilité géographique, pour permettre aux personnes compétentes de changer de lieu de travail. La carrière des conjoints peut être un frein à la mobilité et nous travaillons aussi à des solutions d’accompagnement professionnel des conjoints. En parallèle, nous tissons des relations plus étroites avec les organismes de formation locaux. De façon globale, Nestlé ne rencontre pas de difficultés qui viendraient d’un manque de disponibilité de compétences sur le marché du travail en France.

Votre gestion de l’emploi sur vos sites français a-t-elle fait l’objet de nombreuses adaptations ou réorientations au cours des dernières années ?

P. H. : Adaptation, oui, réorientation, non. Nous sommes plutôt dans une économie atone, avec peu de croissance en volume. Cela a évidemment un impact sur la gestion de l’emploi, mais cela demeure variable d’une activité à l’autre. Les évolutions significatives qui ont eu lieu récemment en termes d’emplois sur le marché de Nestlé en France sont davantage liées à des cessions d’activités, qui demeurent pérennes chez les repreneurs.

Les adaptations que nous avons pu être amenés à mettre en place portent sur l’organisation et le temps de travail, l’amélioration de l’efficacité des usines, pour être compétitifs vis-à-vis des autres usines européennes ou internationales au sein de Nestlé et vis-à-vis de nos concurrents. De même, nous devons en permanence améliorer l’efficacité de notre organisation commerciale et des fonctions de support.

Quels sont aujourd’hui les critères majeurs susceptibles d’encourager ou de dissuader une décision d’investissement en France, pour un grand groupe mondialisé ?

P. H. : Le marché français a un poids important chez Nestlé, puisqu’il est son troisième marché dans le monde après les États-Unis et la Chine, et le premier en Europe. Les conditions qui peuvent favorablement influencer ces décisions sont connues. La performance de nos usines, l’expertise de nos collaborateurs, l’efficacité de nos modes de fonctionnement comme notre capacité à anticiper les évolutions du marché, pour répondre plus vite et plus efficacement aux demandes de nos consommateurs, sont les éléments essentiels qui peuvent être pris en compte dans ce type de décision.

Les contraintes et obligations légales en matière de recrutement pèsent-elles plus en France que dans les pays voisins ?

P. H. : Pour ce qui concerne la France, ces obligations légales sont les mêmes pour tous nos concurrents. Nous devons les prendre en compte et en tirer le meilleur parti.

Sous le critère de la R&D ou de la mise sur le marché, la filiale française de Nestlé est-elle plus ou moins armée que les autres pour obtenir des investissements du groupe ?

P. H. : L’innovation est un axe essentiel de la stratégie de développement du groupe Nestlé. L’objectif de Nestlé est de proposer aux consommateurs des produits qui apportent une valeur ajoutée dans les domaines de la santé, de la nutrition et du bien-être. Lorsque le marché français identifie une opportunité répondant aux exigences des consommateurs dans ces domaines, nous nous appuyons sur un réseau mondial de centres de recherche et développement Nestlé, dont cinq sont basés en France, qui développent les réponses adaptées.

Jusqu’où dans l’avenir se portent vos anticipations relatives aux métiers et qualifications de demain utiles à votre activité ?

P. H. : Nous avons mis en place des dispositifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour identifier l’émergence de nouveaux métiers, comme ceux du digital, ou la manière dont certaines technologies modifient des métiers existants. Cela nous donne le cap à suivre pour renforcer nos compétences, analyser les changements prévisibles dans les métiers traditionnels, et nous permet soit de développer ces nouvelles compétences en interne, soit de les acquérir sur le marché de l’emploi.

Êtes-vous en relation avec les universités des bassins d’emploi correspondant à vos sites industriels et commerciaux ?

P. H. : Bien sûr. Notre programme pour la jeunesse nous a permis d’établir des relations très étroites avec les écoles, lycées et universités dans plusieurs bassins d’emploi. Cela nous a permis de développer l’accueil de stagiaires, d’alternants et d’apprentis dans de fortes proportions. Cela permet aussi de développer l’attractivité de nos sites et de nos métiers.

Deux ans après le lancement de son initiative européenne pour l’emploi des jeunes, justement, quel bilan tire Nestlé ? L’objectif de vingt mille jeunes recrutés et formés en 2016 sera-t-il tenu ?

P. H. : L’objectif de vingt mille jeunes de moins de trente ans recrutés ou formés sur trois ans a été dépassé dès la deuxième année. Entre 2014 et 2015, 13 800 jeunes ont été recrutés par Nestlé en Europe, 8 000 ont été formés dans l’entreprise par le biais de l’apprentissage ou d’un stage ; au total 21 838 jeunes de moins de trente ans ont été recrutés et formés par Nestlé, en Europe. Aussi sommes-nous au-delà de nos ambitions, comme l’attestent les chiffres. Nestlé a contribué en France à ces résultats avec 1 700 embauches de CDI et de CDD de moins de trente ans et l’accueil de 1 700 apprentis et stagiaires au cours de ces deux dernières années. Nestlé poursuit l’initiative en 2016 avec de nouveaux objectifs pour clore cette période triennale. L’accent sera mis sur le développement de l’apprentissage.

Combien de jeunes l’Alliance pour la jeunesse lancée par Nestlé avec d’autres entreprises a-t-elle touchés ? Combien de partenaires regroupe-t-elle en France ?

P. H. : Lancée en France et en Europe en septembre 2014, l’Alliance pour la jeunesse avait permis en septembre 2015 à 50 000 jeunes de se voir offrir stage, apprentissage ou emploi dans l’une ou l’autre des deux cents entreprises européennes partenaires de Nestlé : 16 000 pour l’apprentissage et 34 000 pour les emplois. En France, dix-sept entreprises privées sont actuellement des partenaires actifs.

Quelle place tient la validation des acquis de l’expérience (VAE) dans votre politique RH ?

P. H. : Pour l’instant, modeste, mais c’est un sujet sur lequel nous travaillons depuis plus d’un an de façon plus systématique. Nous voyons dans cette démarche l’opportunité de développer l’employabilité de nos salariés et de formaliser l’expérience acquise dans nos entreprises. Cela peut également contribuer à accroître l’attractivité de l’entreprise, et à la rétention des talents.

Votre groupe a-t-il créé un centre de formation des apprentis (CFA) ou autre structure de formation ? Cette structure est-elle réservée à votre recrutement ou avez-vous envisagé d’y prendre en considération les besoins de votre filière ou bassin d’emploi ?

P. H. : Nous avons monté sur certains de nos sites des partenariats avec des CFA existants, mais ils ne sont pas obligatoirement destinés à former de nouveaux collaborateurs pour Nestlé. C’est davantage pour permettre au bassin d’emploi de prendre en compte nos besoins, comme ceux d’autres entreprises locales, fournisseurs ou PME.

Avez-vous pris des mesures visant au transfert de compétences entre générations ?

P. H. : En développant fortement l’alternance et l’accueil de stagiaires, nous avons mené en parallèle un travail sur le tutorat. Nous formons donc des tuteurs capables d’accueillir des jeunes. Nous avons également quelques expériences de « reverse mentoring » : quand un jeune salarié forme un collègue plus âgé aux nouvelles technologies. Par ailleurs, dans le cadre de la politique RH du groupe Nestlé figure, au titre des priorités des années à venir, la diversité générationnelle, car aujourd’hui trois voire quatre générations travaillent ensemble dans l’entreprise. Cette diversité va influencer nos pratiques managériales, nos pratiques de mobilité interne, de développement de compétences.

Les grands groupes ont-ils la souplesse nécessaire pour bien accueillir chaque nouvelle génération culturelle de jeunes salariés ?

P. H. : Une nouvelle génération, comme la génération Y, a des attentes et des ambitions différentes de celles des générations précédentes. L’entreprise découvre qu’en termes d’ambition personnelle, de plaisir au travail, d’accomplissement, les attentes sont de plus en plus diverses. Cela remet en question nos pratiques managériales et nos modes de fonctionnement. C’est une opportunité pour nos managers de développer des compétences de coaching parallèlement au développement de l’expertise technique de leurs collaborateurs. être une grande organisation doit nous permettre de proposer des parcours professionnels plus riches, grâce à des opportunités professionnelles plus nombreuses et plus variées.

La proportion de plus de 55 ans a-t-elle augmenté ces dernières années dans vos effectifs ?

P. H. : Non, elle est globalement stable.

Y a-t-il sur vos activités, en termes d’emploi, une pression déflationniste ?

P. H. : Oui. Nous sommes sur un marché mature et en faible croissance. Cela affecte forcément les tendances en termes d’emploi. On ne peut espérer des croissances en volume équivalentes à celles des pays émergents.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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