Bulletins de l'Ilec

Préciser sans surencadrer - Numéro 456

01/04/2016

La filière des déchets d’emballages ménagers comme les autres filières REP ont démontré leur utilité, mais elles ont besoin d’une clarification du droit qui les encadre. Entretien avec Arnaud Gossement, avocat, enseignant à l’université Paris-I

Les notions de responsabilité élargie du producteur et de RSE sont-elles indissociables, dans la pratique et dans leurs sources juridiques ?

Arnaud Gossement : Elles ont des fondements et des régimes juridiques distincts, mais elles appellent toutes les deux les entreprises à tenir compte de l’environnement et à internaliser leurs externalités négatives ; elles participent de l’idée que le développement durable permet de ne plus opposer environnement et économie. Elles ont également en commun l’idée que l’entreprise, à commencer par ceux qui y travaillent, est une actrice clé de ce développement durable. Enfin, elles procèdent de l’idée que des règles d’obligation ou d’interdiction ne sont pas suffisantes : il faut encourager les entreprises à agir et leur laisser une marge de manœuvre suffisante pour créer, innover et réduire leur empreinte environnementale. Ce qui suppose que la réglementation soit claire, stable et ne tente pas de régler toutes les situations particulières par avance. La REP, jusqu’où ? Exempte-t-elle de leurs responsabilités les consommateurs qui alimentent les déchets sauvages ?

N’est-il pas abusif d’impliquer une responsabilité élargie du producteur dans ce qui ressortit à une responsabilité directe du consommateur ?

A. G. : Le principe de la responsabilité élargie du producteur fait l’objet d’interprétations et d’applications qui varient d’un État à l’autre de l’Union. Il faut espérer que le « paquet européen » sur l’économie circulaire présenté par la Commission en décembre 2015 permettra d’unifier les règles et les pratiques par application de ce principe. En toute hypothèse, le principe de la REP ne se réduit pas à la contribution versée pour gérer la fin de vie des produits, si importante soit-elle pour le fonctionnement des filières. Il n’est donc pas abusif de parler de responsabilité élargie du producteur, ce dernier devant participer, financièrement mais aussi matériellement, à la prévention et à la gestion des déchets. Sa responsabilité élargie ne signifie pas que les autres acteurs ne conservent pas leur part de responsabilité, définie par le droit et la jurisprudence. Le producteur et le détenteur de déchets sont également responsables, à leur niveau, des conséquences de la création et de la manipulation desdits déchets.

Revient-il à un éco-organisme mandaté par des contributeurs volontaires d’identifier les « passagers clandestins » (metteurs en marché qui ne cotisent pas à la filière REP où leurs produits sont pris en charge) ?

A. G. : La REP à la française tente de concilier une logique d’autorégulation d’une filière par les producteurs et une logique de régulation par l’État. Ce modèle est à la fois administratif et libéral, entre l’intervention de l’État qui agrée et contrôle les éco-organismes, celle des collectivités territoriales qui gèrent le service public de collecte et de traitement, et la nécessaire prise en charge de ces dispositifs par les producteurs. Avec les lois votées ces trois dernières années, il y a en effet tendance, notamment pour la filière des déchets d’équipements électriques et électroniques (D3E), à associer plus étroitement les éco-organismes à la gestion d’un service public. Ce qui se traduit par des hésitations sur la nature – administrative ou privée – des contrats qu’ils passent avec les personnes publiques, mais aussi par de nouvelles obligations d’avoir à réguler eux-mêmes les filières. C’est ainsi que les éco-organismes sont appelés à recruter des clients, mais pas uniquement avec des arguments commerciaux, puisqu’ils sont appelés à signaler les non-contributeurs. De manière générale, l’organisation des filières REP est à un moment de son histoire qui suppose qu’elle soit clarifiée, harmonisée et simplifiée. La discussion du paquet européen sur l’économie circulaire devrait permettre de relever ce défi et de penser la REP à l’échelle européenne.

Une coordination entre éco-organismes concurrents – par exemple en vue de désigner les collectivités méritant un bonus financier – risque-t-elle de contrevenir au droit de la concurrence ?

A. G. : La coordination entre éco-organismes est nécessaire et peut être instaurée de plusieurs manières, notamment par la création d’un organisme coordinateur, comme dans la filière D3E. Elle ne suppose pas qu’ils s’entendent pour se répartir des clients ou des gisements détenus par le service public local de gestion des déchets ; ni que des tiers – opérateurs, systèmes individuels ou nouveaux éco-organismes – ne puissent plus accéder à ces gisements. Dans ces conditions, cette coordination doit permettre à chacun de tenir ses objectifs fixés par l’État sans porter atteinte aux règles du droit de la concurrence. Des clarifications et des simplifications du droit s’imposent cependant : il conviendrait de fixer les critères permettant d’apprécier si une filière doit ou non être organisée en fonction du principe de REP ; il faudrait aussi préciser les critères déterminant qu’un éco-organisme doit être financier, opérationnel, ou les deux, ainsi que les critères de séparation de la gestion des déchets ménagers et professionnels, et ce que doit faire le détenteur (cela afin de l’encourager à remettre ses déchets dans les bonnes filières). Des questions à traiter pour apaiser le débat.

Propos recueillis par J. W.-A.

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